" 8 licences de pêche délivrées à des navires seychellois ou 8 autorisations supplémentaires données à des armateurs européens, pour la préservation de la ressource et les pêcheurs mahorais c’est kif kif "
Emmanuel TUSEVO : Monsieur le député Mansour KAMARDINE, vous avez adressé une question écrite au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, Didier GUILLAUME, dans laquelle vous attirez l’attention du gouvernement sur un nouvel accord de pêche envisagé entre l’Union européenne et les Seychelles dans la zone économique exclusive- ZEE -mahoraise.
Avant d’entrer dans les détails de cette problématique, est-ce que vous voulez bien éclairer le grand public sur ces notions d’accords de pêche entre différents pays, ainsi que cette notion de la ZEE mahoraise ?
Mansour KAMARDINE : La ressource naturelle diminue. Plus le temps passe, plus la ressource naturelle diminue. C’est pourquoi les Etats européens mettent en place des politiques de gestion durable des ressources naturelles, ce qui induit un suivi des populations de poissons et une limitation des prélèvements, de sorte que la biodiversité ne soit pas atteinte et que l’activité de pêche demeure pérenne.
Dans notre précédent entretien, nous avions parlé de la ZEE. Et bien voici l’intérêt de la délimitation de la ZEE française de Mayotte, c’est-à-dire de l’espace maritime de souveraineté économique qu’il faut savoir protéger, exploiter raisonnablement et aussi valoriser pour le développement économique de Mayotte.
S’agissant des pays européens, dont la France, ils ont décidé de déléguer la négociation des accords de pêche avec des Etats tiers à l’Union européenne.
L’Europe négocie donc aux noms des pays européens, pour une période donnée, les accords permettant l’accès aux ZEE des pays européens pour des pays extra-européens, ce qui permet une gestion concertée de la pêche sur de grands bassins maritimes. Or seule une gestion concertée permet de maîtriser les prélèvements globaux de poissons et donc de préserver la biodiversité et le caractère renouvelable des ressources.
En effet, le patudo, thon que l’on trouve à Mayotte, n’est que de passage à Mayotte. Il circule sur des milliers de kilomètres dans l’océan indien, au grès des saisons, de sa recherche de nourriture et de son cycle de reproduction. Il peut être passé, avant Mayotte, par les eaux seychelloises et mauriciennes puis continuer après Mayotte dans les eaux comoriennes, mozambicaines puis tanzaniennes. Or si tout ce qui passe dans les eaux seychelloises, malgaches et comoriennes était pillé par une pêche qui raflerait tout, comme cela a été le cas lorsqu’un pays d’Asie a obtenu des licences de pêches dans la zone il y a une dizaine d’année, alors nous n’aurions pas un seul thon à pêcher dans les eaux mahoraises. D’où la nécessité d’avoir une vision de la pêche sur l’ensemble du Sud-Ouest de l’Océan indien et de favoriser la signature d’accords de pêche avec les pays de la région non européens. C’est la meilleure solution pour garantir qu’il aurait demain du thon dans nos eaux et éviter ce qui s’est passé dans l’atlantique et le pacifique où le M’bassi a été surpéché au point que les stocks ont du mal à reconstituer même à un horizon de 10 ans.
En fait, ce qui compte pour préserver la ressource halieutique et permettre le développement de la pêche mahoraise, n’est pas de savoir si tel ou tel bateau bat pavillon seychellois, mauricien ou réunionnais, mais quelle est la quantité de poisson prélevé au total dans la région et quelle quantité est prélevée dans les eaux mahoraises. En d’autres termes, 8 licences de pêche délivrées à des navires seychellois ou 8 autorisations supplémentaires données à des armateurs européens, pour la préservation de la ressource et les pêcheurs mahorais c’est kif kif, cela ne change rien.
Emmanuel TUSEVO : A propos de cet accord, vous soulignez une fois de plus qu’il présente l’avantage de la confirmation de la francité de Mayotte par un état membre de l’Union Africaine et membre de surplus de la COI, Commission de l’Océan indien.
Mansour KAMARDINE : Entre autres revendications ou démarches que nous avons entreprises pour la reconnaissance de la francité à Mayotte, c’est l’intégration de Mayotte dans la COI mais c’est aussi la reconnaissance sur la scène internationale d’une manière générale.
Quand nous avons un pays comme les Seychelles qui négocie avec l’Union européenne le nombre de licences de pêche dans les eaux mahoraises que la France délivrera à des bateaux battant pavillon seychellois, cela veut dire que l’Etat seychellois reconnaît , de fait, que Mayotte est un territoire européen sous souveraineté française et que la ZEE française de Mayotte est bien sous souveraineté française et non un espace maritime de l’Union des Comores.
Cet aspect politique et diplomatique n’est pas anodin. C’est important pour nous les Mahorais.
De même, qu’un pays membre de la COI, membre également de l’Union africaine comme les Seychelles accepte cette situation signifie que nous arrivons à casser le blocus qui était autour de Mayotte. Au fur et à mesure, par de plus en plus de pays représentés à l’ONU, Mayotte est acceptée pour ce qu’elle est naturellement, historiquement et politiquement, c'est-à-dire un territoire français.
" Je veux vérifier si le prélèvement global dans les eaux mahoraises ne déséquilibre pas la ressource et s’il permet le développement de la filière pêche mahoraise et je souhaite que le retour financier vers Mayotte soit optimisé pour appuyer la modernisation de la flotte mahoraise et la sécurisation des pêcheurs locaux afin de favoriser leur accès à la zone."
Emmanuel TUSEVO : Pourquoi vous émettez des réserves sur la position du député européen d’origine réunionnaise, Younous OMARJEE qui, selon vous, se montre alarmiste quant à cet accord de l’Union européenne avec les Seychelles. Qu’est-ce que Younous OMARJEE avance exactement comme arguments pour s’opposer à cet accord ?
Mansour KAMARDINE : Younous OMARJEE attire l’attention sur le fait qu’il va y avoir un prélèvement excessif de la ressource. Or il n’aborde que le prélèvement par les bateaux seychellois qui sont pourtant moins nombreux que les bateaux battant d’autre pavillons. Il cible les seychellois au lieu de cibler le prélèvement global dans la ZEE de Mayotte. Or c’est bien l’ensemble de ce qui est pêché dans les eaux mahoraises qui compte, y compris pour que les pêcheurs locaux y trouvent leur compte.
Emmanuel TUSEVO : Il parle même de pillage…
Mansour KAMARDINE : … de pillage de la ressource. Nous avons une divergence parce que j’observe qu’avant l’intervention de l’Europe sur cette question-là, les Seychelles, l’île Maurice et Madagascar avaient donné des droits de pêche à des pays étrangers qui ont tout raflé. Là, il y a eu un vrai pillage si bien que nos pêcheurs de Mayotte, quand ils sortent en mer, reviennent avec peu de poisson et nous disent qu’il n’y a plus rien dans le lagon et autour du lagon.
A partir du moment où l’Europe vient assurer une gestion rationnelle de la ressource, petit à petit, on sent qu’il y a du poisson qui revient.
C’est pour cela que je trouve que Younous OMARJEE est alarmiste alors que c’est le contraire qui se produit. Parce que l’Europe développe une gestion coordonnée de la ressource en partenariat avec des pays de la zone, ce qui favorise l’éloignement de bateaux asiatiques, la ressource commence à revenir.
Il faut continuer à la cogérer parce qu’en concluant des droits de pêche avec des pays tiers, notamment avec les Seychelles, cela permet à l’Europe et à la France de contrôler en partenariat avec nos voisins l’exploitation de cette ressource et de pouvoir s’assurer qu’il n’y ait pas de prélèvement excessif. C’est un élément important.
J’ajoute, enfin, qu’il est important pour nous de négocier des droits de pêche avec des pays tiers car la délivrance des licences est payante et entraîne ainsi le versement des royalties qui peuvent contribuer à la restructuration de la filière pêche de Mayotte. A l’inverse, quand ce sont les sociétés battant pavillon européen qui bénéficient de ces droits de pêche, elles se voient délivrés des autorisations gratuites qui ne donnent aucun versement financier fléché vers le développement de Mayotte.
Toute chose égale par ailleurs, l’intérêt des Mahorais est que, quitte à délivrer des droits de pêche, autant que cela soit des licences payantes aux seychellois plutôt que des autorisations gratuites à des pavillons européens.
Ce que nous devons regarder est plutôt les moyens d’organiser sur terre, à Mayotte, des unités de valorisation des produits qu’ils tirent de la mer.
Pour ma part je ne souhaite pas tirer l’alarme. Mais je veux vérifier si le prélèvement global dans les eaux mahoraises ne déséquilibre pas la ressource et s’il permet le développement de la filière pêche mahoraise.
Ensuite, nous examinons la possibilité de développer une filière logistique et une filière de transformation des produits de la mer à Mayotte.
Enfin, je souhaite que le retour financier vers Mayotte soit optimisé pour appuyer la modernisation de la flotte mahoraise et la sécurisation des pêcheurs locaux afin de favoriser leur accès à la zone.
Emmanuel TUSEVO : Il y a un mot-clé dans votre question écrite, c’est le mot « transparence » Vous estimez que tous ces risques doivent être évalués en toute transparence vis-à-vis des Mahorais ?
Mansour KAMARDINE : Oui parce que les Mahorais sont attachés à la mer, ils souhaitent participer à l’exploitation de la ressource. Aujourd’hui nous voyons qu’ils sont harcelés dans l’utilisation du lagon qui bénéficie d’une protection particulière alors qu’ils n’ont pas les moyens de sortir au-delà du lagon notamment dans la ZEE. L’exploitation de la ressource marine à Mayotte ne profite pas assez directement aux Mahorais. Les Mahorais sont en droit de savoir combien de tonnages ont été accordés, combien de tonnages ont été prélevés, combien de tonnages restent pour assurer la reproduction et la continuité de la ressource, quelles sont les retombées économiques locales.
Tout cela doit se faire en totale transparence car c’est, premièrement, une condition incontournable du débat démocratique pour les citoyens et, deuxièmement, une condition nécessaire pour que les responsables économiques et les élus locaux établissent une politique cohérente de développement du secteur de la pêche et de valorisation de ses produits au service du développement économique et social du territoire et des habitants.
" Mettre des poissons en boîte à Mayotte et les exporter serait une véritable mine d’emploi pour nos jeunes et je verrais d’un bon œil que l’Europe n’autorise des droits de pêche à Mayotte qu’au-delà de 50km des côtes au lieu des 24km actuellement. "
Emmanuel TUSEVO : Il y a le précédent accord et là, il y a un nouvel accord qui doit être négocié. Quelles sont les spécificités, les différences entre l’accord précédent et l’accord en cours de négociation maintenant en 2019 et qu’est-ce que vous, vous proposez pour le nouvel accord ?
Mansour KAMARDINE : L’accord actuel est en vigueur jusqu’ en juin 2020. Il arrive à échéance. Ensuite viendra un autre accord.
Actuellement, la commission a demandé l’autorisation au Conseil européen de pouvoir négocier ce nouvel accord.
Personnellement, je soutiens l’idée de construire un nouvel accord puisqu’il permet, encore une fois, de favoriser le contrôle, la gestion de la ressource et d’éviter le pillage que nous avons connu voici quelques années en intégrant les Seychelles dans une logique durable.
Ce que j’attends de cet accord est d’assurer la durabilité de la ressource mais aussi d’aller plus loin en imaginant la mise en place à Mayotte d’une plus-value par la création d’une filière logistique et de transformation. Mettre des poissons en boîte à Mayotte et les exporter serait une véritable mine d’emploi pour nos jeunes en plus de faire connaître Mayotte à l’international.
Enfin, je souhaite que soit porter une attention particulière à la restructuration et au développement de la filière « pêche » à Mayotte. A cet égard, je verrais d’un bon œil que l’Europe n’autorise des droits de pêche à Mayotte qu’au-delà de 50km des côtes au lieu des 24km actuellement. Cela permettrait certainement de développer la pêche locale en lui donnant l’exclusivité jusqu’à 50km des côtes.
Emmanuel TUSEVO : Et vous tenez à ce que pour la population mahoraise et ça vous le soulignez dans votre lettre écrite au ministre de l’agriculture et de l’alimentation, vous tenez à ce qu’il soit établi une analyse objective dans l’intérêt pour Mayotte et pour les Mahorais ainsi que d’autres territoires régionaux.
Mansour KAMARDINE : Vous savez que la France est à Mayotte et à la Réunion. On peut très bien imaginer que cet accord puisse intéresser nos deux départements. Et donc nous souhaitons que les choses soient faites de manière la plus transparente possible et que Mayotte puisse tirer toute sa part dans cet accord.
Emmanuel TUSEVO : Qu’est ce qui d’autre vous semble important pour conclure ?
Mansour KAMARDINE : Tous les jours, collectivement, nous écrivons l’histoire. Continuons à écrire l’histoire de Mayotte française, de sa place dans l’Océan indien, dans la COI, dans le monde. Continuons notre marche vers la liberté et vers l’égalité. Poursuivons le rattrapage économique et social. A travers ces questions et les réponses qui sont données, à travers les actions que nous allons poursuivre, construisons collectivement cette histoire qui nous passionne intensément.