Les émeutes de décembre 1959 en Martinique débouchent sur la demande d’autonomie

Émeutes de décembre 1959 en Martinique ©Martinique la 1ère
La commémoration des émeutes du 20 au 22 décembre 1959 à Fort-de-France est l’occasion, une fois de plus, de s’arrêter sur ces événements dramatiques et sur une initiative des conseillers généraux qui ont eu le mérite de prendre leurs responsabilités devant l’histoire.

Les conseillers généraux aux affaires en décembre 1959 étaient-ils en avance sur leur époque ? Ont-ils été des précurseurs quant à l’évolution souhaitée du statut juridique de la Martinique ? Alors que le congrès des élus se réunit depuis juillet 2022 avec en ligne de mire une modification de nos institutions, tout était dit, ou presque, voici soixante-deux ans.

L’histoire retient que trois journées de soulèvement populaire dont l’élément déclencheur est un banal accident de la circulation sans gravité, se soldent par un lourd bilan. Trois jeunes manifestants sont tués par la police nationale, composée essentiellement d’agents martiniquais, et par un détachement de CRS.

Julien Betzi (19 ans), Edmond Eloi dit Rosile (20 ans) et Christian Marajo (15 ans) tombent sous les balles des  forces de sécurité alors qu’ils participent à des rassemblements de protestation sur un fond de crise économique et sociale, une quinzaine d’années après l’obtention de l’instauration du département. 

Des émeutes sur un fond de crise de société

 

Du 20 au 22 décembre 1959, alors que les citadins vaquent à leurs occupations durant la journée, Fort-de-France est en proie à une guérilla urbaine la nuit. Finalement, un couvre-feu est instauré. Le calme revient. Les dégâts matériels sont conséquents. Deux commissariats ont été incendiés et plusieurs magasins endommagés.

Durant la matinée du 24 décembre, à quelques heures du réveillon de Noël, le Conseil général se réunit en séance extraordinaire à l’instigation de son président, Tertulien Robinel. Représentant du canton du Carbet depuis 1949, c’est un socialiste partisan de l’assimilation, en tant qu’adhérent à la SFIO.

Comme tous les responsables politiques, le président Robinel est surpris par la violence des policiers et choqué par la mort de trois jeunes issus des quartiers populaires. Il met aux voix une résolution condamnant la brutalité des forces de  sécurité et réclamant pour les élus locaux des pouvoirs étendus.

Le Conseil général prend ses responsabilités

 

Toutes tendances politiques confondues, les conseillers généraux exigent « que des conversations soient entamées immédiatement entre les représentants qualifiés des Martiniquais et le Gouvernement pour modifier le statut de la Martinique en vue d’obtenir une plus grande participation à la gestion des affaires martiniquaises ».

Nous sommes une année à peine après l’instauration de la Cinquième République, en octobre 1958.

Le nouveau régime promettait aux départements d’outre-mer des « franchises », une décentralisation avant l’heure. Les promesses du général de Gaulle, transmises par son émissaire spécial André Malraux, ne sont pas suivies d’effet. Tout au contraire, le gouvernement renforce sa mainmise sur les affaires locales. Les élus sont marginalisés par le préfet, quand ils ne sont pas méprisés.

L’autonomie avant l’heure

 

La motion du Conseil général va rester enfermée dans un tiroir. Au fil du temps, l’intransigeance du gouvernement contribue à la cristallisation de l’échiquier politique en deux grandes tendances idéologiques. La droite assimilationniste veut renforcer les relations du jeune département avec l’Etat. La gauche autonomiste souhaite accroître la responsabilité locale.

Ce clivage va structurer la vie politique jusqu’à l’élection du président socialiste François Mitterrand en 1981. Depuis cette date, une lente évolution du paysage politique, en parallèle de l’amélioration des conditions de vie de la population, a modifié les visions des principaux courants politiques quant à l’appartenance de la Martinique à l’ensemble français. Le discours autonomiste des débuts de la Cinquième République s’est transformé au fil des six dernières décennies.

Il demeure vivace, bien que la pratique du pouvoir local a éloigné les élus de cette doctrine. Il reste à savoir si les travaux du congrès des élus, ouvertement orientés vers la réclamation d’une certaine forme d’autonomie politique, vont prospérer au point de rendre concrète cette aspiration qui a émergé depuis plus de soixante ans.