EDITORIAL. Vie chère : comment s’attaquer à la racine du malaise social martiniquais ?

La manifestation contre la vie chère devant le Grand Port de Fort-de-France le 1er septembre 2024.
La table ronde sur la vie chère se poursuit cette semaine. En supposant qu’un protocole d'accord soit signé entre les participants à ces négociations, il sera désormais impossible de passer sous silence le problème essentiel qui mine la société martiniquaise, à savoir les inégalités sociales persistantes.

Le moment viendra de dresser le bilan de la révolte populaire contre la cherté de la vie. Le moment viendra aussi d'établir les responsabilités de chacun dans la survenue de cette énième crise, de sa gestion et de sa sortie.

Pour le moment, il convient d’insister sur le fait que les mêmes causes produisant les mêmes effets, tant que le problème de fond ne sera pas posé, aucune solution durable ne pourra émerger de la crise qui secoue la Martinique. Tant que nous ne nous attaquerons pas aux racines du mal, les ferments de la révolte citoyenne suscitée par le RPPRAC, hors les forces politiques et syndicales, resteront vivaces.

Les racines du mal, c’est la coexistence de deux sociétés sur un territoire fracturé par les inégalités et les dissensions provoquant frustrations et colère. Une colère explosant de temps à autre, charriant dans son sillage pillages incompréhensibles, exactions inadmissibles, dégâts économiques, matériels et humains irréparables, désolation et tristesse.

Une violence diversement appréciée

Des emplois sont perdus. Des petites entreprises vont droit à la faillite, ou sont empêchées dans leur développement. Tout ceci en raison d’une explosion inédite de violence. Certains la voient comme une réponse à la violence du système injuste. Au contraire, d’autres estiment que ces actes gratuits constituent un prétexte facile et injustifiable pour commettre des délits.

Deux sociétés distinctes ? D'un côté, nous avons une petite majorité de la population disposant d'un emploi et d'un revenu. Cette stabilité professionnelle et sociale permet d’élaborer des projets, d’émettre des souhaits pour ses enfants, de s’adonner à des loisirs.

De l'autre, une fraction de notre population, laissée pour compte de notre modernité apparente, vivotant de bas salaires voisins du SMIC ou inférieurs au salaire minimal légal, maigres pensions de retraites et prestations sociales. Selon l’INSEE, environ 30% de la population est concernée par cette situation de pauvreté.

Or, les associations caritatives en prise directe avec le réel - la Croix Rouge, le Secours populaire, Saint-Vincent de Paul, l’Union des associations familiales, par exemple - estiment que la précarité économique, sociale et sanitaire touche jusqu’à 40% de la population.

Un tableau sombre et ancien

Ajoutons à ces deux grands groupes un sous-groupe de jeunes en déshérence, en échec scolaire et familial. C’est la catégorie dite des NEET selon l’acronyme anglais "Not in Education, Employment or Training" [Traduire : "Ni en emploi, ni en étude, ni en formation"]. Le quart des moins de 30 ans est concerné, le double de la moyenne française. Ils souhaitent travailler, mais ne trouvent pas d’emploi. Ils habitent souvent chez leurs parents. Et les trois-quarts n’ont aucun diplôme, souligne une étude de l’INSEE de 2023.

Le tableau peut sembler sombre, mais il est ancien. Depuis trente ans, des observateurs nous expliquent que notre société souffre d’inégalités sociales anciennes. L‘économiste Christian Louis-Joseph ou les sociologues Serge Domi ou André Lucrèce, pour ne citer qu’eux, nous avertissent que ces inégalités nourrissent un sentiment de désespérance chez les plus démunis.

Tous les éléments du terreau fertile pour des explosions de colère comme nous le vivons ces temps-ci sont réunis. Fermer les yeux sur cette réalité nous condamne à revivre les mêmes tourments qu’aujourd’hui. Ce que nous tous savons parfaitement.