C’est comme si c’était hier. En ce mois de novembre 1992, une opération "Île morte" est déclenchée en Guadeloupe et en Martinique. Plusieurs centaines d’exploitants et d’ouvriers agricoles de la filière bananière investissent les pistes des deux aéroports, une première historique. Le trafic aérien est totalement suspendu, même pour les évacuations sanitaires et l’acheminement des médicaments. Les routes d'accès à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et à Fort-de-France (Martinique) sont bloquées durant quelques heures. La pénurie de carburant est rapidement ressentie. Les préfets sont totalement débordés.
La coordination agricole, à l’origine du mouvement, reproche au gouvernement socialiste du président François Mitterrand de ne pas entendre leur détresse. Pourtant, le ministre des départements et territoires d’Outre-mer, Louis Le Pensec, avait assuré les planteurs de son soutien pour obtenir de nouvelles garanties quant à l’écoulement régulier et rémunérateur de leur production sur le marché français de la banane.
Des paroles rassurantes certes, mais insuffisantes, estiment les planteurs. Ils réclament des mesures de compensation des pertes après la mévente de leurs fruits, et surtout, la création d’un dispositif pérenne de protection de leurs exportations vers l’Europe. Leur inquiétude se fonde sur le dumping - la vente massive à bas prix - exercé depuis quelques semaines par leurs concurrents français et américains disposant de gigantesques plantations au Cameroun et en Côte d'Ivoire.
Les consommateurs boudent la banane française
Logiquement, les consommateurs se détournent de la banane française. Ce faisant, la faillite de la filière est imminente. Ce scénario catastrophe ne survient pas. Au terme de quatre jours de négociations avec la commission européenne, le gouvernement français obtient que l’organisation commune des marchés (l’OCM Banane) entrant en vigueur le 1er juillet suivant, garantisse l’écoulement de la production des Antilles. Le gouvernement a cédé sous la pression des planteurs, les plus grands en tête.
Ces trois dernières décennies, l’OCM Banane a fortement contribué à modifier les conditions de production de cette denrée tropicale. Le nombre d’exploitations a été divisé par deux, mais les surfaces plantées se sont maintenues. La concentration des terres a favorisé les plus grands planteurs.
Leur rémunération globale a augmenté, essentiellement grâce aux subventions européennes du POSEI (Programme d’orientations spécifique à l’éloignement et à l’insularité). Des crédits publics captés par la filière à 80%. En outre, ces subventions couvrent à quasiment 100% les coûts d’exploitation de la filière.
Le prix de la banane flambe en Europe
Trente ans plus tard, l’avenir de la filière demeure cependant incertain. Ne serait-ce que parce que son prix de vente à l’export est en train de flamber. Plusieurs composantes entrant dans sa production et dans sa vente alourdissent le prix de revient de la banane : le fret maritime, le carton d’emballage, les engrais et sous peu, l’électricité servant à alimenter les mûrisseries.
Alors qu’elle est le deuxième fruit le plus consommé en France après la pomme, son prix devrait augmenter d’environ 20% l’année prochaine. Un scénario qui ne réjouit pas son interprofession. Cité par Le Figaro, son président Philippe Pons estime que le kilo passera sur les étals de 0,99 euro à 1,20 voire 1,30 euro bientôt.
En dépit de cette fragilité structurelle, les réflexions de notre élite économique et de nos dirigeants politiques sur la réorientation de l’agriculture antillaise demeurent trop rares. Pourtant, en cette période d’incertitude, il serait opportun d’élaborer des plans de modernisation de notre économie.