Entre l’interdiction des manifestations organisées et les défilés spontanés en dépit de la plus élémentaire prudence, n’existe-t-il pas une troisième voie pour s’adonner aux libérations annuelles de la période carnavalesque ?
Inadmissible, irrespectueux, idiot, irresponsable : les mots ne manquent pas pour qualifier les vidés non autorisés tenus les derniers week-end. Hormis la prise de position du préfet en date du 11 janvier 2021, trois maires interdisent toute manifestation publique dans leur commune : Didier Laguerre à Fort-de-France, Alfred Monthieux au Robert et Luc Clémenté à Schoelcher.
Chacun peut comprendre les maires ayant signé ces arrêtés. Ils sont responsables de la sécurité sur le territoire de leur commune. Il va sans dire que la plupart de leurs collègues prendront les mêmes dispositions. Non seulement pour se protéger sur le plan pénal, mais surtout pour participer à la mobilisation collective contre la propagation de l’épidémie.
En ce sens, nos élus nous donnent une leçon de civisme. Un principe essentiel en régime démocratique. Un principe parfois malaisé à faire appliquer. Il exige de chaque citoyen un esprit de responsabilité. Avec l’état d’urgence, par définition exceptionnel mais qui se prolonge indéfiniment, il devient difficile de définir le seuil d’acceptabilité sociale des contraintes librement consenties.
D’où ces mots d’ordre appelant à la résistance contre l’interdiction des manifestations organisées du Carnaval. Une position plus ou moins bien comprise dans la population. Nous entendons davantage les appels à la solidarité envers les personnes qui peuvent tomber gravement malades que les appels demandant de braver l’interdit.
Un moment de totale liberté d’expression
Braver l’interdit. Précisément, c’est l’une caractéristiques bien connues et partagées du Carnaval. Ce moment a une fonction tribunicienne. Il permet de transgresser les normes sociales, de commenter les faits d’actualité et les phénomènes de société, de tourner en dérision nos élites. Les vidés populaires spontanés, en particulier, sont des lieux et des moments de totale liberté d’expression.
Que pouvons-nous proposer aux jeunes et aux moins jeunes qui souhaitent perpétuer cette tradition durant quelques jours ? Avons-nous oublié que le Carnaval est aussi une soupape de sûreté permettant d’évacuer les frustrations accumulées durant l’année précédente ? Et quelle année ! Ce millésime 2020 a été l’un des plus dramatiques vécus dans notre histoire récente.
Si notre choix se porte uniquement entre l’observance d’une coutume fondatrice de notre personnalité collective et l’abstention, nous risquons de créer d’inutiles tensions supplémentaires. D’où l’obligation de réfléchir à un Carnaval conjuguant sécurité sanitaire, solidarité envers les plus fragiles et respect des traditions. Faire peuple, c’est aussi savoir mobiliser notre intelligence collective. Il ne tient qu'à nous de réussir ce pari, cette fois encore.