L’indemnisation des victimes de la grève meurtrière de 1974 en Martinique, inscrite à l’agenda des pouvoirs publics

Plaque commémorative de Chalvet avec les noms des victimes de février 1974.
Jusqu’au 1er mars 2024, les commémorations continuent dans le nord atlantique de l'île pour se remémorer la grève de 1974. Elle a été menée à l'époque par des ouvriers de la banane, pour obtenir de meilleures conditions de travail, un conflit social qui a fait deux morts et de nombreux blessés. 50 ans après, le temps de la justice et de la vérité est-il arrivé ?

Un demi-siècle après l’issue tragique de la dernière grève meurtrière qui s’est déroulée dans le nord atlantique de la Martinique, l’espoir semble permis d’obtenir réparation pour les familles des victimes. La prudence et la patience sont tout de même de rigueur, car les procédures en cours sont complexes, d’autant plus que la responsabilité de l’Etat est engagée.

Pour mémoire, le 14 février 1974, un détachement de gendarmes mobiles encercle sur le plateau de Chalvet, à Basse-Pointe, un défilé de grévistes. Ils cheminent d’une exploitation agricole à l’autre en vue d’augmenter leurs effectifs au fil de leurs déplacements. Rénor Illmany, ouvrier agricole de 55 ans, est tué lors de la fusillade déclenchée par les militaires. Une action placée "dans le cadre de la légitime défense collective", selon la version officielle. Quatre grévistes sont grièvement blessés.

Le 16 février, le corps d’un homme de 19 ans, Georges Marie-Louise, est retrouvé à l’embouchure de la rivière La Capot, sur la plage de l’Anse Chalvet, non loin de la fusillade mortelle de l’avant-veille. Le corps de la victime est à moitié dévêtu. Il porte des traces de brûlures de cigarettes et de nombreuses contusions.

Une fusillade mortelle impunie

Deux jours plus tôt, posté sur le bord de la route pour revenir chez ses parents, à Marigot, le jeune homme est embarqué par les gendarmes du Lorrain. Nul ne le reverra vivant. Ses parents sont décédés en 2000 sans connaître les raisons de la mort de leur fils. L’autopsie atteste d’une mort naturelle, mais version officielle est démentie par de nombreux témoignages. Des voisins de la caserne de gendarmerie affirment avoir entendu des cris la nuit précédant la découverte de la victime à Chalvet.

Aucune procédure judiciaire n’a été ouverte pour identifier les auteurs de ces deux homicides. Aucune indemnisation n’a été accordée aux ayant-droits des deux victimes. Une fois soignées à l’hôpital du Lorrain, les personnes blessées n’ont pas été dédommagées.

Afin de procéder à une forme de réparation morale et judiciaire de ces épisodes dramatiques, deux types d’actions sont entrepris. La première est une initiative de la ville de Basse-Pointe, de concert avec l’Union Générale des Travailleurs de Martinique (UGTM). La maire (PPM), Marie-Thérèse Casimirius, l’a annoncé de samedi 17 janvier 2024 lors de l’ouverture des cérémonies de remémoration des événements.

Un silence pesant devenu insupportable

Il s’agit d’obtenir une dérogation pour lever la prescription couvrant les brutalités commises par les forces de sécurité. Marie-Thérèse Casimirius se dit confiante quant à l’aboutissement positif des demandes d’indemnisation des victimes de la fusillade du plateau de Chalvet.

Le second type d’actions à venir a été confirmé par le député (Péyi’a/Nupes) Marcellin Nadeau le même jour. Il sollicitera du président de la République la déclassification complète des archives couvertes par le secret depuis cinquante ans. Si le chef de l’Etat accède à cette demande, ces documents pourront être transmis aux descendants des victimes.

Le député déposera également une proposition de résolution à l’Assemblée nationale tendant à la création d’un comité d’experts. Ils devront investiguer sur les événements de Chalvet de février 1974 et du Carbet de mars 1948 – lors duquel trois ouvriers agricoles ont été tués par les gendarmes. Marcellin Nadeau estime que le temps est venu de se souvenir de tous les conflits sociaux durant lesquels la gendarmerie, la police et l’armée ont tué et blessé des travailleurs réclamant leurs droits.

Le préfet prend acte

Présent sur place, le préfet Jean-François Bouvier a pris bonne note des demandes formulées par les élus. Il a déclaré que celles-ci seront étudiées en d’autres lieux. Le préfet a été hué par plusieurs participants à cet hommage, en tant que "symbole de l’Etat oppresseur". D’autres estimaient, au contraire, que sa présence s’est avérée nécessaire, en tant que symbole d’un début de repentance.