Est-ce cela la dictature ? 

Malgré de nombreuses intimidations dans un pays où la liberté de la presse est très souvent bafouée, Faiza Soulé Youssouf correspondante de Mayotte la 1ere à Moroni a toujours revendiqué sa liberté d’informer. Elle nous livre ici, une ode contre la dictature qui gangrène les Comores.
 

C’est donc cela, la dictature ? Celle dont nous parlaient nos pères et nos mères ? Celle, qui s’introduit insidieusement ? C’est cela, la dictature, une justice aux ordres et une armée qui ne protège qu’une infime partie de la population ? Une armée qui protège un clan ? C’est donc cela, la dictature, celle dont me parlait Idriss Mohamed Chanfi et tant d’autres ? Ce sont les arrestations musclées et le mitard sans motif ? C’est la violence pour raison d’Etat légitimée par ses dépositaires ? C’est avoir le cœur qui fait des embardées, à la vue d’une pick-up bleue, faire demi tour par crainte de te voir arrêté, changer d’itinéraire et  en voir 10 autres, que le cœur menace de te lâcher, que les mains soient moites, que la sueur perle sur ton front ? 

C’est donc cela, la dictature ? Des journalistes emprisonnés sans autre forme de procès, d’autres qui fuient sans demander leur reste ? Ce sont des journaux censurés par le pouvoir en place  parce que les sujets traités ne leur plaisent pas? C’est donc cela, la dictature, avoir peur de parler au téléphone, avoir peur d’envoyer des messages,  ne plus être en confiance sur les réseaux sociaux, avoir peur de se faire pirater son compte ? C’est être persuadé d’être sur écoute ? Est-cela la dictature dont nous parlaient nos pères ? 

C’est donc cela, la dictature, chuchoter par crainte de se faire dénoncer par un voisin alors tout ce que tu dis au téléphone, c’est  que le pain est cher ? C’est donc cela ? 


C’est donc cela, la dictature, cette impression que l’on est partout suivi, ce sentiment qu’il se peut que tu sortes de chez toi sans être sûr de pouvoir y retourner ? 

Est-cela la dictature ? C’est avoir le cerveau qui manque d’oxygène ? Etre incapable d’écrire et de transmettre un message correctement ? Ne pas pouvoir s’expliquer et avoir ce sentiment lassant que l’on se justifie encore et encore alors que tu n’as rien fait de mal ? 

Est-ce cela la dictature ? Raser les murs, faire le mort en espérant que l’on t’oublie dans les rafles qui sévissent en dictature-land. Est-ce cette  impression persistante que tu n’auras jamais raison alors que le droit est de ton côté ? 

Est-ce cela la dictature ? Avoir peur de dormir chez soi, n’avoir confiance qu’en une poignée de gens, se dire que la république ne te protégera pas, se dire personne ne le peut et s’en remettre à Dieu parce que Dieu finira bien par t’entendre mais se dire en même temps qu’il peut prendre tout son temps parce qu’il est Dieu et que tu ne peux que lui être soumis ? 

Est-ce cela la dictature, le pouvoir dans les mains de quelques hommes, le pouvoir, tous les pouvoirs ? C’est avoir peur de manifester pour ne pas se faire canarder, avoir peur  d’écrire ce que l’on pense pour ne pas se faire emprisonner, c’est avoir peur de sortir pour ne pas se faire arrêter, c’est avoir peur de se faire torturer ? En fait, la dictature est-ce  dire à un juge les tortures subies et que celui-ci fasse la sourde oreille parce que «  ce n’est pas l’objet de sa question ». 

Être en dictature, est-ce se dire qu’un minable papier sans queue ni tête (celui-ci en l’occurrence) peut te faire mener en prison,  te valoir les traitements les plus abominables ?

La réponse à toutes ces innombrables questions, est oui. Donc, nous sommes en dictature, ça y est, j’ai la réponse à ma question. Même si je sais que ce n’est pas pour cela qu’il s’est fait élire en 2016. Ce n’était pas pour qu’il se substitue au peuple souverain, ni en détourner le suffrage de façon aussi éhontée et méprisante  3 ans plus tard? Ce n’est pas pour compter les morts qu’il s’est fait élire ni pour des complots sans queue ni tête mais qui n’avaient que pour seul but, d’asseoir encore et encore son pouvoir. Ce n’est vraiment pas pour cela. 

Et puis, nous sommes en dictature, vous savez pourquoi ? Même à l’annonce « de sa victoire », loin de la liesse populaire et spontanée de 2016, il a fallu donner l’autorisation à ses soutiens pour qu’ils la célèbrent dans le parking d'un hôtel, loin de tout, loin du peuple dont il revendique à cor et à cri la légitimité.
                                                                           

                                                                                                                                                    Faïza Soulé Youssouf