Le journaliste Guy Flandrina, spécialiste reconnu du monde rural, est parti à la recherche des témoins de la création de la première coopérative agricole, en 1958. Une narration dynamique dans un livre riche et dense.
Qui sait que le quartier de Fond Saint-Jacques, haut lieu de l’histoire sociale et économique, porte ce nom en hommage à Jacques Dyel du Parquet, le premier gouverneur de Martinique ? C’est sa veuve qui, en 1659, officialise l’attribution des terres du domaine à l’ordre religieux des dominicains, ou Frères prêcheurs. Ils sont récompensés pour l’extermination des Caraïbes installés dans la région, méthodiquement accomplie.
Les missionnaires y implantent un couvent, une chapelle, une sucrerie et commencent l’exploitation du domaine s’étendant sur 200 hectares. La propriété est si prospère qu’elle devient un point de fixation du peuplement de la Cabesterre. La paroisse de Sainte-Marie y est érigée en 1663. A son arrivée sur le domaine en 1694, le père Labat y trouve une quarantaine de nègres. Il industrialise quasiment la culture de la canne à sucre et permet un essor du rhum.
Le domaine est l’un des plus riches. Il possède 450 esclaves à son apogée en 1768. Les vents de la Révolution de 1789 parviennent jusqu’en Martinique. Le gouverneur Rochambeau dissout l’assemblée coloniale en 1793. Il déclare « biens nationaux » les propriétés du clergé. Cependant, les dominicains conservent le bénéfice de la gestion de leur domaine en devenant ses locataires.
Cet arrière-plan historique est lumineusement dressé par Guy Flandrina pour mettre en lumière la création de la SICA de Fond Saint-Jacques. C’est précisément le dimanche 12 janvier 1958 que cette société d’intérêt collectif agricole voit le jour. Elle est alors forte de 75 adhérents. Elle ne cessera d’attirer de petits agriculteurs convaincus, ou séduits, par l’idée nouvelle de la coopération technique et commerciale.
La coopérative est issue du morcellement du domaine éponyme tel que l’avait souhaité, en 1931, le Conseil général présidé par Joseph Lagrosillière. Le père du socialisme martiniquais permet aux cultivateurs sans terre de vivre décemment de leur travail. L’auteur précise que démembrement n’est pas une réforme agraire au sens strict, mais plutôt de la parcellisation d’un domaine agricole, à l’instar de plusieurs autres.
Il n’empêche, si la SICA en elle-même, a pris près de trente ans à être créée, la dynamique était bien présente. A savoir, la mise en commun d’un patrimoine foncier, de la production de denrées alimentaires, de leur commercialisation, et de la répartition des recettes. Et cela dans un esprit d’unité et de concorde à partir d’un objectif simple mais néanmoins complexe à mettre en œuvre : le développement d’une agriculture paysanne ou nourricière au bénéfice de la population.
Excellent récit journalistique, bien documenté avec des archives et des témoignages, ce livre est un modèle de rigueur qui n'enlève rien à cette saveur de légèreté persillée de traits d'humour et parsemée de citations d'écrivains ouvrant chacun des chapitres.
L’intérêt de cette lecture semble évident. Il s’agit de contribuer à la reconnaissance de l’oeuvre de pionniers méconnus qui ont pris tous les risques en s’éloignant du modèle hégémonique de l'agriculture d'exportation. La petite paysannerie qui n’a pas pu se développer en Martinique, à l’inverse de la Guadeloupe, continue de survivre et de se projeter dans un avenir semé d’embûches.
Pour nous faire comprendre l’importance de la SICA, Guy Flandrina évoque à grands traits les mutations du monde rural tout le long du 20ème siècle. Des références nécessaires. Et, comme l’écrit dans sa préface l’historien Gibert Pago : « Un univers à ne pas oublier ».
Guy Flandrina, Un modèle collectiviste martiniquais. La SICA de Fond Saint-Jacques, Ed. Scitep, 2020, 233 pages
Les missionnaires y implantent un couvent, une chapelle, une sucrerie et commencent l’exploitation du domaine s’étendant sur 200 hectares. La propriété est si prospère qu’elle devient un point de fixation du peuplement de la Cabesterre. La paroisse de Sainte-Marie y est érigée en 1663. A son arrivée sur le domaine en 1694, le père Labat y trouve une quarantaine de nègres. Il industrialise quasiment la culture de la canne à sucre et permet un essor du rhum.
Un domaine prospère depuis les débuts de la colonie
Le domaine est l’un des plus riches. Il possède 450 esclaves à son apogée en 1768. Les vents de la Révolution de 1789 parviennent jusqu’en Martinique. Le gouverneur Rochambeau dissout l’assemblée coloniale en 1793. Il déclare « biens nationaux » les propriétés du clergé. Cependant, les dominicains conservent le bénéfice de la gestion de leur domaine en devenant ses locataires.
Cet arrière-plan historique est lumineusement dressé par Guy Flandrina pour mettre en lumière la création de la SICA de Fond Saint-Jacques. C’est précisément le dimanche 12 janvier 1958 que cette société d’intérêt collectif agricole voit le jour. Elle est alors forte de 75 adhérents. Elle ne cessera d’attirer de petits agriculteurs convaincus, ou séduits, par l’idée nouvelle de la coopération technique et commerciale.
Morcellement et non réforme agraire
La coopérative est issue du morcellement du domaine éponyme tel que l’avait souhaité, en 1931, le Conseil général présidé par Joseph Lagrosillière. Le père du socialisme martiniquais permet aux cultivateurs sans terre de vivre décemment de leur travail. L’auteur précise que démembrement n’est pas une réforme agraire au sens strict, mais plutôt de la parcellisation d’un domaine agricole, à l’instar de plusieurs autres.
Il n’empêche, si la SICA en elle-même, a pris près de trente ans à être créée, la dynamique était bien présente. A savoir, la mise en commun d’un patrimoine foncier, de la production de denrées alimentaires, de leur commercialisation, et de la répartition des recettes. Et cela dans un esprit d’unité et de concorde à partir d’un objectif simple mais néanmoins complexe à mettre en œuvre : le développement d’une agriculture paysanne ou nourricière au bénéfice de la population.
Une histoire à connaître
Excellent récit journalistique, bien documenté avec des archives et des témoignages, ce livre est un modèle de rigueur qui n'enlève rien à cette saveur de légèreté persillée de traits d'humour et parsemée de citations d'écrivains ouvrant chacun des chapitres.
L’intérêt de cette lecture semble évident. Il s’agit de contribuer à la reconnaissance de l’oeuvre de pionniers méconnus qui ont pris tous les risques en s’éloignant du modèle hégémonique de l'agriculture d'exportation. La petite paysannerie qui n’a pas pu se développer en Martinique, à l’inverse de la Guadeloupe, continue de survivre et de se projeter dans un avenir semé d’embûches.
Pour nous faire comprendre l’importance de la SICA, Guy Flandrina évoque à grands traits les mutations du monde rural tout le long du 20ème siècle. Des références nécessaires. Et, comme l’écrit dans sa préface l’historien Gibert Pago : « Un univers à ne pas oublier ».
Guy Flandrina, Un modèle collectiviste martiniquais. La SICA de Fond Saint-Jacques, Ed. Scitep, 2020, 233 pages