Il est un livre fort intéressant qu’il faut absolument avoir dans sa bibliothèque, il s'agit du « Guide des palmiers de Guyane » de Jean-Jacques de Granville et Marc Payot. Sur les cinq espèces de palmiers qui nous nourrissent nous avons trouvé moult informations.
Et en remontant au temps de la colonie Guyane aux 18e et 19e siècles, on retrouve des écrits des colons ce qui permet d’en apprendre davantage sur les dénominations utilisées pour ces palmiers qui nourrissaient les habitants, esclaves et colons confondus comme les populations amérindiennes.
L’avoir ou aoura devenu awara (Astrocaryum vulgare)
Par exemple Jean Antoine Bruletout de Préfontaine en 1763 qui était colonel d'infanterie, commandant du quartier de Kourou fait une description de l’awara :
« aouara. Efpece de chou Palmifte, qui ne fe trouve que dans certains quartiers, & plus volontiers au bord de la mer. Il vient fort haut ; il eft garni de piquans le long de fatige ; fon fruit vient par régime, la graine tombe d'elle-même quand elle eft mure, ou par l'effet des vents de Nord qui regnent au mois de Mars. Elle engraiffe les beftiaux ; & par cette feule raifon, l'arbre doit etre menage dans les favanes… ».
Ce texte est rédigé en vieux français mais on comprend bien que ce chou-palmiste s’appelle aouara. Le colon explique plus loin le mécanisme de transformation en huile.
En 1855, Flavin Leblond dans son ouvrage « Etudes spéciales sur les Fruits de Guyane » écrit : « De l’avoira ou aouara et donne quelques explications : « Le bourgeon principal qui se mange avec plaisir » enchaînant « Le fruit de cet arbre, d'un jaune doré à sa maturité, jonche la terre dans la saison. Il est mangé souvent cru, ce qui est très - malsain, car la chair pâteuse qui couvre le noyau, est un aliment lourd, indigeste et principalement bilieux. On devrait le bannir aux enfants, mais ils l'aiment tant, qu'ils s'en emparent en quelque lieu où ils le trouvent et se réjouissent d'en manger. Les nègres font une nourriture journalière de ce fruit, en le broyant ensuite dans l'eau ; ils y ajoutent le bourgeon du tayove et celui de quelques autres végétaux puis, assaisonnent ce ragoût avec force piment…. ».
Un peu plus loin, Leblond précise : « Le noyau contient également une espèce de graisse de couleur noirâtre, que l'on nomme quio-quio, très précieuse en frictions, dans les douleurs rhumatismales et bonne surtout comme vermifuge : on l'ajoute souvent à d’autres extraits pour la purgation »
La première appellation du fameux palmier devenu un emblème de Guyane est bien celle d’aoura devenu awara de son appellation amérindienne et awwa en boni.
On réservera l’appellation wara pour le bouyon wara qui est un plat typiquement créole.
Le Palipou ou Paripou devenu Parépou (Bactris gasipaes)
Au 18e siècle, en 1763 le parépou toujours selon le colon Jean Antoine Bruletout de Préfontaine se dit aussi palipou. Cuit à l’eau salée il se déguste au dessert. Ce qu’il ne dit pas c’est que ce palmier a été amené en Guyane. Il vient de l’ouest de l’Amazonie et a été ramené en Guyane par les amérindiens Wayana. En 1855, Flavin Leblond écrit : « … La consommation du Paripou est prodigieuse ! On n’ignore pas cependant les qualités malfaisantes de ce fruit ; c’est l’un des mauvais de cette contrée. Il ne se mange jamais cru et c’est fort heureux, car on aurait à déplorer des cas d’indispositions graves ; même cuit, il est souvent la cause d’incommodités fâcheuses. Un individu succomba par suite d’une irritation insurmontable de l’abdomen. L’autopsie en fut faite. On trouva du Paripou en nature, mangé la veille au soir sans aucune digestion. Nous engageons les personnes qui ont l’estomac paresseux de ne point en faire usage »
Depuis cette graine de palmier appelée désormais parépou a été bien apprivoisée. Le parépou se consomme de bien des façons, cuit à l’eau salée ou transformé en farine il sert aussi à la confection de gâteaux, il se cuisine très bien en gratin et devient un délicieux dessert très apprécié en confiture.
Le Caumoun ou Coumon ou encore Coumou devenu Comou (Oenocarpus bacaba)
Jean Antoine Brutetout de Préfontaine en 1763 explique en vieux français que le palmier caumoun monte très haut, il donne des graines couleur chocolat : « Sa graine, qui eft très-petite, eft couverte d'une pellicule d'un noir tirant fur le pourpre. Cette pellicule, preffee entre les doigts pour féparer l'amande,& braffee avec elle dans l'eau, donne à la liqueur qui en réfulte & qui a du corps, la couleur du chocolat »
Avec ces graines, on fabriquait semble-t-il, en ce temps de l’huile qui assaisonnait les salades.
Un siècle plus tard en 1855, Flavin Leblond apporte d’autres explications : « Ce palmier est, comme le maripa, très répandu dans les forêts de la Guyane. Lors de la saison, on voit les nègres s'élancer dans les forêts, munis de grands paniers qu'ils emplissent de Coumon ; ils peuvent en cueillir partout où ils trouvent ce fruit, sans qu'aucun propriétaire rural s'en inquiète le moins du monde… »
Cet engouement pour la consommation du lait cette graine était aussi partagé par les Européens ajoute l’écrivain : « … Les Européens mêmes peuvent en user en toute sûreté, en y ajoutant, comme d'ordinaire, du sirop ou du sucre. Ce lait pris graduellement à leur arrivée dans la colonie, calmerait la surexcitation du sang qui occasionne toujours des fièvres. »
Actuellement le comou est toujours autant apprécié. Avec l’arrivée des machines mises au point au Brésil, les graines sont de moins en moins brassées à la main. Mais entre jus, sorbets et crèmes, il est un des fleurons de la gastronomie guyanaise.
Le Pataoua ou Patawa (Oenocarpus bataua)
Flavin Leblond, toujours en 1855, nous apprend ceci :
Palmier majestueux de la famille du coumon. La feuille est employée quelquefois dans la couverture des cases sur les établissements ruraux, lorsque l'arbre se trouve à leur proximité. Nous dirons que le fruit du Pataoua , en forme de régime, est un composé d'un grand nombre de noyaux de la grosseur de l'avoira , qui donne comme le coumon, une espèce de lait également bienfaisant pour la santé. On l'obtient par le même moyen, ainsi que l'huile qui est de la même saveur, mais que l'on ne s'empresse guère de rechercher à cause, peut - être, de l'éloignement de l'arbre du littoral : car ce palmier se tient dans les forêts qui abritent la source des rivières et dans les régions des montagnes.
Actuellement la graine de patawa n’est pas la plus recherchée ni la plus appréciée. La pulpe donne un jus épais et très riche en graisse ce que n’apprécient pas certains consommateurs. Le patawa est plus difficile à trouver en forêt aussi les transformateurs de graines de palmiers proposent épisodiquement le jus de patawa à leur clientèle.
Le pinot ou wassay devenu wassaï (Euterpe oleracea Mart.)
Parmi toutes les graines de palmiers consommées en Guyane, celle du palmier wassaï occupe une place d’honneur. Ce palmier existe dans tout le bassin amazonien. En Guyane il était plutôt connu comme le palmier pinot. Dans l’ouvrage « Guide des palmiers de Guyane », il est précisé : « En Guyane, Aublet témoigne de l’utilisation du wassay, du comou et du patawa à l’époque coloniale par les amérindiens, écrivant en 1775 que « l’on fait de ces fruits [de wassay] le même usage que ceux du Comon (sic) », lequel semble d’ailleurs plus prisé que le wassay ».
Au fil des siècles la tendance s’est inversée et comme au Brésil, les Guyanais sont devenus de grands consommateurs de jus de wassaï, bien plus que de jus de comou. Une industrie agroalimentaire et cosmétique se développe petit à petit autour des graines de ces palmiers et de bien d’autres d’ailleurs.
On remarquera aussi que le terme pinot n’est plus guère usité dans les conversations courantes, il est question de wassaï (probablement dérivé du terme brésilien açaï).
(Source : avril 2023 : exposition et conférence à la Maison des Cultures et des Mémoires de Guyane : Histoire du fait alimentaire en Guyane de la période pré colombienne à jours)