Une pirogue à voile au cœur du lagon de Papara. Elle s’avance à la force des bras et au gré du vent. Au bord de plage, des femmes vêtues d’une jupe de more, maquillées de noir autour des yeux et de rouge sur les lèvres, les cheveux lâchés et une lance à la main, se tiennent droites. Le va’a traditionnel s’approche vers le rivage, au son du pu et des pahu. Le temps paraît suspendu, l’instant figé dans un moment où la tradition vit, s’exprime et s’associe à un événement mondial.
Sur l’embarcation, la maire de Teahupoo, Roniu Poare. Portée par deux tane jusqu’au sable, elle tient dans sa main le hue qui contient l’eau de mer de la passe de Hava’e. La cérémonie d’ouverture des JO 2024 à Atimaono s’ouvre par cette scène. Une ouverture par la mer, l’océan, le lagon. La symbolique prend tout son sens dans un moment où un territoire perdu au milieu du Pacifique et entouré d’eau, accueille les épreuves de surf des Jeux Olympiques.
L’effervescence monte, les spectateurs attendent patiemment sur les gradins l’arrivée des sportifs, les musiciens rythment l’attente. À quelques mètres, les athlètes des délégations du monde entier, ils sont tous présents pour célébrer cette discipline qui aujourd’hui les réunit. Emmenés par les porteurs de drapeaux, les sportifs entrent sous le chapiteau sous les ovations des badauds venus assister au spectacle. “Quand ils sont tous arrivés, quand ils ont été présentés, l’émotion était forte. De voir tous ces athlètes ici sur une petite île, sur cette petite graine qu’on représente sur la planète, c’est magique”, confie Tehani, assise aux premières loges.
“Ils ont la tour Eiffel, nous avons les montagnes de Tahiti. Ils ont la Seine, nous avons le plus beau lagon du monde”. Perché sur la scène où les officiels défilent pour leur discours, Moetai Brotherson savoure son plaisir. Le chef du gouvernement est un président heureux. Ce vendredi, il célèbre deux évènements : l’ouverture des JO et l’inscription des Marquises au patrimoine de l’UNESCO. La nouvelle est arrivée ce matin et ne pouvait mieux tomber. “Je suis doublement heureux : cette cérémonie et la célébration de l’UNESCO. Le travail va commencer, il faut maintenant faire vivre cette inscription, il faut s’occuper des sites et mettre en place toutes les règles inhérentes à cette inscription”.
Un autre homme est heureux en ce jour où le soleil s’est invité pour ne jamais repartir. Moerani Frébault, tout nouveau député et premier Marquisien à siéger à l’Assemblée nationale, est lui aussi présent. “C’est une nouvelle ère qui va ouvrir la porte à de grandes choses pour l’archipel et la Polynésie. On a fait un immense pas avec cette inscription. Maintenant, on va devoir se voir, mettre en place un comité de gestions, s’organiser, travailler”, explique le trentenaire interrompu par des spectateurs venus le féliciter pour cet autre moment historique de la journée. Un moment historique qui sera fêté lundi 29 juillet dans la tradition au cœur des jardins du Haut-commissariat.
Au milieu d’une haie d’honneur, chaque nation apporte son sable et le dépose dans un grand vase exposé au milieu de la scène à l’extérieur du chapiteau. Pérou, Salvador, Etats-Unis, Australie, Chine, Japon, Canada… 21 pays sont représentés pour cette épreuve de surf, qui fête sa deuxième participation aux JO. 21 nations qui ont apporté les grains de leur plage pour se mélanger ensemble et ne faire plus qu’un. “Ce mélange de sable de toutes les délégations, c’est comme une communion mondiale”, confie Stéphane, assis sur les gradins et accompagné de ses petits-enfants pour vivre ce moment en famille.
La première fois que cette cérémonie a eu lieue c’était aux Jeux de Tokyo en 2021. Junya Oishi faisait partie de l’organisation. Ce Japonais, aujourd’hui coach de la Team Japon, a les yeux qui pétillent. “C’est extraordinaire de voir cette cérémonie ici, c’est tellement différent de Tokyo où le covid avait pris le dessus et mis de la distance. Là, on est uni autour de la culture et du surf. C’est assez fou à voir”.
Les grands noms du surf défilent devant le regard des spectateurs et médias du monde entier, mais ceux qui sont acclamés par la foule sont les Français, et en particulier les deux Polynésiens. Avec son sourire constant et sa joie enivrante, Vahine Fierro est celle qui porte le sable. La reine de Teahupoo qui a remporté avec brio la Tahiti Pro 2024, est entourée de Kauli Vaast, Johanne Defay et Joan Duru, les trois autres surfeurs qualifiés.
Au total, ce sont 48 athlètes présents. “C’est une fierté de voir tous ces surfeurs présents à plus de 16 000 km de Paris où se déroule la cérémonie d’ouverture des JO. C’est une grande première que le défilé se passe, aussi, par discipline et non par nation. Aujourd’hui, on veut que le monde entier sache que le surf est inscrit dans les JO”, estime Babara Martins-Nio.
La responsable du site de Tahiti pour le Comité d'organisation des Jeux Olympiques 2024 ne cache pas sa joie et son émotion après une cérémonie culturelle intense en émotions. “Ce qui m’a touché vraiment, c’est ce mélange entre la culture, le sport, un protocole allégé sans que l’un ne prenne le dessus sur l’autre”.
Rahiri, orero, chants, danse… Une ode à la culture polynésienne qui a marqué aussi la grande cérémonie de Paris. Comme un bouquet final à cette célébration polynésienne, les délégations ont été présentées en direct à Paris grâce à la retransmission de France Télévision. Stéphane n’en a pas raté un seconde. Comme si le temps s’était figé, la Polynésie avec son lagon, son sable noir, ses couronnes de fleurs est apparue aux yeux du monde près de la tour Eiffel où les Jeux Olympiques étaient à la fête.
“C'est magique de voir défiler les athlètes sur la Seine et en même temps d’avoir cet évènement ici a Papara, un évènement unique. Il fallait que je sois là aujourd’hui”, raconte le quinquagénaire encore ébahi par l’organisation de ces cérémonies. Le fruit d’un travail de longue haleine. Il aura fallu quatre mois de préparation pour les équipes de Tahiti. Les artistes ont été dirigés par une femme de talent, Heimoana Metua, chef de troupe de Teva i Uta, et grande maîtresse de cette cérémonie polynésienne. “Ouf c’est fini ! Je suis contente et heureuse, tout s’est bien passé ! Il y a eu quelques imprévus mais rien qui n’ait gâché la fête. Et terminer avec Paris, c’était magnifique”.
Toutes les petites mains de la cellule de Tuaro Nui ont contribué à faire de cette fête l’une des emblématiques des Jeux Olympiques de Paris 2024. “On a eu des grands moments de doute mais on y est arrivé ! Je suis fière de mes équipes, fière d’avoir réussi à défendre les intérêts de notre population.”, lance Nahema Temarii, la ministre des Sports, soulagée aussi que cet événement était une réussite. Même si dans le public, certains regrettent qu’il n’ait pas eu lieu à Teahupoo, site des épreuves de surf des JO.
“C’était très beau mais c’est dommage que ce n’était pas chez nous, on est de la presqu’île, ça se passe chez nous, on aurait bien aimé avoir cette cérémonie”, estime Rose aux côtés de sa fille qui repart néanmoins de cette fête avec le sourire et la fierté d’être Polynésienne. Elle est loin d’être la seule. Parmi le public, le président de la fédération française de surf. “Le mana est avec nous. Je crois qu’il va falloir s’en inspirer, partout”, raconte Jacques Lajuncomme marqué par le sourire, les odeurs de tiare et cette ode à la culture polynésienne. Une ode qui a marqué les esprits de cette cérémonie d'ouverture des JO 2024 à Tahiti.