La saison des crabes est arrivée. Par conséquent, l’incontournable matoutou est de rigueur pour ce week-end de Pâques. Une coutume vécue comme une fête nationale. Nul besoin de drapeau ni d’hymne pour communier à cette occasion, comme c’est le cas pour le bal du 14-Juillet ou la soupe au jiromon de la fête de l’indépendance en Haïti. Au fil du temps, le matoutou est devenu un marqueur identitaire, incontestablement.
Impossible d’échapper au rituel, décliné en plusieurs phases. D’abord, la pêche, ou la chasse, une affaire d’experts. Ils ont leurs coins et leurs secrets. Puis, le nourrissage. Chacun procède selon ce que son environnement lui procure.
Feuilles de fruit à pain, bagasse, peau de mangots, herbes diverses sont le pain quotidien de nos crustacés. Ils sont mis en captivité durant trois bonnes semaines afin de les débarrasser de leurs impuretés et de leur donner une chair savoureuse.
Un rituel en plusieurs étapes
Enfin, une fois arrivées dans notre cuisine, ces innocentes bestioles ne demandant qu’à gambader en liberté, sont victimes du crabicide annuel que nous justifions par la stricte observance d’une tradition. Et c’est là que notre unité nationale risque de se fissurer. De sérieux clivages persistent au sujet de la confection du plat.
Contrairement aux apparences, la recette du riz aux crabes n’emporte pas l’unanimité. Faute d’académie culinaire, chacun y va de son tour de main, alimentant ainsi de solides querelles. Le premier de ces clivages distingue ceux qui mélangent le riz aux crabes et ceux qui préfèrent la fricassée, en séparant les deux composantes du plat. Qui a tort, qui a raison ? Le débat n’est pas clos.
De sérieux et perpétuels clivages
Un deuxième clivage concerne la composition de la sauce. Les ingrédients additionnels pour la sublimer varient selon l’humeur ou l’âge de celles ou de celui qui est aux fourneaux. Pâte à colombo, tamarin, mango vert, tomates, aubergines, courgettes, viande salée sont les condiments volontiers utilisés. Là encore, les divergences provoquent d’interminables discussions.
Des discussions alimentées par un troisième et dernier clivage, au sujet de la coloration de la graisse de l’animal. Plus le crabe a dégorgé longtemps, plus sa saveur est relevée. Cet élément est négligé par les imprévoyants ou les plus pressés qui se contentent de consommer des crabes récemment pêchés. Pauvre d’eux...
Mine de rien, l’unité autour du matoutou n’empêche pas la diversité de sa préparation. Il est vain, pour certains, qu’une recette soit définitivement gravée dans le marbre d’un livre de recettes. D’autres militent, au contraire, pour fixer un mode d’emploi incontestable et reproductible. Sachant que quand cette équation sera résolue, il faudra se pencher sur un autre sujet polémique, la qualité du riz du matoutou. Long grain, riz rond, basmati, lavé ou pas ? Mais là, c’est autre une autre paire de pinces…