Le délabrement des lycées calédoniens interroge quant à l'utilisation de la dotation allouée par l'Etat

Les lycées professionnels Petro-Attiti et Auguste-Escoffier ont tous les deux près d'un demi-siècle. Leur vétusté à de nombreuses conséquences.
Vétusté des lycées et capacité à assumer des compétences transférées par l'Etat. C'est l'objet de ce dossier consacré à la dotation aux établissements du second degré, en Nouvelle-Calédonie. Entre 10 à 80 % de l'argent versé par l'Etat est alloué au budget dédié. Une pratique qui dure depuis 10 ans, alors que des infrastructures sont de plus en plus en souffrance.

La face cachée des établissements du second degré laisse songeur. C'est pourtant un environnement que les enfants et les personnels enseignants et agents d’entretien doivent endurer au quotidien, en Nouvelle-Calédonie. En voici deux exemples, à Nouméa.

Au lycée Pétro-Attiti

A l’atelier de menuiserie du lycée professionnel Petro-Attiti, à Rivière-Salée, la toiture a de gros soucis d’étanchéité. Les inondations sont récurrentes. Faute de moyens, il s'agit de parer au plus pressé. "Nous mettons un seau dessous. Certains skydomes ont été refaits très récemment mais, malheureusement, à cause de l'âge de l'établissement, ceux qui ne l'ont pas été se mettent également à fuir. Tant que la rénovation totale des toitures n'aura pas été faite, nous aurons ce souci et nous savons que cela prendra un peu de temps", révèle Jean-Luc Barnier, son proviseur.

Idem pour la remise en service de plusieurs machines-outils à l’arrêt, depuis des lustres, pour raison de sécurité. En attendant, les élèves doivent s’en passer. Les tentatives d’éclairer les sombres couloirs par de la couleur sont juste une manière de cacher les trous dans le plafond. L’établissement accuse le poids de son presque demi-siècle. Le lycée a pourtant bénéficié d'un contrat de développement, depuis 2018. Pas moins de 750 millions de francs CFP ont été consacrés à la réfection de l’internat, d’un bâtiment et du réfectoire flambant neuf, mais, déjà, il faut composer avec les malfaçons.

Nous avons des problèmes d'infiltration et après de condensation qui ont un impact sur les parties électriques. Nous sommes obligés de laisser aérer.

Jean-Luc Barnier, proviseur

"Cela a été livré et refait il y a 3 ans. Il y a des malfaçons sur lesquelles il faut intervenir. Des rafistolages ont été menés pour éviter que l'eau ne tombe", poursuit le chef d'établissement.

Au lycée Auguste-Escoffier

Même constat au lycée professionnel Escoffier, à l'Artillerie. Côté rue, la façade a belle allure. Mais pour les 1 100 élèves, l’envers du décor dévoile le délabrement de nombreux bâtiments, pour lesquels aucun crédit d’entretien n’est prévu. "Le bâtiment date à peu près d'une cinquantaine d'années. L'obsolescence des locaux fait que nous pourrions toujours les entretenir au mieux, avec les agents du lycée, mais cela sous-entend une rénovation parfois complète de certaines parties du bâtiment", témoigne Christophe Berger.

Une dotation annuelle de 1,2 milliard de francs prévue

Lors du transfert de compétence de l’enseignement public du second degré, en 2012, la Nouvelle-Calédonie a bénéficié d’un accord des plus généreux de la part de l’Etat. Ce dernier assurait les 50 milliards de francs de salaires aux 4 800 agents et en complément des contrats de développement, une dotation annuelle de 1,2 milliard de francs était prévue pour l’entretien et le fonctionnement. Ce budget était arrêté par le gouvernement et adopté au Congrès. Hélas, si chaque année l’Etat verse sa quote-part, les dotations réelles se situent entre 1 milliard et 35 millions de francs. Où va la différence ? C’est à la discrétion de nos élus.

"Le problème, c'est que nous recevons cela dans une enveloppe globale et il n'est pas précisé que cette somme de 1,2 milliard doit aller à l'investissement des lycées", explique Isabelle Champmoreau, membre du gouvernement en charge de l'enseignement.

C'est la Nouvelle-Calédonie qui décide, dans son propre budget, d'affecter une partie de ces crédits

Isabelle Champmoreau, vice-présidente du gouvernement

Du côté du vice-rectorat, c'est le même discours convenu quant au manque de moyens constaté qui prévaut. "Nous avons un budget d'investissement et de fonctionnement et mon rôle est, d'une part, de faire remonter les besoins en termes budgétaires et, d'autre part, une fois que le budget est voté, d'en faire le meilleur usage en fonction des besoins des établissements", assure Erick Roser, vice-recteur et directeur général des enseignements.

Un impact sur le climat scolaire

En clair, il faut faire d'abord avec les sommes disponibles, d'autant que les besoins des établissements sont énormes. Ainsi, les 300 millions de francs inscrits au budget supplémentaires seront prioritairement affectés à la sécurité. Cela est bien insuffisant pour des enseignants et des élèves fatigués du système D. "Nous avons un service public dont le personnel est motivé, mais on lui demande de plus en plus de faire appel à un système D et cela finit par agir sur le climat scolaire", pointe Jean-Louis Guilhem, secrétaire territorial du Syndicat national de l'enseignement technique action autonome (SNETAA-FO).

Pourtant il n’est pas un seul élu, de quelque gouvernement passé ou présent, qui ne souhaite pas optimiser les conditions d’études des jeunes calédoniens. A défaut, comment exiger travail, motivation et exemplarité, dans un environnement dégradé ? Pas si simple d’assumer des compétences quand bien même on nous en donnerait les moyens.

Le reportage de Bernard Lassauce, Cédric Michaut et Franck Vergès :

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