Pêche illégale : la Guyane, victime du commerce international des vessies natatoires d’Acoupa Rouge

Un stock de vessies natatoires d’acoupa rouge sur le pont d’un navire clandestin, au large d’Iracoubo en septembre 2020
C’est un commerce très lucratif qui contribue au pillage des eaux guyanaises. Prélevées d’abord par les pêcheurs clandestins en Guyane, les vessies natatoires d’Acoupa rouge sont vendues au Surinam et au Brésil, puis commercialisées à prix d’or en Asie. Une étude du Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins, financée par le WWF, s’est penchée sur le sujet.
Un pêcheur clandestin tient dans sa main une vessie natatoire d’acoupa rouge, au large d’Iracoubo en septembre 2020

C’est à fois un atout et une vulnérabilité pour la Guyane : l’acoupa rouge (Cynoscion acoupa) est la première espèce pêchée le long des 378 kilomètres de côtes de ce territoire français d’Amérique du sud. Un atout, car c’est une espèce très appréciée par les consommateurs locaux, préparée de multiples façons, notamment en « pimentade ». Mais c’est aussi une vulnérabilité, car la vessie natatoire de l’acoupa – une poche interne qui permet au poisson de contrôler sa flottabilité dans l’eau  est très prisée sur le marché asiatique, devenant une source de profit conséquente pour les pêcheurs clandestins qui sévissent depuis plus de trente ans au large du territoire. 

« Nous nous payons avec les vessies natatoires »

En septembre 2020, nous étions montés à bord de trois bateaux clandestins, venus du Surinam, au large de la commune d’Iracoubo, dans l’ouest guyanais. Sur le pont de l’un d’entre eux, on notait une bonne quinzaine de sacs en plastique remplis de vessies natatoires fraiches d’acoupa rouge. Vendue fraîche au Surinam ou au Brésil entre 140 et 180 euros le kilo, la vessie assure la rentabilité de la pêche illégale, comme nous l’avait expliqué un capitaine d’origine guyanienne, travaillant, disait-il, pour un patron basé à Paramaribo.

On a au moins quatre mille dollars américains de dépenses par voyage, le carburant, la glace la nourriture… Le poisson couvre les dépenses et nous nous payons avec les vessies natatoires

nous avait-il indiqué.

Un mets de choix en Chine

Une récente étude permet d’en savoir plus sur le commerce des vessies natatoires à partir du plateau des Guyanes. Elle a été réalisée par Siyu Lam, étudiante en master à l’Université Libre de Bruxelles, pour le Comité Régional des Pêches Maritimes de Guyane. Débarquée au Surinam ou au Brésil, une fois séchée, la vessie est exportée vers Hong-Kong, l’un des principaux lieux d’importation de ce produit, où il est déclaré en douane à mille euros le kilo. En Chine, la vessie natatoire est un mets de choix, revendu plusieurs milliers d’euros sur le marché local.  

Dans la culture cantonaise, on croit que chaque aliment a sa valeur médicale et que la vessie, selon l’espèce, peut rapporter pas mal de bienfaits pour la santé

explique Siyu Lam, à l’issue d’une présentation de son mémoire en juin au Surinam.

Toujours selon l’étude du CRPEM, 24 % des vessies natatoires importées à Hong-Kong viennent du Brésil, du Surinam et du Guyana. Cela représente près de 94 millions d’euros en moyenne chaque année de 2015 à 2022.

Nous n’avons n’a pas les données de la Guyane à partir des statistiques d’importation de Hong-Kong et donc cela pourrait être intéressant de savoir où se situe la Guyane dans ces 24 %

ajoute Siyu Lam.

Organiser le marché des vessies natatoires en Guyane 

Les vessies natatoires sont aussi une source de revenus importante pour les pêcheurs légaux en Guyane, mais le marché n’est pas régulé, l’essentiel des  ventes se faisant à des acheteurs qui revendent ensuite dans les pays voisins. Le comité des pêches veut organiser ce marché. « Si on agit ensemble avec un label avec tout ce qu’il faut, on peut réglementer et pousser vers la légalisation de la vente de la vessie natatoire et valoriser davantage la filière pêche guyanaise », argumente Léonard Raghnauth, président du CRPEM. L’idée est de vendre directement à Hong Kong les vessies natatoires prélevées par la pêche légale, dans la limite d’une gestion durable des stocks d’acoupa.  

« L’acoupa, espèce en danger »

« Le dernier rapport de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a classé cette espèce comme vulnérable, avec un déclin estimé à 30 % ces vingt dernières années », alerte l’étude de juin 2024 sur « l’estimation de la pêche illégale étrangère en Guyane française », menée par le Comité Régional des Pêches, l’Ifremer et le Fonds Mondial pour la Nature, financée par l’Etat français. La « prise en compte » d’une « forte hypothèse d’activité de pêche illégale étrangère » (…) « met l’espèce en danger et rend ainsi l’effort de pêche total actuellement exercé sur cette ressource non durable », ajoute l’étude.  Selon ce rapport, plus de la moitié des captures opérées par les navires clandestins sont des acoupas. Sur la base des données issues de la lutte contre la pêche clandestine et de survols menés par le WWF, ce rapport inédit émet l’hypothèse que « l’effort de pêche des navires côtiers illégaux aurait doublé au cours de la dernière décennie ».