Journée de lutte contre les violences conjugales

Tous les maillons de la chaine de la justice sont là, face à ses collégiens et lycéens. L'objectif: montrer le travail de chacun et apprendre comment se manifeste la justice.
Pourquoi les femmes victimes de violence conjugales restent elles auprès de leur bourreau ? Combien sont-elles à souffrir en silence ? Comment les aider ? La journée de lutte contre les violences conjugales est l’occasion d’informer et de sensibiliser collégiens et lycéens.

"Il faut comprendre qu’il y a une croissance dans la violence. Les femmes qui finissent tuées par leur mari ont toujours subi au préalable des violences conjugales."

Joséphine Coz, juriste

Le shéma est souvent le même, la violence s'installe insidueusement. Il y a toujours des antécédents dans les violences conjugales. " C’est un phénomène qui n’a fait que croitre avec le confinement " ajoute Maitre Abdel-Lattuf Ibrahim, avocat. Désormais la lutte contre les violences faites aux femmes devient une priorité. " On considère qu’il y a une femme qui meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint, une femme sur deux se dit avoir été victime d’agressions sexuelles ou de viols au cours de sa vie. Et 100% des femmes disent avoir été victimes de propos sexuels ou sexistes" énumère Joséphine Coz, juriste.

Alors, cette année encore, les avocats se mobilisent. " Il faut savoir qu’un avocat, c’est le porte-parole des personnes, des victimes dont il est important que ce soient les avocats qui portent cette parole des victimes et qui portent haut et fort ce qui se passe dans la société " complète Maitre Abdel- Lattuf Ibrahim.

"La sensibilisation du jeune public c’est comme ça qu’on peut faire évoluer les choses, les mentalités. Leur expliquer ce qui doit être ou ne pas être fait. Ce qui est normal ou ce qui ne l’est pas. Et c’est ce jeune public-là qui pourra faire évoluer les choses positivement pour demain " explique Maitre Elodie Gibello Autran, avocate et modératrice de cette journée. La journée de lutte contre les violences conjugales a été mise en place l'année précédente "sous l'impulsion de nos instances nationales qui nous avait mis à disposition un film particulier, différent de celui d’aujourd’hui " complète Fatima Ousseni bâtonnière, à l'initiative de la journée.
"L'Emprise" est le film support aux échanges cette année
Le support
Le film cette année : "l’Emprise", de Claude-Michel Rome. " On a présenté ce film parce qu’il montre très bien le processus d’emprise sur une victime. La manière ou toute jeune, elle rencontre un homme plus vieux qu’elle. Petit à petit il va avoir cette emprise sur elle qui va l’empêcher de partir, elle ne va pas pouvoir fuir. Elle va être dans une sorte de prison, son domicile familial. Elle n’a aucune échappatoire possible : c’est l’emprise. On a pensé que pour un jeune public c’était intéressant de comprendre ça. " explique Maitre Elodie Gibello Autran, avocate.
Nadjouwa, ici en haut rouge est attentive.
" Ma vision des choses a changé après le visionnage du film", déclare Nadjouwa élève de 2nde au lycée Younoussa Bamana.
" Le film est très dur. C'est l'histoire réelle du premier procès au cours duquel le procureur général là, en l’occurrence l’avocat général, a requis un acquittement pour une femme qui s'est libéré en tuant son tortionnaire. " Après visionnage, de cette histoire poignante, a lieu une séance de question réponse.
Questions-Réponses
" Est-ce qu’une plainte peut être acceptée sans jour d’ITT ? " demande Idrissa élève de 1ere au lycée de Petite Terre. La réponse de Sarah M’Buta, substitut du procureur de la République, tribunal judiciaire de Mayotte. " Finalement quand tu dis ça, tu te dis qu’il n’y a que les violences physiques qui peuvent être poursuivi. Mais les violences ne sont pas que physiques. Il y a aussi des violences psychologiques, la difficulté c’est de pouvoir les prouver."
Tous se prêtent au jeu de questions réponses

"La situation administrative des gens ne les empêche pas d’avoir des droits"

Liselotte Poizat, juge aux affaires familiales, tribunal judiciaire de Mayotte

Qu'en est -il pour celles qui n’ont pas les moyens, ni les papiers ? s’interroge Nazida élève de 2nde lycée de petite terre.Jean-Pascal Depit, capitaine de gendarmerie lui apporte une réponse." Sachez que toute personne, même en situation irrégulière peut venir se présenter à la gendarmerie ou au commissariat pour déposer plainte et on ne tiendra pas rigueur de sa situation administrative qui est secondaire."

"La violence et la colère ne sont pas des prérogatives accordées qu'aux hommes. Et non, la violence ne fait pas la virilité, vous n’êtes pas plus virile parce que vous êtes violent."

Joséphine Coz, juriste

Pourquoi les victimes restent ?
Une question qu'il est légitime de se poser pour une personne extérieur à ces violences.Plusieurs facteurs expliquent le silence des femmes, la peur évidement. La peur des représailles, puis la honte. Ce sont les principales raisons pour lesquelles les femmes ne parlent pas. Et il y a des raisons plus ténues qui les placent dans un isolement.
"Il y a des biais psychologiques très important, il y a des situations complexes et extrêmement perverses parce qu'à la violence est toujours associée des moments de tendresse, des bisous, des câlins, des je ne recommencerais plus" expose Joséphine Coz.

"Et puis ça recommence, parce que ça recommence toujours, il faut le savoir."

Joséphine Coz, juriste

La peur profonde de l’abandon, de n’être plus rien sans leur conjoint est également une raison pour laquelle les femmes restent. Dévalorisées pendant des années, elles n'ont pas le courage de partir et se retrouvent dans une véritable situation de détresse. 
Joséphine Coz a pris un moment pour détailler les raisons pour lesquelles les victimes restent malgré les coups.
Le mariage accentue les risques d’être victime de violences conjugales. "C’est validé par les chiffres car on constate qu’il y a 80% de chances d’être victimes de violences conjugales lorsque vous êtes mariés. C’est inquiétant parce que ça veut dire que dans certains mariages, l’homme considère que vous devenez son objet de propriété et qu’il a un droit de vie ou de mort sur vous" ajoute Joséphine Coz.
 L’un des facteurs de risque :les périodes de grossesse. "Pourquoi, parce que l'homme n’est plus le centre d'attention de sa femme, elle n’a plus le même temps à lui consacrer et donc les violences peuvent apparaître " complète la juriste.
Les femmes qui ont des enfants ont 3 fois plus de risques d’être victimes de violences conjugales. Dernier facteur, qui est sans doute le plus important, le plus à risque: la rupture. 70% des décès ont lieu après la rupture. Les 15 jours après la rupture sont considérés comme les plus à risque. 
L'importance de porter plainte
Bien qu'il ne soit pas toujours évident d’aller porter plainte. Il faut faire ce premier pas pour tenter de sortir de l’engrenage. "Ce n’est pas toujours évident d’aller indiquer sa souffrance à des gens qu’on ne connait pas. Mais sachez que rester dans son coin et souffrir en silence, c’est une très mauvaise chose. On a vu dans le film que la femme a failli mourir et malheureusement les chiffres le démontre, plus de 150 femmes meurent chaque année du fait des violences conjugales", Maitre Abdel-Lattuf Ibrahim, avocat.
Quelles structures d'aides?                                                                                                                Certaines structures peuvent épauler les femmes victimes de violences. " Au niveau des CCAS, il y a ces services auprès des assistantes sociales. Elles peuvent dans un premier temps écouter les victimes pour pouvoir les accompagner vers les services juridiques notamment pour déposer une plainte" éclaire Fatima Msoili porte-parole du conseil municipale de Mamoudzou.
Pour l’éloignement de la victime, il y a les services d’hébergements d’urgence. " Aujourd’hui à Mayotte, il faut savoir qu’on a l’ACFAV qui est la seule association qui assure un service d’hébergement pour les femmes victimes de violence. C’est aussi cette association qui assure le maintien de la ligne gratuite d’urgence le 55-55 qui est l’équivalent du 39-19 au niveau national. Et celles qui ne maitrisent pas la langue française peuvent appeler ce numéro 7/7, 24h/24 et peuvent avoir une écoute et une orientation " préciseTaslimah Soulaïmana directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité à Mayotte.

"On a chacun un rôle à jouer dans ce rééquilibrage entre les femmes et les hommes afin d'enrayer ce chiffre:une femme tous les deux jours qui meurt sous les coups de son conjoint".  

Joséphine Coz, juriste

Sortir de l’isolement                                                                                                                           Quand une femme est isolée quelles qu’en soient les raisons, il est important de réagir même si la personne n’est pas un proche. " Si vous voyez des choses anormales, c’est de votre responsabilité de venir en aide à cette personne. Soit en la tenant informée de ses droits ou en signalant ce problème à un autre adulte" rappelle Nathalie Courtois, présidente de la Chambre d’Appel de Mamoudzou.
"Aujourd’hui, nous construisons un réseau de partenaires ou chacun amène son expertise l’ordre des sages-femmes, le cadi, qui est une autorité locale qui a sa place, il y a même l’association des étudiants vraiment de façon à toucher un maximum de partenaires et agrandir le réseau." annonce Taslimah Soulaïmana directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité à Mayotte.
Lycée Bamana, collège de M’tsamboro , lycée de Petite Terre, collège de Kawéni 1 et 2,collège Kani Keli assistent à cette matinée de sensibilisation.
Les moyens de lutte
La grande nouveauté c’est le bracelet anti-rapprochement qui va sonner quand le conjoint se trouve à moins de 5 kms ou 10 km. Il vient pallier les lacunes que pouvaient présenter le "téléphone grave danger" qui faisait intervenir directement les forces de police " mais on s’est rendu compte que lorsqu’elles enclenchaient le "téléphone grave danger", le conjoint était déjà à la porte du domicile"  Joséphine Coz.
Le retrait partiel ou totale de l’autorité parentale pour les pères violents vient s’ajouter aux mesures de protections. " C’est l’idée d'en finir avec l'imaginaire qu'un homme violent pourrait être un bon père. On a beaucoup travaillé sur le sujet et il fallait pouvoir retirer l’autorité parentale pour que l'homme ne garde pas de lien avec l’ancienne conjointe et ne violente pas l’enfant " poursuit la juriste.  
Et puis la formation de tous les professionnels qui pourraient se trouver en situation de violence faites aux femmes : police, gendarmes... 
"Ce sont eux qui ont vont voir la victime en direct, ce sont eux qui vont recevoir leur plainte. Ce sont eux qui doivent avoir les mots justes pour les orienter vers les différentes associations" énumère la juriste.  
Cette journée intervient dans le cadre de la formation obligatoire les avocats comme nombre d'autres acteurs qui interviennent dans le domaine des violences faites aux femmes : magistrats, gendarmes, policiers …  " Donc là, on est dans notre formation et j’ai souhaité lancer un format un peu inhabituel mais très interactif avec le public. Les questions des jeunes elles sont loin d'être naïves, elles sont vraiment dans le vif du sujet et leur questionnement nous permet aussi d'évoluer et d'avancer "  Fatima Ousseni bâtonnière qui est à l'initiative de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes.
Marie-Annick et Gael ont apprécie la matinée
 Bilan de la matinée, " j'ai appris qu’il y avait des associations qui luttaient contre les violences conjugales. Je pensais que personne n’en parlait à Mayotte, que ça n’existait même pas ici. Et il y aussi le numéro qu’on nous a donné aujourd’hui, le 55- 55"raconte Gaël, élève de 3ème au collège de Kani-Keli qui est venue accompagnée de Marie-Annick Bertin, sa professeur d’histoire géographie EMC. " Ce matin, j’ai trouvé que c’était clair, bien expliqué, je pense qu’ils vont en retirer que du profit pour leur avenir. Ce sont de jeunes citoyens, l’école leur permet de construire leur avenir. Donc, c’est bien qu’ils se prennent en main, qu’ils connaissent les structures extérieures qui peuvent les aider plus tard. Souvent, ils sont confrontés à des situations et ils ne savent pas ce qui est normal, pas normal ".

"On doit déprogrammer toutes les structurations ancestrales sur le partage des tâches ménagères, sur les cadeaux qu'on fait aux petites filles et petits garçons. Sur le partage du monde de demain. Les petits garçons qui sont systématiquement des ingénieurs et les petites filles qui vont juste faire de la couture et du ménage. Voilà, c’est tout cela qui est en jeu " conclut Maitre Fatima Ousseni, bâtonnière au barreau de Mayotte.