La prudence est de mise après la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle des ouvriers agricoles

Questionnaire enquête collectif des ouvriers agricoles empoisonnés par les pesticides dimanche 18 octobre 2020
Le ministre de l’Agriculture a révélé au Sénat, mercredi 20 octobre 2021, qu’il signera bientôt un décret reconnaissant le cancer de la prostate chez les ouvriers agricoles comme une maladie professionnelle provoquée par une exposition aux pesticides. Chez nous, les premiers concernés sont prudents.

Le gouvernement se range à l'avis favorable de la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture en date du 19 octobre 2021. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, interpellé par le sénateur écologiste Joël Labbé, a annoncé que le registre des maladies professionnelles va sous peu intégrer le cancer de la prostate des salariés agricoles ayant utilisé des produits phytosanitaires.

La décision s’applique à tous les salariés agricoles de toute la France. Et ceci, quel que soit le lieu de production et quels que soient les produits phytosanitaires utilisés. Les ouvriers agricoles de la région viticole du Bordelais sont autant concernés que leurs collègues des Antilles.

Bien entendu, notre attention se fixe en priorité sur le chlordécone. Il convient de rappeler que le lien entre la manipulation de cette molécule et la survenance ou l’aggravation du cancer de la prostate a été établi depuis 2013 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM.

Plantation de banane en Martinique.

Le chlordécone provoque plusieurs cancers

 

Plus récemment, en mars 2021, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a rendu son avis commandé trois ans plus tôt relatif à l’expertise sur les pesticides, dont le chlordécone, en lien avec le cancer de la prostate. Cet avis officiel précise bien que le chlordécone est à l’origine d’autres pathologies comme la maladie de Parkinson et certains cancers du sang - la leucémie et le lymphome, notamment.

Les experts martiniquais de l’AMSES, une association présidée par le Dr. Josiane Jos-Pelage, estiment que dans certains cas, l’endométriose, les malformations congénitales du fœtus ou les retards de développement de l’enfant peuvent être liés à l’intoxication par des pesticides. Plusieurs études ont été menées pour parvenir à ces conclusions.

Le futur décret constitue une traduction concrète de la déclaration du président de la République en Martinique en septembre 2018. Il avait évoqué, dans un discours prononcé au Morne-Rouge, qu’il demanderait au gouvernement la possibilité d’élargir le registre des maladies professionnelles aux victimes de la manipulation du chlordécone.

Des participants au défilé du Collectif des Ouvriers Agricoles de Martinique du 27 mars 2021, pour réclamer "justice" et "réparation" à l'Etat.

La vigilance est de rigueur

 

Cette annonce suscite néanmoins la prudence chez nos scientifiques. Ils reconnaissent que le futur décret constitue une avancée, mais un petit pas seulement dans ce processus de reconnaissance des maladies professionnelles. C’est la position aussi du Comité des ouvrières et ouvriers agricoles empoisonnées par les pesticides. Son président Yvon Sérénus se dit vigilant.

Il souligne que d’autres échéances doivent être atteintes. Par exemple, la généralisation des analyses de sang pour déterminer le taux de chlordécone. Les salariés en activité ont souvent du mal à se rendre en laboratoire sur leur temps de travail. Pourtant, ils en ont obtenu le droit.

À moyen terme, un autre combat doit être mené aux Antilles comme dans toute la France, celui de la durée de l’indemnisation des victimes. Leurs associations souhaitent que le délai d’exposition aux produits phytosanitaires soit d’au moins 5 ans. Elles veulent que la durée de la prise en charge soit égale à 40 ans. Le ministre en a convenu, mais les premiers concernés attendent impatiemment sa publication pour juger sur pièces.