[Comores] Chassée de son village pour avoir dénoncé l’agression de son fils

Une mère, Amani Mmadi, porte plainte pour agression sexuelle sur son fils. Son village, Mbambani crie au déshonneur et expulse son mari. Les internautes soutiennent la mère contre une notabilité « rétrograde », « veke ».
Est-ce l’épilogue du long feuilleton qui a passionné les internautes comoriens depuis presque un mois ? De sources concordantes, Patrick, auteur présumé d’attouchements sexuels sur mineur a été placé en mandat de dépôt ce 29 octobre à la maison d’arrêt de Moroni. Ce placement intervient alors que beaucoup se sont mobilisés pour soutenir Amani Mmadi, la mère du jeune garçon, victime d’attouchements. Depuis dimanche dernier, sous la contrainte elle a dû quitter son village, Mbambani située à une vingtaine de kilomètres au sud de Moroni. La vidéo de la famille forcée de quitter son foyer a ému les internautes qui ont déchargé leur colère sur la notabilité du village, qui a pris la malheureuse décision. 
 

« Mbambani a fait le choix de défendre une famille plus puissante »

 
Celle-ci, sans doute sous la pression, s’en est expliquée lors d’une conférence improvisée ce 27 octobre dans l’enceinte du ministère de l’intérieur après sa réception par le locataire des lieux, Mohamed Daoudou. La délégation se défendait d’avoir chassé la mère de la victime. « Nous avons expulsé son mari, Bakri, qui à longueur de journée salissait l’honneur de notre village sur les réseaux sociaux en affirmant à cor et à cri que nous protégions un réseau de pédophile », a cru bon de préciser Moussa Moindjié, professeur d’histoire-géographie, porte-parole de la délégation. Et de préciser « que cette expulsion était en fait une mesure de protection à l’endroit de Bakri, car la jeunesse de notre village était très remontée contre lui ».  Celui-ci a par ailleurs annoncé qu’une plainte allait être déposée contre lui et l’avocat de l’enfant « pour diffamation ».
Le porte-parole de la délégation nie tout esprit partisan dans cette affaire. Cependant, lors de son speech, il a semblé absoudre l’agresseur sexuel présumé, déjà « parce qu’après la plainte et les premières auditions, loin d’être placé en mandat de dépôt en attendant la tenue du procès, il a été soumis à un simple pointage au tribunal mais en plus, la victime tient des versions différentes sur les faits qu’elle aurait pourtant subis ». L’agresseur présumé était lui resté au village durant tout ce temps jusqu’à ce que le juge décide, peut-être sous la pression, de le placer en prison. 
 
Contactée au téléphone le mardi, Amani Mmadi, véhémente et sûre d’elle persiste et signe : « j’ai été chassée dès lors qu’ils ont chassé mon mari, ils l’ont fait aussi avec moi, aucune comorienne ne resterait dans un endroit d’où a été expulsé son mari », s’est-elle écriée. Cette affaire révèle le visage de son village selon elle, « qui a pris le soin de défendre une famille puissante au détriment de la mienne ». Cette affirmation est corroborée par un notable. « La famille de Amani ne compte aucun oncle qui a un poids remarquable dans la communauté », a-t-il fait remarquer. 
 

« Une notabilité rétrograde »

 
C’est sans doute pour toutes ces raisons que des associations de défense des victimes de violences se sont rendu à Mbambani où elles ont été accueillies par des notables sur la place principale de la localité. Mais là encore, certaines participantes n’ont pas apprécié le déroulé de la réunion. Miriame Kaissani, activiste fraîchement installée à Moroni s’est fendue d’un direct aussitôt après la rencontre. « J’ai fait un direct parce que durant toute la réunion, pas une seule fois je n’ai entendu les notables se soucier de la victime mais uniquement de la réputation de Mbambani qui aurait été salie », a-t-elle fait savoir. La jeune femme s’est insurgée via un live Facebook qui a fait le buzz. En cause, « selon le protocole de la réunion, les femmes n’avaient pas la possibilité de s’exprimer, y compris les présidentes des différentes associations présentes », devait-elle justifier.
De la vidéo qui a été longuement relayée sur les réseaux sociaux, les internautes auront aussi retenu le fait que Miriame a dit de la notabilité qu’elle était « veke » (rétrograde, ndlr).La notabilité ainsi qualifiée n’a pas tardé à réagir en traitant la militante de tous les noms et en enjoignant, via une vidéo publiée sur Facebook ce 28 octobre, le village dont elle est originaire « à procéder à une excommunication ». Les internautes comoriens ont surenchéri à leur manière :  en soutien, ils ont mis en place « le vecke challenge » en publiant des vidéos ayant repris les propos tenus par Miriame. 
 
Toujours est-il que pour beaucoup cette affaire est révélatrice du pouvoir « mortifère de la notabilité » où l’honneur de la communauté est une valeur absolue ainsi que de l’absence criante de l’autorité de l’État en dehors des principales capitales. « Le système coutumier comorien basé sur l’accomplissement du grand-mariage, suppose que rien ni personne, ne doit menacer l’honneur du village, celui-ci étant sacré », a analysé Mistoihi Abdillahi, docteur en sociologie. 
 
En tout cas, Najda Said Abdallah, présidente d’une association de défense des victimes de violence, « ma tristesse est grande parce que les victimes sont encore réduites au silence dans certaines villes, parce que les autorités de ce pays n’agissent pas en urgence pour la protection effective des citoyens plus particulièrement dans le cas des victimes de violences et agressions sexuelles ». Un aveu d’impuissance alors que de plus en plus de voix s’élèvent afin que les victimes de violences sexuelles soient enfin pleinement entendues.