Santé : où en est la médecine de ville à Mayotte ?

cartographie offre de santé mahoraise
La médecine de ville est l'ensemble des activités qui se déroulent en dehors des établissements de santé ou médico-sociaux. Concrètement, ce sont par exemple les médecins généralistes chez qui l'on se rend lorsqu'on est malade et qui permettent de désengorger les urgences. Des médecins généralistes qui, il faut souligner sont très peu par nombre d'habitants par rapport aux autres départements de France.

Au cœur de la médecine de ville, on retrouve le médecin traitant. Acteur principal du parcours de soins coordonné, c'est lui qui détermine si ses patients ont besoin d'être orientés vers des médecins spécialistes libéraux ou hospitaliers, ou nécessiter certains actes spécifiques de santé (examen, analyses etc.). Si dans d'autres départements de France la médecine de ville est développée, ici à Mayotte, la situation est autre. La densité de médecins est quatre fois plus faible qu'en métropole. L'île est en effet le plus grand désert médical du pays. Selon des chiffres de l'INSEE, en 2023, elle comptait 89 médecins généralistes et spécialistes pour 100 000 habitants contre plus de 330 dans l'Hexagone.

Où sont situés la plupart des médecins de ville ?

S’ils sont peu nombreux, les professionnels de santé sont majoritairement situés autour de Mamoudzou. Il y est en effet plus facile d'avoir une place chez un médecin généraliste que dans d'autres zones de Mayotte, notamment le Nord et le Sud. Et comparé au Sud, le Nord demeure plus largement sous-doté. C'est la raison pour laquelle des solutions sont recherchées afin de remédier à cet écart de traitement. C'est ainsi qu'en avril 2024, la première maison médicale pluridisciplinaire a vu le jour dans le centre. L'inauguration de cet établissement a été faite en grande pompe à Ouangani, en présence de personnalités politiques et de professionnels de la santé.

Le projet a nécessité un investissement de 3 millions d'euros et il a été conçu par le docteur Elhad Mouhamadi, médecin généraliste de Chiconi, pour répondre aux besoins croissants de la population et diversifier l'accès aux soins dans la région. L'établissement a été rendu possible grâce à la collaboration de plusieurs acteurs dont le conseil département ayant apporté une contribution financière de 500 000 euros. La maison médicale du centre abrite la plus grande pharmacie de l'île et offre des services diversifiés : des médecins généralistes, des infirmiers, une sage-femme, un kinésithérapeute, un cardiologue, un échographiste et un chirurgien orthopédique. De plus, un laboratoire d'analyse et un point de vente de matériel médical sont également disponibles. La structure améliore ainsi la qualité des soins pour plus de 50 000 habitants de la zone centre et centre ouest de Mayotte tout en réduisant la pression sur les établissements médicaux existants à Mamoudzou.

Du côté de la Petite-Terre, si au fil des années des cabinets médicaux ouvrent leurs portes, ils ne sont pas pour autant suffisants pour toute la population. Conséquence, ces établissements sont extrêmement bondés. Pour espérer être sûr d'avoir une place, de nombreux patients n'hésitent pas à s'y présenter très tôt le matin bien avant l'ouverture des portes. En bref, Mayotte fait office de parent pauvre médicalement parlant.

Les conséquences de ce désert médical

Selon une commission des affaires sociales du Sénat, "en 2019, un habitant de Mayotte sur neuf s'estimait en mauvaise ou très mauvaise santé. Cette part est plus élevée qu'en métropole, alors que la population est beaucoup plus jeune". Le taux de mortalité est ainsi nettement supérieur à l’Hexagone dans certaines tranches d’âges et la mortalité infantile atteint 9,6 ‰ contre 3,8 ‰ dans l’Hexagone.
Territoire confronté à une extrême pauvreté, Mayotte connaît toujours des maladies infectieuses très peu présentes au niveau national, comme l’hépatite A ou a vu des résurgences de choléra ou d’épidémies de fièvres typhoïdes. Enfin, la malnutrition touche encore 10 % des enfants de 4 à 10 ans.
De l’autre côté, Mayotte montre des caractéristiques de santé de pays beaucoup plus développés avec par exemple une forte prévalence de surpoids et d’obésité. 26 % de la population était obèse en 2019. Outre l'obésité, d'autres maladies aux conséquences sérieuses ne sont pas traitées à la hauteur de leur gravité, justement à cause du manque de médecins et de spécialistes. Parmi ces maux, nous avons le diabète et l'hypertension.

Un renoncement aux soins est donc particulièrement élevé à Mayotte où 45% des habitants de plus de 15 ans déclaraient en 2019, avoir renoncé à des soins, selon la commission des affaires sociales du Sénat. 34 % de la population ne se soignent pas pour un motif financier, alors que la protection universelle maladie (PUMA) n’y est pas applicable, ni la complémentaire CMU-C – devenue complémentaire santé solidaire dans le droit commun.

Une forte dépendance à la Réunion

La médecine de ville peut être pratiquée aussi par les médecins spécialistes, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes, les infirmiers, les pharmaciens ou encore les masseurs-kinésithérapeutes. Des spécialistes là encore au nombre insuffisant par rapport à la demande des Mahorais. Même selon l’Agence Régionale de Santé, aucun dermatologue n’est présent sur le territoire. Il n’y a pas d’ophtalmologue non plus. Ces spécialistes viennent uniquement pour des missions, de manière ponctuelle. De plus, le CHM ne compte aucun neurologue, endocrinologue, néphrologue ou cancérologue et seulement un cardiologue. Le territoire ne disposant pas d’une offre suffisante dans l’ensemble des spécialités et ayant des besoins largement supérieurs aux capacités, les Mahorais sont nombreux à prendre la décision tous les ans d'aller se faire soigner à l'île de la Réunion par leurs propres moyens, sans compter les transferts et les évacuations sanitaires particulièrement déterminants pour permettre aux patients qui en ont besoin d’accéder dans de bonnes conditions aux soins qu’ils requièrent. En 2010, le nombre d'évacuations sanitaires était de 500 et en 2021 ils étaient à 1452.

hélicoptère Samu 976

Comment expliquer ce manque de médecins ?

L'ensemble du territoire mahorais est classé en zone "très sous-dense". L'attractivité pour les professionnels de santé est un enjeu déterminant à court et moyen terme pour Mayotte. Si les médecins et paramédicaux sont souvent attirés par l'idée de venir travailler sous le soleil toute l'année, beaucoup finissent par y renoncer à cause du climat social particulièrement tendu et le niveau très élevé de l'insécurité.

L'opinion publique est malheureusement habituée aux attaques des bus du Centre Hospitalier de Mamoudzou transportant du personnel soignant et se rendant au travail ou à leur domicile. Les images des guets-apens se retrouvent souvent sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Mais, parfois les voyous n'hésitent pas non plus à s'en prendre à des cabinets médicaux. Cela était le cas en 2022 lorsque le cabinet dentaire de Chiconi a été braqué par six personnes cagoulées. Un évènement qui avait poussé l'établissement à fermer ses portes pendant plusieurs jours. Les habitants inquiets, craignaient une fermeture définitive mais cela n'a pas été heureusement le cas.

Un exercice médical riche et varié à Mayotte

Malgré de nombreux défis et difficultés, l'île offre aux médecins en quête de sens et de nouvelles expériences un terrain d'exercice unique, alliant pratique médicale variée et cadre de vie privilégié. Les institutions locales déploient donc des moyens importants pour attirer et accompagner les praticiens souhaitant s'y installer durablement. Plusieurs actions de communication sont menées pour faire connaître l'île et son offre de soins. Des aides financières conséquentes sont par ailleurs proposées aux médecins s'installant à Mayotte. Les nouveaux installés peuvent profiter du CAIM (contrait d'aide à l'installation des médecins) de 60 000€ de la sécurité sociale, auxquels s'ajoutent des aides de l'ARS.

Les médecins exerçant à Mayotte soulignent unanimement la grande diversité de leur pratique. "On voit des cas ici qu'on ne voit pas sur le reste du territoire national, c'est vraiment très intéressant, à mille lieues de la bobologie classique", affirme Olivier Brahic, l'ancien directeur général de l'ARS à What's up doc. Cette diversité va de pair avec une grande autonomie, particulièrement appréciée des médecins généralistes. "Il y a beaucoup de spécialités qui manquent, donc on est amenés à outrepasser nos fonctions habituelles", explique au magazine le Dr Mohamed Sophian Jaouadi, installé à Mamoudzou, chef-lieu de Mayotte.

Mayotte met donc en avant tous ses atouts pour séduire les médecins en quête d'un nouveau projet professionnel. Mais outre l'argument du parfait territoire pour vivre une expérience unique, l'île continuera à souffrir d'un manque criant de médecins tant que l'insécurité ne sera pas sérieusement traitée. Et depuis le passage du cyclone Chido et les dégâts engendrés, d'autres problématiques liés au confort de la vie au quotidien rentrent en jeu.