Dans nos souvenirs de collégien puis de lycéen, les questions de la traite négrière et de l’esclavage renvoient à une réalité ouest-africaine, européenne, américaine et caribéenne. L’attention particulière portée sur ce meurtrier commerce des Noirs vers les Amériques réduit drastiquement la visibilité d’autres traites beaucoup plus anciennes.
Il suffit de tourner notre regard pour apprendre que, dans l’océan Indien, dès le Moyen Âge donc bien avant l’arrivée des Européens au XVe siècle, des millions d’Africains sont conduits sous la contrainte en dehors de leur territoire d’origine.
Les esclaves convergent vers l’archipel des Comores, Kilwa, l’archipel de Zanzibar, Mombasa, Mogadiscio, Mascate, Damas, Bagdad, Alep, le Caire, Basra. Ils y sont employés en tant que soldats, ouvriers agricoles, domestiques, etc.
Organisation de la traite orientale dans l’océan Indien
La traite des Noirs dans notre zone revêt deux réalités : l’une terrestre et continentale, l’autre maritime.
La première met en jeu, essentiellement, des acteurs africains continentaux. Certains chefs locaux, avides d’enrichissement, ratissent des territoires voisins ou lointains afin de se constituer un « cheptel » de captifs. Sinon, ils puisent directement dans leur population pour satisfaire la demande des acheteurs.
Les prisonniers, entravés par des fourches de bois rivées autour du cou, sont convoyés par caravanes, à travers des pistes chaotiques, vers la côte. La marche forcée emprunte, alors, 3 routes terrestres principales :
- Une route du Nord, contrôlée par l’ethnie Kamba, aboutit dans les régions du mont Kenya et du mont Kilimanjaro. Les captifs sont ensuite acheminés vers les ports de Mombasa (Kenya), de Pangani et de Tanga (Tanzanie).
- Une route du Centre, dominée par négriers nyamwezi, dessert le port de Bagamoyo, en face de Zanzibar. Cet itinéraire puise ses victimes au Congo et dans les régions des Grands Lacs.
- Enfin, une route du Sud, à cheval entre la Tanzanie et le Mozambique, alimente en captifs les ports de Lindi et surtout de Kilwa. Ce grand réseau se déploie au-delà des rives du lac Malawi. Il est dominé par l’ethnie Yao.
Les prisonniers débarqués sur le littoral sont « emmagasinés » comme n’importe quelle marchandise dans des captiveries. Ainsi, les acheteurs de tous horizons (Swahilis, Arabes, Indiens) viennent s’approvisionner en esclaves dans les comptoirs de Sofala, Kilwa, Zanzibar, Mombasa, etc.
Les routes maritimes prennent alors le relais pour déporter, à bord de boutres transformés en geôles, de millions de captifs africains vers la mer Rouge, le golfe Arabo-persique, les cotes de l’Inde et vers l’Asie du Sud-Est. Sinon, certaines victimes sont redistribuées dans les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien (Archipel des Comores, Madagascar, Réunion, Maurice et Seychelles).
Négriers en Afrique orientale
Une des originalités de la traite de l’océan Indien, c’est la diversité de ses acteurs.
Parmi les négriers du littoral, on compte les sinistrement célèbres comme Muhammad bin Khalfan alias Rumaliza (« L’exterminateur », en kiswahili), Hamad bin Muhammad Al-Murghabi, plus connu sous le surnom de Tippu Tip.
Certains chefs des tribus Kamba, Yao et Nyamwezi se sont également honteusement rendus coupable de ponctions humaines à des fins mercantilistes. Dans cette catégorie, on peut un certain Mtyela Kasanda, alias Mirambo (1840-1884) et Mwenda Msiri Ngelengwa (1830-1891).
Les traites sur les plans régional et local
La grande île de Madagascar s’affirme au fil des siècles comme un acteur et un fournisseur important dans le commerce des âmes dans l’océan Indien. Dès lors, certaines ethnies malgaches mènent régulièrement des opérations de razzias dans l’archipel des Comores et sur le littoral africain. Ces incursions rapides ont un objectif principal : faire des captifs.
Dans ce commerce infâme, Mayotte-tout comme le reste des îles de l’archipel des Comores- n’est pas en reste. Au 16e siècle, on nous apprend, sous la plume de l’amiral turc Piri Reis, que Mayotte est une plaque tournante d’une main-d’œuvre servile à destination du Moyen-Orient.
On peut que relever l’enchevêtrement des réseaux négrier dans l’océan Indien se densifie avec l’irruption des Européens au XVe siècle. Ces derniers s’intègrent et détournent à leur profit un système dont ils ne sont pas à l’origine.