Roland Brival a choisi de mettre en scène Léon Gontran Damas à New York dans les années 30. Une période clé : les noirs américains se battent contre la ségrégation, pour leurs droits civiques et la reconquête de la fierté raciale.
Léon Gontran Damas arrive de Paris, où avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, il milite contre l'assimilationnisme et critique le colonialisme. Ils viennent de créer la revue l’Etudiant noir. Mais tout cela, ce ne sont que des mots.
Dans la réalité de la ségrégation
Damas a quitté la France sur un coup de tête, Aimé Césaire est rentré en Martinique, le Guyanais s’ennuie et décide de gagner les Etats Unis. Epris de justice, engagé dans un mouvement de conscientisation, la Négritude, il veut rencontrer les organisations afro-américaines. Il est évidemment logé à Harlem, en plein Manhattan. Dès son arrivée, en prenant le bus, il est choqué, les places de devant sont reservées aux Blancs.
En France, cela n’existe pas, le racisme se lit uniquement dans les regards. Là, il est dans la réalité cruelle de la ségrégation. Les Noirs vivent dans des quartiers réservés, occupent des emplois modestes. Des tensions, des émeutes émergent. C’est une lutte sans merci.
La rennaissance nègre
L’écrivain activiste arrive à Harlem. Harlem dans l’entre-deux guerres, haut lieu culturel des Afro-Américains mais aussi des expatriés. Le quartier est bouillonnant, énergique. Artistes, intellectuels de la diaspora se côtoient, se mélangent et forment la renaissance nègre, un mouvement d’une résonance internationale.
C’est le lieu de toutes les révolutions, de tous les espoirs, de tous les excès. Damas rencontre un nouveau monde, sa vision s’élargit. Ces impressions, Damas les raconte à Cesaire dans une longue lettre.
Le lecteur emporté
Damas prend contact avec l’Association nationale pour le progrès des gens de couleur, le célèbre N.A.A.C.P, et d’autres organisations. Il rencontre le poète Langston Hughes figure majeure du mouvement culturel afro-américain, la chanteuse de jazz Billy Holiday, qui l’introduisent dans les cercles fermés des intellectuels noirs américains. Il s’immerge dans leurs cultures, le jazz notamment le bouleverse. Le lecteur est emporté avec lui.
Un roman vivant, foisonnant
L’auteur nous plonge dans la vie rêvée de Damas à New York, et cela prend. Le style est fluide et réaliste et restitue avec sensibilité l’atmosphère de Harlem. Le héros est familier, attachant, et le cheminement des rapports avec Aimé Cesaire et Senghor devient plus clair.
Damas fait de la politique, tombe amoureux, écrit des poèmes, vit la nuit au rythme du jazz d’Eroll Garner et de Charly Parker. Un parcours initiatique. Sa conscience évolue, se nourrit, il se proclame métis, ouvert entremêlant poèmes et réflexions. Nostalgique, Il évoque son déracinement, son enfance guyanaise. Un roman vivant et foisonnant.
"Le Nègre de personne" de Roland Brival paru chez Gallimard
Le coup de cœur du libraire : "Idée pour retarder la fin du monde" de Ailton Krenak aux éditions Dehors
Les peuples autochtones d'Amérique du Sud ont connu une forme de fin du monde au xvie siècle après l'invasion de leurs terres par les Européens. Dans ce petit livre Ailton Krenak, figure éminente des luttes autochtones du Brésil, se demande en quoi cet héritage ne pourrait pas fournir un regard averti pour affronter les conséquences du nouveau régime climatique de l'Anthropocène.Tout compte fait, ne serait-ce pas plutôt les peuples autochtones, par leurs ancestrales stratégies de résistance, qui pourraient indiquer une voie susceptible de retarder l'avancée « du désert et de la dévastation » engendrée par le surdéveloppement technocapitaliste.
"Idée pour retarder la fin du monde" de Ailton Krenak aux éditions Dehors