L’affaire Marny passée au crible

Dans un ouvrage rassemblant des témoignages inédits, ponctués de commentaires et d’analyses, l’ethnologue Marlène Hospice décrypte le destin funeste du Martiniquais Pierre Just Marny, qui détient le record d’incarcération en France.
Dans la nuit du 6 au 7 août 2011, le jour de son anniversaire, un homme se suicidait dans la maison d’arrêt de Ducos dans le sud de la Martinique. Agé de 68 ans, il venait de passer 48 ans en prison pour un triple meurtre, commis en 1965 en Martinique lors d’une permission de sortie alors qu’il était déjà incarcéré pour vol. Pierre Just Marny était le plus ancien détenu de France.

Au travers de multiples témoignages de personnes (avocats, gendarmes, journalistes, proches…) qui l’ont côtoyé, l’ethnologue Marlène Hospice – elle-même martiniquaise – qui a rencontré Marny dans les années quatre-vingt, restitue l’itinéraire tourmenté de l’assassin qui a défrayé la chronique dans les années soixante et en mars 2008, lors de son transfert de l’Hexagone à la Martinique.

On sort de cet ouvrage perplexe devant le fonctionnement de la machine judiciaire, où l’on voit qu’un gamin marginal et impulsif de vingt ans – qui devient un assassin certes, mais dans des circonstances complexes – est condamné à mourir à petit feu, broyé par le système, jusqu’à ce qu’il décide d’en finir par lui-même.

L’affaire Marny avait eu un retentissement énorme dans l’île, cristallisé et déchaîné des frustrations latentes, dirigées principalement contre la loi de la métropole et ceux qui l’incarnaient, les gendarmes et les magistrats. Pour une certaine frange de la population, Pierre Just Marny, surnommé « la panthère noire » à cause de son physique impressionnant, était un héros, un résistant du peuple contre l’oppression néo-coloniale. C’était pour beaucoup une victime du système, de la pauvreté et de la violence sociale qu’elle engendrait. Il symbolisait le nègre marron, l’esclave en fuite qui échappe à ses maîtres.

L’arrestation de Marny dans le quartier populaire de Sainte-Thérèse à Fort-de-France avait d’ailleurs provoqué trois jours d’émeutes, et, pendant sa cavale d’une semaine, il avait bénéficié de certaines complicités.

Marlène Hospice a interrogé les acteurs et les témoins clés de ces événements, en revenant sur la personnalité singulière de Marny et le climat passionnel qui régnait à l’époque. Elle témoigne de la frénésie médiatique qui s’empare de l’île, rappelant l’impact sensationnaliste du quotidien France Antilles Martinique (et au passage l’héritage très droitier de son fondateur Robert Hersant), qui s’installe définitivement et durablement dans le paysage de la presse écrite grâce à l’affaire Marny.

L’auteur s’interroge également sur l’acharnement judiciaire dont Marny a été victime. Délocalisation du procès : Marny est transféré à Paris dès novembre 1965, deux mois après son arrestation, pour y être jugé. Il sera complètement coupé de sa famille, qui demeure à la Martinique. Placement en QHS : considéré comme très dangereux, Marny passera une large partie de sa peine dans les quartiers de haute sécurité, soit 23h par jour en cellule d’isolement. Après des années de ce traitement, Marny finira dans le circuit de l’internement psychiatrique. Encore lucide cependant, puisqu’il ne cessa jamais de demander sa libération conditionnelle et son transfert à la Martinique.

« Pourquoi Pierre Just Marny, qui avait enfin obtenu son transfert à la Martinique en 2008 après quarante-trois ans de prison dans l’Hexagone, n’a-t-il pas réussi à obtenir la libération conditionnelle à laquelle il avait largement droit depuis près de quinze ans ? » s’interroge Marlène Hospice, rappelant les lois qui régissent les longues peines en France. « La mort de Marny n’éteint pas les polémiques sur un traitement pénitentiaire et judiciaire plus qu’incompréhensible : injuste », conclut-elle.