Avec l'accession au statut de département le 31 mars 2011, Mayotte s'ouvre les portes de la rupéisation qui devient effective en 2014. Un statut qui lui donne droit aux fonds européens. Mais la gestion de la première programmation a suscité beaucoup de polémiques.
Mayotte et l'Union européenne, ce sont des liens qui existent depuis les années 1980. Avec leur passeport français, les Mahorais peuvent voyager au sein de l'Union européenne sans restriction. Ils participent également aux élections européennes, même si celle-ci est celle qui fait le plus de taux d'abstention. Tous les ans ou presque depuis une dizaine d'années, le conseil départemental organise la fête de l'Europe tous les 9 mai. Bref, le Mahorais est un citoyen européen. Mais comme pour la France hexagonale, ce sentiment d'appartenance à l'espace européen a du mal à se concrétiser quand on est loin de géographiquement de ce continent. L'Union européenne et ses arcanes sont encore inconnues pour la plupart des habitants de cette île.
Des fonds qui ont été multipliés par 20
Avant la rupéisation, Mayotte bénéficiait de fonds européens, notamment le FED, le fonds européen de développpement. C'est notamment grâce à ce fonds que l'électrification de l'île a été achevée en 1993. Et avant 2014, Mayotte obtenait une enveloppe inférieure à 20 millions d'euros pour une programmation de 7 ans. Mais en accédant au staut de RUP (région ultrapériphérique de l'Union européenne) en 2014, les sommes disponibles ont été multipliés par 20. Sauf que pour obtenir concrètement ces fonds, il faut en fait avoir la trésorerie et les avancer, puis fournir les factures et obtenir le remboursement de l'Union européenne.
Avant même le passage de Mayotte en RUP, le conseil départemental qui devait devenir l'autorité de gestion des fonds européens avait des difficultés financières.
A l'époque, nous avions 70 millions d'euros de déficit. Nous n'avions pas les moyens d'avancer 70 à 80 % des montants financés par l'Union européenne. Nous avons donc décidé de donner l'autorité de gestion de ces fonds à la préfecture de Mayotte. je ne voulais pas que l'on dise que le département est responsable du non investissement des fonds européens à Mayotte.
Un GIP pour la gestion des fonds européens qui ne fait pas l'unanimité
Un choix contraint qui aujourd'hui fait débat. Pour Thani Mohamed Soilihi il n'y avait pas d'autres choix à faire. Mais ayant retrouvé des finances saines en 2015, le président Soibahadine Ibrahim Ramadani a demandé par écrit que le département reprenne la gestion de ces fonds pour la programmation 2021-2027. Refus du gouvernement qui ne sent pas capable le département d'assumer cette gestion. Une position qui crispe les Mahorais. De fait, beaucoup regrettent le choix de la présidence Zaïdani. Et celui-ci a d'ailleurs voté contre la mise en place d'un GIP rassemblant l'Etat et le conseil départemental, qui sera présidé pendant trois ans par la préfecture. Mais celui-ci a été validé par l'assemblée plénière du département. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi y voit un modèle s'inspirant de celui de La Réunion, où un GIP rassemble aussi l'Etat et le département.
Ce qui explique la revendication unanime des Mahorais d'avoir la main sur la gestion des fonds européens et le refus du gouvernement de nous l'accorder est que l'Etat cherche à pallier ses carences d'investissements à travers ses fonds, au lieu d'intervenir pour les compléter et réaliser les grands travaux structurants pour le département.
Celui-ci avait d'ailleurs remis en question les compétences de la préfecture en la matière. En effet, avec l'eurodéputé François-Xavier Bellamy, il a rappelé les reproches faits au secrétariat général aux affaires régionales (SGAR) concernant le pilotage des fonds européens par la Commission interministérielle de coordination et de contrôle (CICC). Celui-ci a fait un rapport à la demande de l'ancien préfet et délégué du gouvernement Dominique Sorain. Et il y est souligné un trop fort taux de turn-over, des difficultés à faire remonter les factures et surtout un manque de formation des agents devant instruire les demandes de fonds européens, alors que 2 millions d'euros avaient été budgétés.
La formation des agents négligée et pointée du doigt par la CICC
La préfecture s'est défendue en sortant un bilan de la consommation des fonds européens. Un bilan qui fait entrer dans la moyenne nationale et même mieux que dans certains DOM. Ainsi, selon la préfecture de Mayotte, au 9 novembre 2020, le taux de programmation FEDER est passé à 81 %, celui du FSE à 90 %, et les projets en cours d’instruction couvrent l’intégralité des enveloppes dédiées à Mayotte. Et selon elle, les fonds ont bien été employés pour des besoins réels des Mahorais comme la gestion de l'eau (36 millions d'euros), à la sécurisation de la piste de l'aéroport et aux amphidromes (30 millions d'euros) ou encore pour l'offre de soins (28,3 millions d'euros) dont 17,3 millions pour l'hôpital de Petite Terre et 11 millions d'euros pour les PMI et centre-médico-sociaux.
Toutefois, certaines voix s'élèvent contre ce bilan. Daniel Zaïdani affirme qu'à part pour les amphidromes, il ne sait pas à quoi a servi l'argent de l'Europe à Mayotte. Et il souligne qu'il a organisé à de nombreuses reprises la fête de l'Europe où intervenaient des spécialistes comme les docteurs en droit Thomas Msaïdié, maître de conférence en droit public au centre universitaire de Dembeni. Il avait également mis en place le concours de Jeunes Ambassadeurs, dont l'objectif était de les sensibiliser aux questions européennes, notamment en les amenant à Bruxelles avec l'eurodéputé Younous Omarjee.
Jacques Martial Henry, porteur de projet d'hôtel, mais également élu municipal de l'opposition à Mamoudzou, s'est également prononcé contre le GIP rassemblant le département et la préfecture pour la gestion des fonds européens. Il affirme que les fonds sont attribués de façon discriminatoire et qu'aucun natif de l'île n'en a bénéficié, alors que les porteurs de projet étaient nombreux et sérieux.
Quoiqu'il en soit, le défi sera de maximiser ces fonds européens. Au vu des critères de population et de la situation économique et sociale, Mayotte pourrait prétendre à 825 millions d'euros pour les 6 prochaines années. Mais c'est loin d'être gagné.
Le gouvernement ne souhaite nous accorder que la moitié des 825 millions d'euros de fonds européens de droit commun de la période 2021-2027. C'est inacceptable ! Mayotte n'a pas les moyens de se priver de 400 millions d'euros qui partiront financer des projets de territoires beaucoup mieux équipés.
Et les projets à Mayotte ne manquent pas. Piste longue pour l'aéroport, un deuxième hôpital, extension du port de Longoni, université de plein exercice, assainissement, etc.
Schengen et Frontex, les nouveaux espoirs pour lutter contre l'immigration clandestine
Mais pour beaucoup, l'Europe est aussi un espoir pour lutter contre l'immigration clandestine. Le conseil départemental, suite à l'appel lancé par le parti Le temps d'agir, a adopté une motion demandant l'intégration de Mayotte dans l'espace Schengen. L'objectif est double.
En entrant dans Schengen, on mettra fin aux séjours "made in Mayotte" et cela permettra aux titulaires de ces cartes de circuler partout en Europe. Les séjours "made in Mayotte" nous asphyxient, on ne peut pas accueillir tout le monde. Et puis qui dit Schengen, dit Frontex. Les Açores et Madère font partie de Schengen, pourquoi pas nous ?
Là aussi le combat n'est pas gagné. L'eurodéputé LR François-Xavier Bellamy avait fait part de son scepticisme en soulignant que si Mayotte fait son entrée dans Schengen, cela ferait un appel d'air pour tous les migrants d'Afrique de l'Est et d'Afrique australe. Mais les partisans de l'entrée de Mayotte dans l'espace Schengen avancent que Frontex, l'agence européenne des gardes-frontières et gardes-côtes mobilisera les moyens humains et matériels pour empêcher les kwassa kwassa d'accoster sur notre île.