Dans le milieu judiciaire on appelle cela les « dossiers signalés ». Une veille discrète par le parquet général du travail des juges sur des enquêtes concernant des personnalités afin d'en informer le ministère de la Justice. La Nouvelle-Calédonie n’échappe pas à la règle. Actuellement, deux dossiers attirent particulièrement l’attention au palais de justice de Nouméa. Une enquête préliminaire et une information judiciaire concernant deux hommes politiques locaux de premier plan : Philippe Gomès et Harold Martin.
En juillet 2011, Philippe Gomès dénonçait « le caractère raciste, inadmissible et dangereux d’une démarche qui aboutit à stigmatiser la communauté wallisienne et futunienne en la livrant complaisamment à la vindicte populaire. » L'ancien président de la Province Sud venait d'être auditionné par la section de recherche de gendarmerie dans le cadre d'une enquête préliminaire menée sur l’attribution de subventions et d’emplois d’insertion PPIC à plusieurs associations wallisiennes et futuniennes par la Province Sud durant les mois précédents l'élection provinciale de mai 2009. Seize mois plus tard, les enquêteurs viennent de rendre leurs conclusions sur ce dossier. Elles sont depuis près d'un mois sur le bureau du vice- procureur Hervé Ansker.
150 millions de francs et 8O emplois
Tout a commencé par une intervention publique de Didier Leroux en assemblée provinciale (23 février 2009) : « La Province Sud aurait accordé récemment de nombreuses subventions à des associations nouvellement créées œuvrant au sein de cette communauté. (...) Outre ces subventions, des PPIC leur auraient également été attribués, ainsi qu’à des chefs coutumiers. Enfin des conventions auraient été signées avec des districts de Wallis et Futuna. (...) En cette période préélectorale, l’utilisation inconsidérée que faites de l’argent des contribuables s’apparente à une dérive clientéliste inacceptable. » (Les Nouvelles Calédoniennes -vendredi 29 juillet 2011).
La justice a cherché à savoir dans quelles conditions et pour quelles raisons ces subventions et ces emplois d’insertion ont été octroyés. Au total, ce sont près de 150 millions de francs qui auraient été versés à la veille des élections provinciales de 2009 et près de 80 emplois attribués, comme le souligne la chambre territoriale des comptes dans l'un de ses rapports sur les finances de la Province Sud en 2012 . Plusieurs dizaines de personnes, notamment des chefs coutumiers, ont été entendus dans cette affaire et auraient révélés les dessous du dispositif. L’un d’entre eux nous avait confié avoir bénéficié d’un emploi PPIC pour travailler au sein de l’une de ces associations. Il reconnaitra en réalité être payé à travers cet emploi pour assurer la sécurité lors des meetings de campagne de Calédonie Ensemble.
Auditionné comme témoin assisté, Philippe Gomès estimait être victime d’un dossier monté de toutes pièces par le Rassemblement-UMP à quelques mois du scrutin législatif de 2012 : « Cette affaire est un mauvais procès, une boule puante préélectorale aux relents racistes qui pourrait bien se retourner contre ceux qui l’ont lancée » La Province Sud s’est portée partie civile dans cette affaire. Elle devra attendre d’ici la mi-décembre 2012 avant de connaître la décision du parquet de Nouméa quant à un renvoi de l'actuel député de la seconde circonscription devant un tribunal. D'ici là, Philippe Gomès saura si sa condamnation dans l'affaire SPOT sera confirmée ou non.
Prise illégale d'intérêts
L’autre dossier est une histoire de rendez-vous manqués, ceux d'Harold Martin et de la juge d'instruction Emmanuelle Quindry. Le président du gouvernement reçoit en septembre dernier une convocation de la justice pour une possible mise en examen pour prise illégale d’intérêts (voir ICI ) dans le dossier des terrains de Païta. Une affaire sur fond d'autorisation d'ouverture d'un centre commercial et de règlement de comptes politiques entre vieux amis. En avril 2010, la commission provinciale d'urbanisme commercial de la Province Sud se penche sur le dossier de la SARL NOVA. Un projet d'Hyper U construit sur un terrain de onze hectares situé à l'entrée de la commune de Païta dans une zone dénommée « la Plaine de la gendarmerie ». Une commission à laquelle participe Harold Martin, en tant que maire de la commune, et durant laquelle il va donner un avis favorable à ce projet. Philippe Michel, de Calédonie Ensemble, dénonce alors un conflit d'intérêts de la part du maire. Ce terrain appartenait à la famille Martin (à la fois à Harold Martin à son frère et à sa sœur) avant d'être cédé à l'aide d'un compromis de vente en juin 2007 à la SARL NOVA, détenue à l'époque par les hommes d'affaires Claude François, François-Xavier Bonnet et Jean-Marc Bruel, pour 250 millions de Francs.
Calédonie Ensemble distribue à plusieurs rédactions locales, dont NC Première, un dossier complet expliquant comment Harold Martin aurait favorisé ce projet dans lequel il a un intérêt. Le changement de classement du terrain est notamment pointé du doigt. Situés en zone UB, réservée à l'habitat résidentiel, les 10 hectares de terre vont passer, après la signature du compromis de vente, en catégorie UE, réservé aux équipements collectifs. Le principal intéressé clame alors « avoir fait les choses dans les règles » et s'estime victime d'un contre-feu de Calédonie Ensemble pour faire oublier les ennuis judiciaires de Philippe Gomes dans l'affaire SPOT.La Justice considère cependant qu'il y a matière à ouvrir une enquête préliminaire dans le courant de l'année 2010. Quelques mois plus tard, l'affaire est confiée à un juge d'instruction.
Congé maternité du juge
C'est dans le cadre de cette information judiciaire qu'Harold Martin apprend sa convocation devant la juge d'instruction Emmanuelle Quindry. L'audition est une première fois repoussée à la demande de l'actuel président du gouvernement en raison d’un déplacement au Groënland pour le forum des pays et territoires d’outre-mer relevant de l’Union européenne. Un autre rendez-vous est pris pour le 9 octobre suivant. Nouveau raté. Harold Martin s'envole à la dernière minute pour New York. Il doit y prononcer un discours devant l’ONU le jour même de sa convocation devant la justice. Harold Martin a la chance avec lui. Emmanuelle Quindry part justement le lendemain (le 10 octobre 2012) en congé maternité. La convocation du maire de Païta - et, selon plusieurs sources proches du dossier, sa possible mise en examen, n’interviendra que d’ici le retour de la juge d'instruction. Harold Martin a gagné un sursis probablement jusqu’à l’an prochain.
La section locale du parti Socialiste et plusieurs syndicats s'interrogent sur la lenteur de ces affaires concernant des hommes politiques locaux. Ils s'inquiètent de la véritable volonté de la justice calédonienne de les voir aboutir mais aussi du manque de moyens pour traiter ce type d'enquêtes.