Djo Dézormo (de son vrai nom Joseph Gros-Désormeaux), est décédé dimanche soir (10 octobre 2021) chez lui à la cité En Camée à Rivière Pilote auprès des siens.
Né en février 1945 d’une fratrie de 7 enfants (4 garçons et 3 filles). Il était le frère de l’éditeur engagé au service de la connaissance de nos sociétés, Emile Désormeaux (décédé) et du clarinettiste Michel Godzom.
Il a reçu une éducation stricte de ses parents qui étaient commerçants à Rivière Pilote.
Souvent malade, il terminera ses études avec un BEPC et un Brevet élémentaire en poche
Djo réfutait l’oisiveté
Après sa sortie scolaire, et avant l’obligation du service militaire à 21 ans, Djo a travaillé dans les plantations de bananes ou de cannes de la région pour se faire un peu d’argent.
C’est à Tarascon dans les Bouches du Rhône, qu’il effectuera son service militaire. Après la gestion d’une librairie à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, appartenant à son frère, il revient à la Martinique.
Tombé dans la chanson comme dans une potion magique
Très jeune il a commencé par les radios-crochets et a remporté en 1960 le 1er prix ex æquo. Il écrit mais ne publie pas.
1973, c’est un tournant. Djo Dézormo se présente au concours de la chanson Créole. Il présente deux titres qui séduisent le public, une biguine "Lapen mwen" et un vidé "Manot". Choix étonnant, le Jury ne lui décerne aucun prix.
Sa seule récompense fut celle de notre chaîne à l’époque (FR3) qui retransmettait cette manifestation et qui lui avait remis le trophée d’encouragement.
Pas de frustration apparente chez l’artiste. Djo revient et décroche en 1974 le premier prix oscar de la biguine avec le titre "jiri-a za bay".
L’année d’après, en 1975, il réalise un titre vidé repris encore aujourd’hui "Blé pal, blé fonssé".
Le parolier est prolixe et surtout propose des titres réflexion. En 1976, il décroche l’oscar de la biguine avec "Sa nou ka acheté lokal la".
L'ambition d'instruire le peuple par la musique
Djo revendiquait très tôt une conscience nationale, celle d’appartenir à un peuple. Il était convaincu qu’il fallait lui apporter le savoir par la culture.
Au début des années 1970, un vent identitaire de reconnaissance s'empare la Caraïbe.
Le travail de l’historien et homme politique Armand Nicolas dans les années 60, sur la date du 22 mai 1848, les décisions du député maire Aimé Césaire, dans les années 70, obligent le pouvoir en place à prendre en compte notre histoire. C'est dans ce contexte que Djo Dézormo, crée en 1975 le titre "22 mai".
Il compose la musique du film du réalisateur Jérôme Kanapa
C’était le frémissement du cinéma antillais, les premiers réalisateurs ont pour noms, Christian Lara, Jean Paul Césaire ( la femme Jardin, Hors des jours étrangers) François Migeat et Jérôme Kanapa.
L’opticien André Constant membre du parti communiste Martiniquais lui présente le cinéaste Jérôme Kanapa, fils d’un dirigeant communiste Français.
Il est sollicité pour la musique du film "L'autre bord" (1978). Il présentera Joséphine du Morne Rouge. L’impératrice femme de Napoléon est née dans cette commune. La musique est coécrite avec Bernard Loubat.
Dans la distribution, Toto Bissainthe, Aline Diop, Théo Légitimus, Gény Alpha. Le scénario est celui d'une jeune Martiniquaise au chômage élève seule ses trois enfants à Paris et fait la dure expérience du racisme et des difficultés d’intégration. La chanson "Le loup" internationalise Djo Dezormo.
Les artistes fortement engagés sont Djo Dézormo et Guy Méthalie. Chacun possède son mentor. Guy Méthalie c’est Aimé Césaire et Djo Dezormo Alfred Marie-Jeanne.
En 1990, "Voci le loup" est le succès incontestable du carnaval. Cette chanson est une parodie incarnant l'intégration de la Martinique à l'Europe qui obtenu le prix Sacem en 1990.
Dernière apparition en 2018
L’ancien président du Gri-Gri-pilotin, ancien gardien de but du Racing club de Rivière pilote, fait son apparition pour la dernière fois en 2018, lors d’un spectacle de Guy Méthalie retraçant la chanson créole sur plus d’un siècle.
Ce rendez-vous se déroulait au centre culturel Camille Darsières à Fort-de-France. À cette occasion, Yvon Pacquit, maire adjoint de la ville, lui remettait le trophée de la ville.
À 76 ans, la Martinique perd un monument culturel. Djo laisse une impressionnante discographie, une soixantaine d’œuvres (Joséphine mon roug la, Viagra, Chlordécone, L'esclave romain, Fot le media, Léopold Lubin)...
Les réactions
Djo est devenu mon ami en 2009 via mon documentaire "Drapo Matinik" dans lequel il parle de son utilisation des couleurs horizontales de drapeau original de Lessort dessiné en prison en 1963 avec l'Ojam.
Djo fait une très belle et lucide conclusion dans ce film.
Djo était un artiste normal et vrai. Il revendiquait juste l'identité de notre pays Martinique. Je suis attristé de sa disparition.
Djo avait selon moi 2 passions dans sa musique : la tradition carnavalesque et la conscience patriotique. On est loin de l’amuseur public, de celui qui cherche à plaire au plus grand nombre.
En chantant des niaiseries , il avait cette rage de révolte et de recherche de justice et d’équilibre. Son plus grand succès "voici le loup" reflétait son appréhension de l’arrivée de l’Europe dans notre cadre insulaire, avec ses masses financières et son centralisme décisionnel que tant de politiques nationaux et autres dénoncent aujourd’hui.
Djo restera à jamais un artiste vertical ayant opté pour nourrir la conscience et réveiller en nous un enracinement dans nos valeurs gage d’une émancipation qui hélas tarde à venir au sein de notre population et de nos représentants politiques.
Puisse son départ réactiver ses volontés .
Nous avons perdu une branche solide du patrimoine. C'était un visionnaire qui se battait pour que le peuple réfléchisse. J'ai eu la chance de l'avoir en 2018. Il a chanté au centre culturel Camille Darsieres. je suis peiné. Mais son œuvre va perdurer sa mémoire.