« Ils ont coupé les arbres, nous, nous avons coupé leurs cultures et on va reboiser en espérant que ça va s’arrêter là » ambitionne Rachida Omar, la chef de service ressources forestière ou SRF. La jeune femme travaille au service de la direction ressources terrestre et maritimes du conseil départemental de Mayotte. Avec son équipe, elle est en charge des forêts du Département, soit 70 % des massifs forestiers de l’île.
La mission des agents ce là-jour : reboiser la forêt de Majimbini. Une action somme toute assez banale pour eux. Toutefois, cette opération revêt une particularité, les plants seront transportés sur les sites défrichés, en hélicoptère. Un véritable confort puisqu’en temps normal, les plants sont transportés à dos d’homme. Des conditions de transport qui d’une part sont harassantes et dangereuses, mais qui prennent également du temps et qui coûtent cher en termes de main d’œuvre.
« Aujourd’hui, c’est une opération test, du point de vue transport, précise Rachida Omar. Parce que le plus difficile ; dans ces missions de reboisement, c’est d’acheminer les plants du service à Coconi jusque dans les forêts. On fait un essai pour voir avec l’organisation que l’on a aujourd’hui, combien ça couterait ce transport en hélicoptère. Ainsi, nous pourrons comparer avec éléments de référence que l’on a qui et qui concerne le transport à dos de personne. »
« Badamiers, tamarins, sari mdarassini ou faux cannelier », énonce Chaarani Soidri, le chef de bureau pour la production de plants forestiers pour le reboisement des forets départementales. La liste des arbres utilisés pour assurer le couvert végétal des forets déboisés est non exhaustive. « On a une espèce qu’on appelle le mtsousou qui va bien dans les forêts humides, le calophylle inophyle ou mtrondjo, le terminalia catappa qu’on appelle le miamba » poursuit Chaarani.
Les espèces plantées ce jour sont des espèces « pionnières ». Elles ont une croissance assez rapide pour permettre une couverture accélérée des zones défraichies. « Les réhabilitations de milieux forestiers consistent à détruire les cultures qui sont faites de manières illégales que l’on va retrouver en forêt. Ceci nous permet de reboiser et de remettre en état la forêt pour qu’elle retrouve son état initial» explique Rachida.
Cette opération fait suite à une action de destruction de culture illégale qui a eu lieu il y a huit semaines. Ces opérations de réhabilitations surviennent deux fois mois. L’une encadrée par les forces de police et l’autre par la gendarmerie.
Pour l’intervention du jour, 3 600 plants ont été conditionné pour leur transport en hélicoptère. C’est sur un terrain non loin du village de Combani qu’est stationné l’aéronef. Il a décollé de Petite-Terre une demi-heure plus tôt pour se poser sur ce terrain propice aux manœuvres de l’appareil.
« Je serais tenté de laisser une radio mais comment je la récupère ? » s’interroge Anli Abdallah Djaha, l’assistant de vol. Chacun y va de son idée pour que l’opération se déroule dans les meilleures conditions. «Pour cette première, on met toutes les chances de notre côté en ayant une communication claire» précise Anli. « Oui, oui, acquiesce Rachida, on fait un débriefing avant et après. Pour voir les consignes et après pour voir ce qui peut être amélioré pour les opérations futures. »
Comment attacher les charges, ou se placer pour les réceptionner, comment signaler au pilote de l’hélicoptère qu’il doit remonter, descendre ou rester en stationnaire etc… Anli, l’aide du pilote donne les consignes de sécurité. « On ne va pas derrière l’hélicoptère. C’est la chose la plus importante. Parceque derrière il y a la petite hélice, le rotor anticouple qui tourne. Il tourne à quasiment 2000 tours minutes. On ne voit pas qu’il tourne et c’est là qu’il peut y avoir des accidents. Toute la phase arrière est dangereuse poursuit-il. Des questions ? demande-t-il à l’assistance ? Non ? Insiste-il, puisque tout le monde semble opérationnel, le petit groupe se disperse.
Après un appel à l’équipe chargée de réceptionner les 3600 pieds qui seront plantés ce jour, Anli regagne l’appareil. Il effectue les vérifications d’usage avant que les pales du rotor ne se mettent en mouvement.
L’hélicoptère s’élève dans les airs est soulève un nuage de poussière. Il faut quelques secondes pour que le filin se tende. La charge ne s’élève pas tout de suite dans les airs. Elle met une trentaine de secondes à décoller de son emplacement. Elle tournoie sur elle-même avant de s’élever dans les airs pour finalement dépasser la cime des arbres et disparaitre à l’horizon.
Pour rejoindre le point de largage, il faut d’abord emprunter une piste de terre en voiture. Ensuite, le reste du trajet se fait à pied. Rachida et Ismaël, son collègue chef du bureau études et aménagement des ressources forestières du conseil départemental nous accompagne. Ils estiment le temps de marche à quarante minutes. Alors, c’est d’un pas soutenu que nous partons à l’assaut des sentiers qui mènent à la foret de Majimbini.
Les guides font une halte au niveau de la zone « tampon ». La limite entre la zone agricole et l’orée de la foret. Ici, le soleil cogne et pour cause, en ce lieu, il n’y a pas l’ombre d’un arbre. Le lieu qui était auparavant arboré a laissé place à un tout nouveau paysage. D’une part, la zone agricole constituée de plants de tomates, manioc et bananes qui a gagné du terrain. A côté, les padzas. Des zones avec des sols rougeâtres totalement nues. Des terres où plus rien ne pousse.
« C’est une zone qui est géré par l’ONF, explique Ismaël. Elle va mener des opérations de reboisement pour les préserver. Les limites de la foret départemental commence là, signale t- il en désignant une ligne d’arbres à quelques mètres.
C’est la direction qu’emprunte notre petit groupe qui s’enfonce dans la forêt. Ici, les frondaisons sont si luxuriantes que l’on aperçoit à peine le ciel. Plus nous avançons dans l’étendue boisée, plus les cymbalisations des cigales nous accompagnent. Le bruit est très présent et nous impose le silence. Un silence dont chacun profite pour se concentrer sur ses pas, afin d’éviter racines et cailloux qui jalonnent le sentier. Mais après 5 minutes de marche, l’atmosphère et le paysage changent. Soudain, c’est à nouveau le silence, plus de chant de cigales. Et pour cause, il n’y a plus beaucoup d’arbres en ce lieu.
C’est vraiment un désert, c’est un cimetière d’arbres déplore Rachida Omar, chef du service ressources forestières direction ressources terrestres et maritime du conseil départemental.
Sur notre droite, tout un pan de la forêt a disparu. Ne reste que des bouts de troncs, des branches calcinées et des plants de manioc. « On peut voir que là-haut, jusqu’aux crêtes il y a de moins en moins d’arbres. Cette dynamique-là, on va la retrouver jusqu’au plus profond de la foret de Majimbini » se désole Rachida, la chef du SRF au conseil départemental. « Ici, ce n’est que le début du carnage » ajoute la jeune Sadoise.
Et effectivement, quelques mètres plus loin, c’est la même scène de désolation. Le massif forestier est totalement détruit, on a l’impression qu’une catastrophe naturelle a déraciné les arbres par dizaines. Et pourtant, il n’en est rien. Nous sommes en plein cœur de la foret de Majimbini. C’est la zone la plus impactée par les activités anthropiques, des activités émanant de l’activité humaine : culture de manioc, de bananes etc… Plusieurs coins de forêt sont ainsi défrichés pour ce type de culture.
Arrivés sur l’un des points de largage, les employés du prestataire chargés de planter les juvéniles sont déjà à pied d’œuvre. Tous les deux mètres, ils mettent un plan en terre en alternant les espèces. Les vrombissements de l’hélicoptère nous parviennent. « Tout droit, tout droit » indique un agent par le biais de sa radio afin de signaler notre emplacement. Tous ont les yeux rivés vers le ciel, vers l’hélicoptère et ce gros sac au bout du filin. Dès que ce dernier touche le sol, deux hommes aux gilets fluorescents détachent le ballot. Une opération menée en quelques secondes.
Pour le dernier hélitreuillage, nous devons nous déplacer 200 mètres plus loin. Six minutes plus tard, l’hélicoptère est de retour pour le dernier des six vols de la matinée. Le groupe se scinde en deux équipes. L’une se charge de sortir les plants du sac de transport. Quant le second groupe, s’affaire à attacher les sacs de transport au crochet afin de les rendre aux prestataires de l’hélitreuillage.
Une forêt en grand danger
« J’ai planté un macphersonia gracilis. C’est un arbre qui peut avoir une envergure assez importante donc qui va avoir des racines assez larges. Pendant les saisons des pluies, ça va permettre à l’eau de mieux s’infiltrer » explique Ismael Chanfi, chef du bureau études et aménagement services des ressources forestières.
Les opérations de reboisement sont menées chaque année. Mais depuis la problématique de raréfaction des ressources en eau, les agents du SRF doivent multiplier la fréquence de ces opérations. C’est sur les bassins versants que se porte la priorité des reboisements. En effet, ces dernier alimentent les nappes phréatiques et par extension les retenues collinaires.
« De manière globale, nous pouvons reboiser 40 hectares par an. Nous avons une programmation qui est donnée par des priorités qui sont décidées entre l’ONF, le Département, la DAF et les différentes institutions qui s’occupent des forêts. Ces priorités ont été ciblées pour la préservation des ressources en eau. Ensuite nous programmons les reboisements sur une année. Les plantations se font essentiellement en saison des pluies pour s’assurer leur irrigation » nous informe Ismaël.
« La forêt de Majimbini, c’est une forêt qui est très menacée vu la pression démographique. On a autour, les communes de Mamoudzou, Tsingoni et puis d’un autre coté Bouyouni et Bandraboua. Les gens font pas mal de cultures vivrières: bananes, manioc. Des cultures maraichères aussi : piments, tomates et gingembres. Tous ces produits-là sont cultivés illégalement dans ces forêts. On essaie vraiment par la surveillance et d’autres opérations de maitriser ces espaces là et de réintroduire les espèces locales pour préserver notre patrimoine », nous confie Chaarani Soidri, chef du bureau plants et travaux forestiers.
- Commune de Tsingoni, la forêt alimente la retenue collinaire de Combani.
- Commune de Bandraboua alimente les zones de captage de traitement d’eau à Bouyouni.
- Secteur Ourouvéni, la zone de captage se situe dans le secteur Majimbini donc il y a un lien direct.
Opération sauvegarde
Ces opérations de reboisement sont nécessaires pour la préservation des forêts, patrimoines culturelles et écologiques à Mayotte. « Les plants que nous sélectionnons sont des plantes indigènes, des plantes de Mayotte. Si nous ne faisons pas ces opérations-là, elles sont vouées à disparaitre » se désole Rachida Omar qui a rejoint le service ressources forestières en juillet 2022.
La dynamique de défrichement et de découpe d’arbres et tellement importante que même en étant 60 dans le service, on doit travailler avec des outils de plus en plus modernes pour pouvoir pallier ce phénomène
Rachida Omar, chef du service ressources forestières direction ressources terrestres et maritime du conseil départemental.
Le SRF du conseil départemental envisage d’utiliser plus fréquemment les outils modernes pour leurs interventions en forêt. « Pour mesurer une surface qui a été défrichée on le fait à pied avec des GPS, on relève les points. Aujourd’hui on essaie d’imaginer un système de prise de photos avec des drones pour pouvoir évaluer les surfaces impactées avec des photos géo-référencées » se réjouit Ismael qui a lui rejoint le service il y a six ans. Après des études en informatique, il a travaillé plus de 15 ans dans ce domaine. Et puis un jour, cet amoureux de Mayotte s’est converti en préservation forestière. « C’est plus utile » nous glisse le quinquagénaire dans un sourire.
D’un naturel très réservé, le chef du bureau d’études et d’aménagement devient éloquent lorsqu’il parle de son travail. Il nous apprend que service ressources forestières du département produit lui-même ses plants pour les opérations de reboisement. Un volume de production de 80 000 plants qui permet de reboiser 40 hectares par an.
Néanmoins la dynamique de défrichement est plus importante que les capacités du service ressources. Prélèvement de bois chauffe, fabrication de charbon illégale, bois de construction, culture vivrière, maraichage, coupe d’arbres etc… se font sur l’ensemble des massifs forestiers de l’ile. « La forêt est prise d’assaut pour tous les besoins primaires des populations qui sont sur place : se nourrir, se chauffer et se loger. Si d’autres services n’arrivent pas à couvrir ses besoins là pour ces personnes, elles vont venir se servir en forêt » déplore Rachida. C’est un problème à régler à tous les niveaux pour que l’impact soit réduit en forêt », poursuit-elle.
Moins de 5%
Moins de 5 %, c’est ce qu’il reste de la forêt primaire à Mayotte. Forêts de l’ONF et conseil départemental confondus, le constat est identique :la forêt originelle disparait. « C’est vraiment des reliquats et c’est même pas 5% ensemble. Ce sont des petits ilots. C’est triste de savoir qu’il reste moins de 5% de forêts primaires » regrette Rachida. Les forêts de l’île sont des forêts reconstituées par les opérations de reboisement.
Il y a des espèces que l’on ne retrouve qu’à Mayotte, si elle disparaisse à Mayotte, elle disparaisse de la surface de la terre alerte Rachida Omar
Quels conséquences?
Tourisme, alimentation, perte du patrimoine écologique et forestier … La déforestation impacte directement la population de l’île. Les défrichements entrainent la raréfaction de l’eau, donc la poursuite des tours d’eau au sein de chaque foyer. Ajouter à cela l’appauvrissement de la terre cultivée. Le sol soumis aux activités humaines est fragilisé. Il ne possède plus les matières organiques nécessaires à sa porosité. Conséquence, le sol n’absorbe plus les eaux de pluies. Ceci pourrait entrainer une hausse des importations d’aliments qui ne seraient pas produit sur l’ile. L’absence d’arbres favorise l’écoulement de boue dans le lagon et accentue le phénomène d’envasement du lagon et d’érosion des sols.
Les solutions envisagées
Augmentation les patrouilles
Pour compléter ses effectifs, le service ressources forestières espèrent travailler en collaboration avec le RSMA et ainsi augmenter les surfaces de patrouilles. « Si le RSMA nous rejoint, on peut doubler voire tripler les effectifs, c’est énorme », s’enthousiasme Rachida Omar. « 16 gardes assurent les patrouilles pour l’ensemble des forets départementales et l’ONF en a 3 », complète Ismaël Chanfi .
Dissuasion
Travailler en amont du défrichement en empêchant les gens de découper les arbres. « Notre présence est dissuasive et elle en décourage certains » assure Ismaël.
Création de la RNN
Actuellement à Mayotte, il n’y a que l’ilot Mbouzi qui soit protégé par ce statut. Le passage de la foret de Majimbini en réserve naturelle nationale pourrait en outre susciter la création de nouveaux effectifs supplémentaires pour sa surveillance.
Sensibilisation
Le service ressource forestière en plus de ces missions de reboisement de surveillance et de protection mène également des actions de sensibilisation. « Ces actions de sensibilisation, sont faites lors des journées internationale de la foret, les journées de l’environnement où nous invitons des écoles, d’autres institutions etc... on ouvre notre service ressource forestière au public pour pouvoir mener ces actions de sensibilisation. Cette année 2023 nous préparons la journée internationale de la foret" annonce Rachida Omar.
Sur le chemin du retour, Rachida tire les enseignements de cette matinée. « On est en train de se dire il y a 6 gros sacs, il en faudrait plus. On aurait également pu transporter les sacs avec les plants la veille pour gagner du temps. Mais globalement, l’hélicoptère est vraiment efficace. 6 minutes aller- retour pour transporter 600 plants, c’est rentable ! »
Un hélicoptère qui sera à nouveau sollicité pour terminer cette campagne de reboisement de la foret de Majimbini. 16 000 plants seront mis en terre pour recouvrir une surface de 8 hectares et demi de forêt défrichée.