Mules : "on peut dire non". Le 12 mars, la préfecture de Guyane a lancé une nouvelle campagne de communication contre le trafic de stupéfiants, fléau qui gangrène depuis des années le territoire. Dans les prochains mois, une quinzaine de courts-métrages d’environ deux minutes seront progressivement diffusés sur les réseaux sociaux et au cinéma Agora, à Matoury.
Les vidéos laissent la parole à des mules repenties, des médecins, ou encore des acteurs du monde judiciaire. L’initiative a d’ailleurs été lancée par l’ordre des avocats de Guyane, ces derniers étant très sollicités par des jeunes souvent mal renseignés.
"Éveiller les esprits"
Les clips centrés autour de témoignages forts, à la fin desquels s'affiche, sur fond de musique dramatique, un message rappelant les peines et les risques encourus, se revendiquent d'une "approche pédagogique".
"L’objectif c’est d’éveiller les esprits et de faire comprendre aux jeunes que la drogue ce n’est pas de l’argent facile mais qu'il peut y avoir des conséquences dramatiques, des projets de vie qui s'effondrent, des démarches administratives bloquées même après avoir arrêté de faire la mule".
Émilie Grand-Bois, présidente de l’Association pour la protection et l’accompagnement de la mère et de l’enfant en Guyane (Apameg), ayant participé a la réalisation de la campagne.
Entre autres témoignages, on peut y entendre un détenu condamné à trois ans de prison pour trafic de stupéfiants raconter, visage flouté face caméra qu’il "regrette" avoir "perdu une quinzaine d’années de vie". Après avoir rappelé que les mules "étaient tout le temps en danger" et "ne se font pas d’argent", citant des cas où il s’est fait escroquer par ses employeurs ou braquer par d'autres trafiquants.
Les risques pour la santé, font aussi partie des éléments majeurs sur lesquels est axée la campagne. "Dès qu'un ovule se fissure ou éclate, ce qui arrive souvent hors de l’hôpital : c'est presque la mort assurée", détaille dans l'un des clips, Thimotée Bonifay, médecin en milieu pénitentiaire. Enfin, plusieurs interlocuteurs interpellent sur le "harcèlement" dont sont victimes les familles, en cas d'échec de la "mule", ou lorsque celle-ci décide de quitter le circuit.
Urgence sociale
Loin de relever du simple choix individuel, le phénomène des "mules" tient avant tout aux réalités socio-économiques du territoire. Dès 2018, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) rappelait dans une étude que le transport de cocaïne constituait avant tout un moyen de "faire face à une situation d’urgence sociale", dans un contexte "d’infrastructures scolaires, sociales et sanitaires insuffisantes".
"Avant de faire la mule, certains jeunes frappent à de nombreuses portes pour résoudre leurs difficultés mais ils se heurtent a un manque criant de dispositifs d’accompagnement adaptés. Les travailleurs sociaux sont souvent démunis, sans moyens efficaces pour les aider. Et le trafic peut apparaître comme la ‘solution rapide’ alors que ça mène à une impasse."
Émilie Grand-Bois, présidente de l'Apameg
En 2017 (les chiffres commencent à dater mais ce sont les derniers disponibles), l’Insee estimait qu'en Guyane, 73,9 % des moins de 30 ans vivaient sous le seuil de pauvreté. Dans le détail, 27, 4 % d’entre eux, se débrouillaient avec moins de 790 euros par mois, sans compter les jeunes sans-abri, exclus des statistiques.
Dans un rapport parlementaire publié en 2020, l’ancien sénateur Antoine Karam, estimait à ce titre que la lutte contre le trafic de stupéfiants nécessitait, plus qu'un énième volet répressif, « une impulsion forte pour soutenir le développement de son territoire et donner des perspectives d'avenir à sa jeunesse ».
En 2025, cette nouvelle campagne de communication, vient donc, en creux, nous rappeler que le trafic de drogue continue, année après année, d’être vue comme la seule solution accessible.
« Participer à cette campagne, c’est un moyen pour nous d'aller sensibiliser les jeunes mais surtout de rappeler qu’il faut renforcer les moyens alloués à la prévention, à l’accompagnement social et à la construction de véritables perspectives pour les plus vulnérables », résume Emilie Grand-Bois.