« Moi Sairati, j’ai été victime de viol »

Souboutou ouhédzé jilaho (ose libérer ta parole) est une page Facebook qui donne la parole aux victimes de viol. La créatrice de la page est elle-même victime de viol. Rencontre avec Sairati Asimakou, celle qui a choisi de parler à visage découvert pour que la honte change de camp.
 
Il lui a fallu du courage pour avoir osé libérer sa parole. Sairati Assimakou est l’administratrice de la page Facebook, Souboutou ouhédzé jilaho, ose libérer ta parole. Une page dédiée aux victimes de viols et d’agressions sexuelles. Une page ouverte, il y a un an de cela, au moment où son agresseur, son père, celui qu’elle nomme « mon géniteur » allait mourir. Régulièrement, elle publie des vidéos, des textes ou des poèmes sur la violence qu’elle a subie.
La jeune femme de 26 ans dit alors avoir reçu beaucoup de messages de soutien, au lancement de sa page. Il faut dire que le viol intrafamilial reste un vrai tabou dans notre société, alors oser en parler aussi librement est inédit.
Agressée par son père à l’âge de six ans, « à l’époque personne n’a été alerté » confie-t-elle. Deux ans plus tard, elle part vivre avec sa grand-mère maternelle à l’île de La Réunion et c’est à ce moment là, que la fillette qu’elle était, trouve la force de se confier. Mais la réponse de la grand-mère était à l’image de la société mahoraise sur ce point: « il ne faut plus en parler, ça fait partie du passé. Ce sont des choses qui ne se disent pas » lui dit-on. Sauf que ce passé ne passe pas. L’adolescente qu’elle sera, sera rongée par ce viol.

« Dire à l’enfant de se taire c’est dire à l’enfant de régler ses problèmes tout seul. On ne peut pas faire ça »
Elle ne trouvera oreille attentive qu’à l’âge de 19 ans, en France métropolitaine. « Ma tante a subi la même chose de la part de mon géniteur » découvre-t-elle en ce confiant à cette dernière. En 2015, elle a son premier enfant et la jeune mère est traversée par beaucoup de questionnements et d’angoisse, notamment « comment protéger cet enfant » des prédateurs sexuels. Et en 2018, elle revient à Mayotte et trouve la force d’en parler à sa mère: « et elle n’a pas voulu que je garde le silence ».

À cette époque, ce géniteur est malade et Sairati ne veut pas taire son agression. Elle décide d’en parler à son oncle paternel, le frère de son agresseur mais ce dernnier lui a conseillé de se taire. « ça fait partie du passé ». En janvier 2019, son agresseur décède sans qu’elle n’ait pu le traduire en justice comme elle l’aurait voulu. « Ce silence me pèse » dit-elle. Tout comme tout le silence qu’il y a autour du viol intrafamilial à Mayotte, pourtant « l’inceste est un tabou universel ». Sairati sera suivie par des thérapeutes et des psychologues, des aides utiles puisqu’elle a fini par faire « le choix de parler » contrairement aux prérogatives de la société. « Dire à l’enfant de se taire c’est dire à l’enfant de régler ses problèmes tout seul. On ne peut pas faire ça » se révolte-elle.

Certaines sont violées par le beau-père et la mère leur répond, tais toi, j’ai eu du mal à me trouver un mari, ne gâche pas tout. À d’autres, les mères répondent que le violeur a une bonne situation et qu’il est entrain de construire leur maison donc elle ne peut pas s’en séparer


Ce soutien maternelle est véritablement une source de force pour la jeune femme, d’autant que toutes les victimes n’ont pas la chance dêtre soutenue par leurs mères. Grâce à sa page Facebook, Sairati recueille les témoignages de beaucoup de victimes et les récits font froid dans le dos : 
« certaines sont violées par le beau-père et la mère leur répond, tais toi, j’ai eu du mal à me trouver un mari, ne gâche pas tout. À d’autres, les mères répondent que le violeur a une bonne situation et qu’il est entrain de construire leur maison donc elle ne peut pas s’en séparer ». Des réponses qui n’aident pas à se reconstruire, parce que ces jeunes victimes sont donc condamnées à vivre avec leurs agresseurs et continuent de subir au su de la maman, « qui ne dit rien, elle sait que son mari va faire la même chose à sa fille que c’est qu’ils font ensemble, mais elle ne dit rien » s’horrifie Sairati.

L’hymen est sacralisé et en même temps, on protège les violeurs, on dit à la victime de se taire, de ne pas dire qu’on lui a pris son hymen. On protège le bourreau, au nom de l’image de la famille, on protège le père, le grand-père ou l’oncle violeur et ça a des conséquences sur l’enfant et sur la famille

Elle fait le choix de parler publiquement de son viol à visage découvert, « je n’ai pas à avoir honte. Comme je le dit souvent, ma jupe a été baissée mais jamais ma tête. Je refuse de participer à ce silence ». Un refus qui a un coût « ma famille paternelle ne veut plus me parler.Ils auraient préféré que je ne le fasse pas à visage découvert. Dans ma famille, on me dit que j’aurai dû me cacher. Il y a des conséquences mais je refuse de me taire. Ça pose énormément des questions sur notre société, sur le droit de la femme, sur le droit de l’homme. Il y a énormément des choses à revoir » considère-t-elle. Elle revoit les choses à son niveau avec sa page Facebook, elle envisage même d’en faire une association. Les victimes ont besoin d’aide, Sairati elle-même dit avoir été introvertie et avait « peur de rencontrer des hommes ».

Aujourd’hui, travailleuse sociale, elle puise sa force dans ses expériences professionnelles.
Et c’est avec cette force nouvelle qu’elle porte un regard plein d’interrogations sur la société mahoraise et ses paradoxes, « l’hymen est sacralisé et en même temps, on protège les violeurs, on dit à la victime de se taire, de ne pas dire qu’on lui a pris son hymen. On protège le bourreau, au nom de l’image de la famille, on protège le père, le grand-père ou l’oncle violeur et ça a des conséquences sur l’enfant et sur la famille ».
 

« Les victimes d’être ensorcelées par leurs bourreaux »

Parce qu’elle a du vivre avec des anxiolytiques pour pouvoir supporter ses périodes de crises, aujourd’hui, elle prête ses oreilles aux victimes qui n’ont pas encore parlé à leur famille, celles qui veulent garder l’anonymat, parce qu’elle dit comprendre à quel point il est difficile de se dire victime de viol.

On m’a appris à cacher tout ça, il m’a fallu du temps avant de dire moi Sairati j’ai été victime de viol.

L’autre difficulté pour les victimes de viol, c’est la peur de leur bourreau. « Mon géniteur me menaçait de me tuer si je parlais ». D’autres victimes ont peur de parler, peur que le bourreau « les envoutent, qu’ils leur fassent des douas ou de la sorcellerie. Cette croyance prend tout son sens et entretient la peur ». Dans la société mahoraise du 21ème siècle, les violeurs restent protégés et « les victimes ne veulent pas être suivies par des psychologues, parce qu’on associe cela à la folie » constate le jeune femme.

Difficile dans ces conditions de parler, de dénoncer les bourreaux, « même auprès des associations » Sairati dit ne pas avoir trouvé le soutien espérait « quand j’ai donné le nom de mon agresseur, j’ai senti une fermeture » témoigne-t-elle.
Ces dernières années, le parquet a enregistré une hausse des plaintes concernant les agressions sexuelles notamment sur mineur. Mais, ces chiffres restent en dessous de la réalité. Beaucoup de victimes se taisent sous le poids de la société.