Créée à la fin de l’année 1962, l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise entendait éveiller les consciences. Après le coup d’éclat réalisé à la veille du réveillon de noël ses membres ont dû faire face à la répression des autorités.
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Les services secrets français dépêchés en Martinique
Pour le pouvoir en place, il est impératif de neutraliser au plus vite cette organisation, avant que ses idées nationalistes ne se répandent dans la population.
Dès le 1er janvier 1963, des hommes de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) arrivent à Fort de France. Les faits et gestes des membres connus de l’OJAM (’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise), sont scrutés à la loupe par les agents du contre-espionnage français. Les jeunes anticolonialistes se rassemblent publiquement à la Maison des Syndicats, à Fort de France. Mais, parallèlement, des réunions clandestines sont organisées, en communes, avec les militants les plus actifs, qui envisagent de passer à des "actions" plus concrètes.
Des indiscrétions parviennent jusqu’aux oreilles des agents du renseignement et, au début du mois de février, une mallette contenant des documents issus de ces réunions secrètes disparait mystérieusement. Elle est "retrouvée" quelques jours plus tard, au bord d’une route à Case Pilote, par une patrouille de gendarmerie.
(Re)voir notre reportage
Suite et fin du dossier consacré à l'OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise).
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Premières arrestations
Le 11 février 1963, Henri Armougon, jeune contrôleur des douanes et propriétaire de la fameuse mallette est interpellé à son domicile. Les enquêteurs ont des questions à lui poser sur un document particulièrement subversif. La Fiche Dogmatique et Technique, qui livre des informations sur les différentes casernes de gendarmerie, les militaires en poste et les moyens de les attaquer.
Armougon parle et les arrestations s’enchaînent. Hervé Florent (avocat et Secrétaire Général de l'OJAM), Manfred Lamotte (étudiant), Rodolphe Désiré (médecin), Victor Lesort (bijoutier), Joseph René Corail (artiste), Pierre Davidas (ouvrier), Guy Dufond (directeur d’école), Roger Riam, Léon Sainte-Rose, Roland Lordinot et Gesner Mencé (instituteurs) sont jetés en prison. Au 118 rue Victor Sévère (centre pénitentiaire) ils sont considérés comme des terroristes et traités comme tel, avec interdiction de communiquer et la possibilité de sortir de cellule une petite heure par jour, dans une cour minuscule.
Une affaire qui divise
Un clivage très fort s’instaure en Martinique entre les départementalistes et tous ceux qui soutiennent ceux que l’on surnomme désormais les "complotistes de l’OJAM". Les premiers évoquent l'arrivée d'un navire cubain chargé d'armes, de bombes devant être posées durant le Carnaval.
Le Conseil Général demande au gouvernement de frapper fort en prononçant la dissolution de toutes les associations qui "sous le prétexte fallacieux de l'anticolonialisme" veulent "faire sortir la Martinique du cadre de la République française pour y établir un gouvernement national local à la solde d'un impérialisme étranger". Une motion qui obtient 21 voix pour, 5 contre (4 élus communistes et 1 progressiste).
La solidarité s'organise avec les prisonniers
Le Parti Communiste Martiniquais appelle à un meeting de soutien qui sera interdit par la préfecture. Le journal "Justice" qui réclame la libération des jeunes est saisi. Le Front de Défense des Libertés Publiques (FDLP) organise des réunions de solidarité et de dénonciation de la répression à travers toute l'île. Une partie de l’opinion assure les jeunes de l’OJAM de sa sympathie.
Exfiltration vers Paris
Le 9 mars, entre 3 et 4 heures du matin, les 12 jeunes sont discrètement expédiés en France, sans que leurs familles où même leurs avocats ne soient prévenus.
Ils sont incarcérés à la Prison de la Santé, puis transféré à Fresnes, où ils obtiennent le régime de prisonniers politiques.
La presse française de gauche commence à s’intéresser au sort des anticolonialistes martiniquais (Le Monde, Combat, L'Humanité…), l'Association générale des travailleurs antillais et guyanais et l'Union Nationale des Étudiants de France prennent position pour les jeunes.
Dans l’hexagone, les perquisitions et interrogatoires se poursuivent dans le milieu des étudiants martiniquais. Léo Ursulet, Renaud de Grandmaison et Guy Anglionin sont à leur tour inculpés dans l'affaire de l'OJAM.
La protestation populaire semble marquer des points et le 11 juillet 1963, plusieurs emprisonnés sont mis en liberté provisoire : Joseph René-Corail, Roland Lordinot, Gesner Mencé et Léon Sainte-Rose.
Les quatre rentrent en Martinique le 31 août sur le paquebot "Flandre" et reçoivent un chaleureux accueil populaire à Fort de France.
Un dossier très "léger" pour l’accusation
Le lundi 25 novembre 1963, le procès de l’OJAM s’ouvre devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris… 18 jeunes de 19 à 33 ans (une femme et dix-sept hommes) sont cités à comparaître devant la Cour de sûreté de l’État et risquent jusqu’à dix ans de prison pour "atteinte à l’intégrité du territoire".
Les inculpés sont donc : Henri Armougon, Rodolphe Désiré, Guy Dufond, Hervé Florent, Manfred Lamotte, Victor Lessort, Henri Pied, Roger Riam, Georges Aliker, Guy Anglionin, Charles Davidas, Renaud de Grandmaison, Eusèbe Lordinot, Gesner Mencé, Marc Pulvar, Joseph René-Corail, Josiane Saint-Louis-Augustin et Léon Sainte-Rose. Les magistrats semblent étonnés d’avoir à juger des jeunes gens bien sous tous rapports contre lesquels il manque des preuves de leur participation à un complot contre l’autorité de l’État. Cette charge tombe rapidement alors que le jeune avocat Marcel Manville est chargé d’harmoniser la défense des accusés, représentés par pas moins de 17 ténors du barreau, qui les défendent gratuitement.
Des condamnations pour "sauver la face"
Le mardi 10 décembre 1963, cinq condamnations et treize acquittements sont prononcées. Henri Armougon et Hervé Florent écopent de 3 ans de prison ferme, Rodolphe Désiré est condamné à 2 ans de réclusion, Victor Lessort à 18 mois et Manfred Lamotte à un an ferme.
En appel, le 17 avril 1964, les condamnés verront leurs peines commuées en sursis... Le 21 mai, les jeunes de l’OJAM sont tous de retour au pays, totalement libres.
L’organisation, née de la nécessité d’apporter des réponses aux difficultés d’alors, comme le mal-développement, le chômage massif, l’absence de perspectives pour les jeunes mais aussi la perte de repères identitaires, meurt donc au moment du procès. Près de 6 décennies plus tard, de jeunes martiniquais se rassemblent de nouveau derrière un drapeau "rouge, vert, noir" dessiné par un membre de l’OJAM lors de son incarcération en France (Victor Lessort). Peut-être parce qu’aucune solution n’a encore été apportée aux injustices dénoncées à l’époque par les militants anticolonialistes.