Depuis septembre, le titre Simé love tourne sur les ondes des meilleures radios de l’Hexagone. Radio Nova, France Inter, FIP, ...Un OVNI musical qui vous fait tendre l’oreille dès la première écoute. Ce son a un nom. Ses concepteurs l’ont baptisé *afro-futurisme créole. Le clip est un petit bijou rose bonbon aux couleurs pastel, tendance psychédélique.
Mais Dowdelin n‘est pas un produit à la mode uniquement pensé pour la bande FM. Pour mieux s’en convaincre, nous sommes allés à la rencontre du groupe au détour d’un concert en région parisienne.
MUSIQUE PATCHWORK
La recette d’une musique aux couleurs d’un monde patchwork où la Guadeloupe côtoie l’Arménie, le quartier lyonnais de la Croix-Rousse, la Martinique en faisant un détour via l’Afrique, la Réunion, les États-Unis par ses emprunts au jazz. Ajoutez une pincée d’électronique. Deux doigts de hip hop. Saupoudrez de créole. Mixez tous ces ingrédients. Ça vous donne Dowdelin, groupe afro-futuriste créole comme ils se définissent.
Un truc qui labelliserait le style, ce serait afro-futuriste créole. Dans afro-futuriste, Il y a en même temps le jazz de Herbie Hancock, le hip hop, genre Outkast et des producteurs de beat, de l’électronique. Kassav, c’est la même démarche. Ils ont beau chanter en créole. Ils ont créé leur truc à partir de diverses influences.
David Kiledjian, bassiste, clavier, saxophoniste
2017, genèse du groupe. Comme souvent, on trouve à la base une histoire de potes musiciens. Raph, David et Greg qui font leurs classes dans un quintette de jazz caribéen, jazz ka. Mise en pause pendant dix ans entre déménagements des uns et des autres à la Réunion, à Paris.
David Kiledjian résume leur parcours :
C’est avec notre quintette que j’ai découvert le ka*. Et puis ensuite, j’ai croisé Olivya qui chantait bien. Elle se débrouillait en anglais, mais je pensais que ce serait mieux si elle chantait en créole. J’ai pas eu peur de faire un truc en créole car je savais qu’on pouvait puiser là-dedans musicalement. J’ai vu que ça matchait et que le mélange se faisait bien. Alors, j’ai recontacté Raph direct.
C’est effectivement à ce moment qu’Olivya entre dans la danse et que le créole s’impose. "Ça avait un côté plus naturel aussi, même pour elle, de chanter dans une langue qui lui était familière et effectivement ça a fonctionné", ajoute Raphaël Philibert.
LA VOIE CRÉOLE
Le groupe est constitué. Un album naîtra dans la foulée. Carnaval Odyssey en 2018. Depuis, Dowdelin qui signifie astucieusement traîner les pieds, fait son bonhomme de chemin d’un pas sûr.
Je m’y suis mise très tard, je faisais ça pour m’amuser avec les cousines. Les petits télé-crochets, les petits concours de quartier. Je faisais de la musique avec des copines et aussi avec la famille vu qu’on est une grosse famille de musiciens. Il y a beaucoup de rappeurs, chanteuses, guitaristes et puis j’ai commencé avec ma cousine. On a monté un petit groupe. Et ça a été le début de mon envie.
Olivya Victorin, chanteuse du groupe
C’est en concert qu’on prend la pleine mesure de l’éclectisme de Dowdelin. Avec son air mutin, Olivya fait swinguer le créole. Son timbre aux accents blues tire vers le scat* des chanteuses de jazz lorsqu’elle entonne : Sa ki pé la pa la pou rété sa ki rété pé ké la.
Car le créole chanté par la sautillante Martiniquaise est le ciment de Dowdelin.
Vers 26, 27 ans, J’ai vraiment mis ma passion en avant. Et du coup, j’ai rencontré David par le biais d’un ami musicien. J’avais un travail classique à ce moment-là. Maintenant, je me rends compte que ça va être difficile de vivre sans la musique. Je ne savais pas jusque-là que je pouvais en vivre. Mon autre passion, c’était la vente, surtout le merchandising. J’étais merchandiser. Je travaillais dans les boutiques pour enfants. Je m’occupais des vitrines des magasins, partout en France. Mais vu que j’adore le saxophone, je rencontrais des musiciens dans des bœufs* à Vienne, en Isère où j’habite.
Les magasins pour enfants ont peut-être perdu une bonne installatrice mais aujourd’hui, Olivya a trouvé sa voix et magnifie le créole.
SIMÉ LOVE, HYMNE À L’AMOUR
Je suis Guadeloupéen, né aux Abymes et je suis arrivé dans l’Hexagone à 18 ans, pour mes études de musique au conservatoire de Lyon. J’ai vécu dix ans à Lyon. Et ça fait dix ans que je suis retourné à Saint-Étienne. Au milieu, il y a eu de petites choses. À la Réunion ou à Paris pendant quelques années.
Raphaël Philibert, tambour ka, percussionniste
Chaque membre du groupe a son histoire. Prenez Raphaël Philibert. Sur scène, il arbore un look mi-ska, mi-jazzman tendance sixties :
"De formation, je suis linguiste. J’ai fait des études de socio-linguistique. Déjà les langues m’intéressent à la base. À la Réunion, j’ai joué dans des groupes de traditionnel réunionnais. J’ai fait de l’afro-cubain, pas mal de musique caribéenne. J’ai une formation puriste gwo ka aussi, depuis mes 3 ans, à l’école Marcel Lollia dit Vélo. (Percussionniste guadeloupéen légendaire, virtuose du tambour gwo ka). Pour moi, tout ça est connecté. Traditionnel et moderne, l’un nourrit l’autre. Et même en faisant du traditionnel, on peut innover".
Pourtant David, le musicien d’origine arménienne, ne s’estime pas à contretemps dans cet univers dominé par une langue éloignée de sa culture.
Je ne suis pas perdu puisque j’écris la musique du truc. Au contraire, c’est un apport comme les autres influences, il y a aussi du jazz. Et si un Arménien l’écoute, il peut se dire que ça peut être aussi arménien. Notre batteur, Greg Boudras est un pur Lyonnais du quartier de la Croix-Rousse mais il n’est pas perdu. Il y a de la musique africaine.
David Kiledjian, bassiste, clavier, saxophoniste
Raphaël Philibert complète l’analyse. "Il y a généralement une concertation qui se fait entre David et moi. On envisage tel ou tel thème qu’on évoque en groupe. On voit de quoi on a envie de parler. Comme je connais les variantes de différents créoles, j’essaie de proposer des choses qui sonnent plus ou moins bien en fonction de ce que l’on veut dire. L’écriture, c’est essentiellement David et moi. C’est un consensus".
On sent la complicité qui unit les deux artistes. "On écrit comme des musiciens. On fait des free-styles pour trouver les mélodies et après quand on écoute, on trouve que les syllabes sonnent bien. Ça sonne comme le yaourt mais avec de vraies paroles en créole, en français ou en anglais », conclut David.
En tant que créolophone et Antillais, ce n’est pas un réflexe que l’on a de se dire qu’on peut faire des choses en créole autres que du traditionnel. C’était mon cas puisque j’ai fait beaucoup de traditionnel. Mais ça marche, c’est une ouverture pour tout le monde.
Raphaël Philibert
"Au début, le créole c’était un pari. Mais je ne m’attendais pas à un tel accueil", commente David Kiledjian.
La recette est efficace puisque Dowdelin est un fourre-tout musical au bon sens du terme. Un groupe qui donne de nouvelles couleurs au créole.
Sur la scène du Tamanoir de Gennevilliers, la mayonnaise prend. Dowdelin se déguste à s’en lécher les babines. Simé love est un hymne entraînant qui s’avère dansant. En concert, ce groupe arc en ciel fait souffler un vent rafraîchissant, une sorte d’alizé sur la scène française. Seule fausse note, le quatuor qui a écumé les scènes anglaises et même chiliennes ne s’est jamais produit en terres créoles. La faute à ce maudit virus.
Une fois les projecteurs éteints, Dowdelin a un goût de revenez-y que l’on peut prolonger avec l’écoute de ce deuxième album ; Lanmou Lanmou (Underdog records) qui sort le 28 janvier.
*L’afro-futurisme est un courant artistique qui consiste en l’appropriation de la technologie et de l’imagerie de la science-fiction par la communauté noire américaine. Au plan musical, ses meilleurs représentants sont Sun Ra et George Clinton.
*Le ka : tambour traditionnel de Guadeloupe
* Scat : style vocal du jazz où les artistes remplacent les paroles par des syllabes et des onomatopées fantaisistes.
*bœufs : séances musicales basées sur l’improvisation de différents musiciens.