EDITORIAL. La Martinique invente-t-elle une nouvelle forme d’action revendicative ?

Les membres du RPPRAC sont face à la grande distribution.
Quel que soit le résultat de la table ronde sur la baisse des prix des produits de consommation courante, comment expliquer que ce sont des citoyens qui ont obtenu l’ouverture de négociations, alors que cela aurait dû être une initiative de nos politiques et de nos syndicalistes ?

Où sont passés les politiques ? Et les syndicats ? Et les associations de consommateurs ? Ces représentants de la population ont été contournés par le RPPRAC dans cette nouvelle mobilisation contre la vie chère. Cette association n’aurait pas dû voir le jour, ni organiser la moindre manifestation publique si ceux dont c’est la mission avaient rempli leur rôle. Le vide laissé vacant par les détenteurs du pouvoir local, les défenseurs des salariés et les lanceurs d’alerte a été comblé.

Ce fait nous amène à nous interroger sur la légitimité du RPPRAC. Il prétend parler au nom du peuple, ou d’une partie du peuple. Or, personne n’a mandaté cette association pour qu’elle s’exprime et agisse au nom du peuple. Ce qui révèle un certain malaise mis à profit par un groupe de personnes qui n’ont eu aucun mal à se poser comme des porte-drapeaux des plus vulnérables d’entre nous.

C’est bien la première fois qu’un collectif de citoyens prend la place des forces politiques. Celles-ci ont perdu leurs fonctions de formation de militants et de laboratoire d’idées pour devenir des machines électorales. Quelles sont les analyses sur la vie chère du Parti Progressiste Martiniquais, du Mouvement Indépendantiste Martiniquais, de Péyi-a, de La Martinique Ensemble ou des Républicains ? Et pourquoi leurs idées ne se traduisent-elles pas en décisions concrètes ?

Nos politiques absents d’un débat pourtant crucial

Englués dans la gestion de leurs collectivités, nos dirigeants auraient vu venir la crise qu’ils n’auraient pas laissé le champ libre à des citoyens qui les ont contraint à tenir des tables rondes de négociations. Et que dire de cette initiative du chanteur Kalash qui a été reçu ce lundi 14 octobre à l’Elysée, à sa demande, par le conseiller Outre-mer du président de la République ? N’est-ce pas un camouflet à la face de nos élus ? Un signe que certains d’entre eux sont désormais trop éloignés de leurs administrés.

Les autres grands absents de cette révolte, ce sont les syndicats. La crise d’aujourd’hui n’a rien à voir, sur la forme, avec celle de février-mars 2009. Or, sur le fond, ces révoltes ont un dénominateur commun, la cherté du coût de la vie quotidienne. Où sont passés nos syndicalistes qui avaient organisé durant des mois une vaste mobilisation, laquelle ne portait pas uniquement sur les prix des produits alimentaires, du reste ?

Le mouvement syndical n’adhère pas à la révolte citoyenne

En 2024, les désaccords entre la CGTM, la CDMT, Force ouvrière, l’UGTM ou la CSTM sont telles que ces organisations expérimentées restent en retrait d’un mouvement qu’elles auraient dû ou susciter, ou pu encadrer. L’audience du mouvement syndical s’amenuise alors que l’urgence sociale est omniprésente. La manifestation de samedi 12 octobre à Fort-de-France n’a rassemblé qu’un millier de participants réclamant le départ de la 8ème compagnie de CRS.

Pourtant, notre histoire féconde en luttes sociales nous enseigne que les principales conquêtes sociales ont été rendues possibles par l’action syndicale. Par exemple, l’implantation de la Sécurité sociale en 1947, le sur-salaire de 40% des fonctionnaires, la fameuse prime dite "de vie chère" en 1953, ou encore l’alignement des prestations sociales et du salaire minimal en 1986.

Faute de réponses évidentes sur l’absence des politiques d’un débat politique et de l’absence du syndicalisme dans une mobilisation sociale, la Martinique est-elle en train d’inventer une nouvelle forme d’action collective. C’est à voir !