Le passage du cyclone Chido à Mayotte a provoqué la sidération à Mayotte le 14 décembre : les bidonvilles ont été entièrement rasés, qu'est-il advenu de leurs occupants, estimés à 100.000 dans le département ? Le soir de la catastrophe, le préfet de Mayotte expliquait qu'au vu des dégâts le bilan humain pourrait atteindre les milliers de morts. Depuis, les bidonvilles se sont reconstruits et aucune fosse commune n'a été découverte. Le bilan, encore provisoire, est actuellement estimé à 40 morts et 41 disparus.
Les témoignages de fuite désespérée vers un abri durant le cyclone se sont multipliés, aussi surprenant puissent-ils paraître. Pour comprendre ce qui s'est passé, nous avons interrogé Nassiur Elhabib, en master 2 de gestion des catastrophes naturelles et des risques naturels à Montpellier. Il a consacré son master de recherche à la question des tôles à Mayotte et de la vulnérabilité au risque cyclonique et mène des recherches sur la mortalité durant les événements hydroclimatiques dans le département dans le cadre de son stage de fin d'étude.
Mayotte La 1ère : Vous avez soutenu votre mémoire en juin 2024, six mois plus tard, le département était ravagé par le cyclone Chido. Vos craintes se sont-elles confirmées ?
Nassuir Elhabib : tout le mémoire a été prémonitoire. J'avais notamment pointé le fait qu'à Mayotte, on n'avait pas d'événement marquant, ce qui a fait que les gens n'avaient pas de référence sur ce que peut être un cyclone tropical intense. Beaucoup de gens n'ont pas pris l'alerte en compte, on l'a aperçu. J'ai traité la question des tôles en tant que matériel, en me basant pour l'étude de cas sur le village d'Hamouro. Pas parce que je viens de là, mais parce que selon les dernières données de 2018, c'est le village qui concentre le plus de maisons en tôle, 81% des habitations. Il y en a en bord de mer, sur les collines.
J'ai retracé l'apparition des tôles à Mayotte à l'époque coloniale où on voulait construire par exemple le lycée Bamana avec des toits en tôle. J'ai cherché s'il y avait eu un boom d'importation, un facteur déclencheur, mais je n'en ai pas trouvé, les tôles ont augmenté avec l'augmentation de la démographie. J'avais recommandé dans mon mémoire de réglementer l'achat de tôle (ndlr : une mesure mise en place depuis), parce qu'on peut en acheter aussi facilement qu'on achète du pain. J'avais aussi évoqué la réglementation de l'urbanisation, une maison en tôle est plus vulnérable selon son emplacement, par exemple sur les hautes collines, près du littoral ou près des cours d'eau, des endroits géographiquement vulnérables. Si on veut utiliser de la tôle, il y a des normes à respecter pour que ça résiste aux cyclones.
Vous venez de revenir sur le territoire pour étudier la question de la mortalité durant les cyclones à Mayotte depuis 1950. Comprenez-vous pourquoi le bilan de Chido est moins élevé que ce qui a été craint ?
Ça m'a surpris parce qu'on a vu que beaucoup de gens n'étaient pas partis de chez eux et ont attendu la dernière minute. Selon les témoignages que j'ai pu recueillir, certains se sont mis sous leur lit ou sous une table au moment où les tôles se sont envolées et la maison s'est effondrée. D'après ce que j'ai entendu, c'est à ce moment-là où de nombreuses personnes sont parties chez leurs voisins qui ont des maisons en dur ou les mosquées.
C'est assez miraculeux, parce que la tôle c'est vraiment une lame qui peut couper une personne en deux, mais le vent n'est pas ce qui cause le plus de morts lors d'un cyclone. Il n'y avait pas beaucoup de pluie ni de houle cyclonique parce que c'est surtout ça que craignaient les spécialistes du sujet. J'ai été soulagé de ne pas avoir vu de submersion et de glissement de terrains. Pour savoir comment les gens ont pu survivre dans les bidonvilles, on le saura et on ne le saura jamais. Il faudrait interroger chaque habitant et voir au cas par cas comment la personne s'en est sortie.
Et qu'est ce qui vous a mené à vous pencher sur ces sujets ?
Ce n'est pas un parcours qui était tout tracé. J'ai pris ce qui m'est tombé dessus avec Parcoursup et j'ai fait une licence de géographie/aménagement. Depuis tout petit, j'ai été confronté à pas d'épisodes climatiques intenses, j'ai toujours été intéressé par la question des risques et je voulais prendre du recul par rapport à ça. En voyant les travaux réalisés à Mayotte, que je n'avais pas l'impression que c'était documenté.
Je ne suis pas seul, on est deux Mahorais dans mon master, ma collègue a aussi fait son mémoire sur la question des inondations à Acoua. Le fait de pouvoir étudier Mayotte scientifiquement, ça me rend fier, mais on se rend compte qu'il y a du boulot et qu'île est très vulnérable. Il y a un manque de considération sur la gestion des risques naturels dans les politiques publiques.
Je vais mener pendant trois mois cette étude sur la mortalité durant les événements hydroclimatiques pour compléter une précédente étude qui a été publiée l'an dernier, mais ne comprenait pas La Réunion et Mayotte. Ensuite, on verra bien. J'aimerais bien peut-être passer du côté administratif, mais on verra ça au fur et à mesure de mon parcours.