Quelques tables, des enceintes, et une piste de danse improvisée. Les mélodies afghanes, syriennes, et saharouies se mêlent aux musiques occidentales et aux cris des dizaines d'enfants jouant sur la piste de danse improvisée. A quelques mètres, une grande soupe de légumes mijote a même le sol, entre deux appareils de musculation.
En cette soirée du 13 avril, un véritable bouillon de cultures animait le Boxing Club Montjoly, dont les locaux sont situés en contrebas du camps de réfugiés de la Verdure, en périphérie de Cayenne. L'association sportive organisait une fête pour célébrer l’Aïd el Fitr, date qui marque la rupture du jeûne dans l’islam.
Un événement a destination des 350 migrants qui vivent quelques centaines de mètre plus haut, dans le camp géré par la préfecture de Guyane depuis leur évacuation, en novembre, de la place des Amandiers, dans le centre de Cayenne.
"On voulait marquer le coup, histoire qu’il y ait aussi des moments de détente dans la vie du camp, qu’on puisse partager un moment de convivialité avec pas grand-chose, un peu de musique, une grande soupe et quelques gâteaux",
Sarah, bénévole et coorganisatrice de la fête
Cette soirée festive, organisée de concert avec l’association d’insertion sociale Upaya s’inscrit dans un réseau de solidarité qui est né dès l'origine du camp. "Depuis plusieurs mois, nous organisons des activités, une fois par semaine, essentiellement pour les enfants. Nous avons aussi mis en place des cours de langue le samedi", explique Erwan Gourmelen, le président du club de boxe.
"Comme un festival"
"Une soirée comme ça, ça casse la routine, ça casse le stresse qu’on a au camp. Ça nous permet de vivre un peu, de chercher du bonheur", confie Kamal, un sahraoui arrivé il y a huit mois et dont la demande d’asile n’a pas encore été acceptée. L’occasion est celle, aussi, de découvrir, les autres communautés vivant à la Verdure et d’apprendre à se connaître, dans des conditions plus agréables.
"Ce soir, c’est comme un festival. Chaque personne de son pays montre son folklore comme la danse dabkeh [une danse de groupe folklorique originaire du Levant NDLR]. C’est bien, de pouvoir organiser ça", abonde Mazen, ex professeur de français ayant fui la Syrie, arrivé il y a un mois en Guyane.
Si de tels événements montrent une facette positive et humaine de la vie des réfugiés, la réalité du quotidien reste très difficile, entre l’inquiétude pour les familles restées au pays, la lassitude face aux démarches administratives et surtout, les conditions précaires d’accueil.
"On ne les voit plus par ce qu’ils vivent un peu loin de tout mais dans les faits, la situation reste la même qu'aux Amandiers. Ça reste des bâches et des palettes donc dès qu’il y a des grosses pluies, c’est délicat. Et au niveau hygiène, c’est une catastrophe, il n’y a pas assez d’eau pour tout le monde, elle n’est pas potable. Oui, il y a eu de petites avancées mais les conditions restent complétement insalubres"
Valentine Alt, présidente d'Upaya
Dans son dernier communiqué, la Cimade va jusqu’à parler de "camp bidonville géré par l’Etat". Quelques améliorations sont tout de même à noter, notamment à la suite de l’ordonnance prise par le tribunal administratif de Cayenne le 5 février 2024 qui enjoignait l’Etat de créer quatre points d’eau potable, huit toilettes et six douches supplémentaires.
Une partie des nouvelles infrastructures sanitaires a été mis en place depuis et les travaux nécessaires à l’arrivée de l’eau potable sont en passe d’être achevés.
Cela reste pourtant bien trop peu au goût des associations qui réclament le relogement des personnes en dur, et, à minima, l’ouverture des bâtiments publics présents sur le site - des locaux appartenant à la préfecture qui ne servent actuellement qu'aux activités des associations intervenantes.
262 personnes relogées en quatre mois
Le 22 mars, le Conseil d’Etat, saisi en référé par les associations, a fermé la porte à des mesures d’accueil supplémentaires estimant en substance que l’Etat faisait déjà ce qu’il pouvait avec les moyens dont il disposait.
Si la Guyane ne dispose toujours pas de Centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), le nombre de places d'hébergement pour les demandeurs d'asile (HUDA) en Guyane a été multiplié par cinq ces quatre dernières années, atteignant environ 1 000 places.
Deux nouveaux centres HUDA de 50 et 100 places doivent quant à eux ouvrir dans les prochains mois. Enfin, 262 personnes ont été réhébergées entre le 1er novembre 2023 et le 8 mars 2024.
Des "mesures d’urgence" trop faibles et symptomatiques d’une "absence de politique de long terme", commente-on du côté des associations actives sur le terrain avant de rappeler que la Guyane ne s’est toujours pas doté d’un schéma régional d’accueil des demandeurs d’asile.
"On voit bien qu’au camp de la Verdure, les associatons comblent encore clairement les manquements de l’Etat, rappelle Valentine, d’Upaya. Ce n’est pas par ce qu’il y a des gens qui font des dons, apportent des colis alimentaires et organisent des événements qu’on peut laisser la situation comme ça."