Le sénateur Pierre Frogier était l'invité du journal télévisé de dimanche soir. Il a proposé, dans l'attente d'une doctrine nickel "pays", que les provinces gèrent séparément leurs ressources. Il s'est également prononcé pour un troisième accord.
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Interrogé par Alexandre Rosada sur la fin du conflit des rouleurs et la signature d'un protocole, le sénateur Pierre Frogier a indiqué qu'il ne savait pas "ce qui avait été signé exactement", mais que c'était "un soulagement pour tout le monde et notamment pour les rouleurs - qui peuvent rentrer chez eux, et pour la population". "Ce conflit, qui a duré trois semaines", poursuit Pierre Frogier, "n'aurait pas dû s'enkyster dans la ville de Nouméa comme cela s'est passé, car il y aurait pu y avoir un autre drame. Je voudrais remercier les rouleurs, les mineurs, pour avoir mené ces actions, qui ont permis de sensibiliser toute la population calédonienne. Le nickel a été, est, et sera, un élément déterminant de l'évolution politique de la Calédonie".
"Le nickel est au coeur des politiques du pays"
Pour Pierre Frogier, le nickel est au coeur des politiques: "parce que le nickel est un sujet déterminant pour l'avenir, il était impossible de sortir de ce conflit par un rapport de force. Il faut trouver un compromis par la voie du consensus, c'est la seule solution pour traiter ces sujets qui sont aussi lourds pour préparer notre avenir". Le sénateur estime qu'il y a deux "visions" en Nouvelle-Calédonie: "Il y a la politique d'un côté, et l'économie de l'autre. J'ai souligné à plusieurs reprises que l'intérêt de cette mobilisation a été de poser la question, pour l'avenir, de savoir quel doit être le modèle de société. Est-ce que c'est une société administrée par le pouvoir politique, par la puissance publique, ou est-ce qu'il y a encore la place pour la liberté d'entreprendre, la liberté du commerce et de l'industrie? Moi je considère qu'il faut autoriser les mineurs indépendants, parce que c'est l'histoire de la Calédonie, de continuer à exporter leur minerai, à partir du moment où ils ont trouvé un client. Qu'on ne nous rebatte pas les oreilles avec le schéma minier: page 231, page 232, un chapitre est effectivement consacré aux clients traditionnels - traités d'une certaine façon. Mais un autre chapitre traite de l'évolution des marchés.
"Quand le marché du nickel évolue, il faut savoir être souple"
Et quand le marché du nickel évolue - ce qu'il fait tous les jours, et notamment depuis que la Chine est en difficulté; il faut donc être souple et, au nom de la liberté du commerce et de l'industrie, car encore une fois c'est comme ça que la Calédonie s'est construite depuis un siècle, il n'y a pas de raison, quand il y a un nouvel acheteur, qu'on ne fasse pas droit à cette demande". Pierre Frogier souhaiterait, dans l'attente d'une doctrine nickel pays, voir les provinces gérer leurs ressources propres: "En 2010, avec Charles Pidjot, j'ai obtenu la création d'un comité stratégique pour étudier une doctrine dite "pays", mais ce comité n'a pas pu rendre de conclusions, et on essaie de nous vendre les choix de la province Nord comme un modèle pour tout le pays. Or, l'usine du Nord est en grande difficulté; les responsables de la province Nord ont souhaité 51% de l'usine du Nord. Mais comme ils ne peuvent pas les payer, Monsieur Dang a fait le choix de transformer des minerais que l'on pourrait transformer localement, à l'extérieur de la Nouvelle-Calédonie. D'abord en Corée, et puis maintenant nous dit-on, en Chine. Pourquoi y-a-t-il cette difficulté aujourd'hui, et pourquoi suis-je aussi ferme? Parce que je ne peux pas accepter ça. Les responsables de la province Nord, et Monsieur Dang, ont pris des engagements vis-à-vis des Coréens, et des Chinois, qu'il ne sont pas capables de tenir, parce que la province Nord n'a pas les ressources minières nécessaires pour faire face à ces contrats.
"La province Nord doit assurer son modèle de développement avec ses propres ressources"
Les minéralisations principales sont dans la province Sud. Eh bien, le génie de Monsieur Dang, a été de signer des engagements alors qu'il n'a pas de ressources, et de venir les chercher là, dans le Sud. Que les engagements qui sont pris à l'extérieur soient gagés, assurés, par les propres réserves de la province Nord. Mais que la province Sud conserve pour elle-même les gisements qu'elle a sur son territoire. Qu'on ne touche pas à ses réserves minières. Le jour où il y aura un schéma global pour l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie, peut-être. Aujourd'hui, c'est un modèle de développement défini par la province Nord: qu'ils assurent ce modèle de développement avec leurs propres ressources... Là, que se passe-t-il? Il faut dire la vérité. La Sofinor, qui est la société financière de la province Nord, a tout acheté: vous ne pouvez rien faire en province Nord, si vous ne passez pas par la Sofinor. Mais en plus,la Sofinor a acheté des hôtels dans la province Sud, elle y achète aussi du foncier, achète des troupeaux de porcs, de cerfs: est-ce que c'est cela le rééquilibrage?? C'est un modèle socialisant - je vais employer un mot à basse résonance, où la puissance publique, c'est-à-dire la politique, veut tout maîtriser. Moi je ne veux pas d'une Nouvelle-Calédonie comme ça pour mes enfants, parce que ce n'est pas notre histoire, ce n'est pas l'histoire que l'on vit depuis plus d'un siècle maintenant". Interrogé par Alexandre Rosada sur le modèle de société qu'il souhaite - est-ce une société ultra-libérale, Pierre Frogier répond: "Sur le nickel, parce que ce sont des richesses minières, qui doivent appartenir à la collectivité, dont la population doit retirer le meilleur bénéfice, le schéma minier doit déterminer les volumes à l'exportation, et les teneurs - pas les clients. A partir du moment où la puissance publique s'immisce dans le contrat et fait elle-même le choix de celui qui sera en contrat avec l'exportateur, ce n'est plus la société qui a construit la Nouvelle-Calédonie. Les politiques de la province Nord, démocratiquement élus, ont leur modèle, qui ne doit pas être celui de la province Sud. Le massif de Prony-Pernod, le dernier grand massif connu dans le monde qui pourrait supporter une nouvelle usine; quand je présidais la province, j'ai tenu à sanctuariser ce massif de façon que la province Nord ne mette pas la main dessus. Malheureusement, après les dernières élections de 2014, la majorité de la province Sud a fait en sorte de revenir sur cet engagement - ce que je regrette. Ceci explique peut-être cela".
"Il faut un troisième accord pour ancrer la Nouvelle-Calédonie dans le XXIème siècle"
Lors de sa visite sur le territoire, Bruno Le Maire a affirmé sa volonté de voir "la Nouvelle-Calédonie rester dans la France". Une évidence, pour le sénateur Frogier: "Il n'y a pas à l'heure où l'on parle, de majorité dans les urnes pour que la Calédonie devienne indépendante. Le corps électoral pour les élections de sortie de l'Accord, si jamais il doit y avoir un scrutin d'auto-détermination, est à peu près le même que le corps électoral pour les provinciales. Et donc, la question n'est pas si la Calédonie restera dans la France - elle y restera, mais comment elle y restera. C'est la raison pour laquelle je me battrai jusqu'au bout de mes forces pour qu'on soit capables de construire un nouvel accord. Quelque chose de nouveau, qui donne un rebond à la Nouvelle-Calédonie. Nous avons été capables de faire de belles choses entre 1988, et 2018, il n'y a pas de raison qu'au-delà de 2018, nous ne soyons pas capables ensemble, de faire des choses pour ancrer la Calédonie dans le XXIème siècle. Oui, c'est un troisième accord; il faudra rédiger un code de la citoyenneté, qui permette aux différentes populations de la Nouvelle-Calédonie, de se sentir calédoniens, citoyens, car aujourd'hui c'est un citoyenneté par défaut, alors qu'il faut une citoyenneté par construction". Pierre Frogier est revenu sur la démission d'Anthony Lecren demandée par le président du gouvernement Philippe Germain, affirmant que "le président du gouvernement n'est pas le chef du gouvernement, de la majorité. Chaque membre du gouvernement est issu de son groupe politique au Congrès. Si Anthony Lecren a des comptes à rendre, c'est à l'Union calédonienne, son groupe". Enfin, sur la mission de Daniel Goa,le sénateur estime que "le problème n'est pas réglé. Le président Goa s'est rendu compte aussi qu'il y avait de fortes tensions entre Nord et Sud dans l'Union calédonienne, et qu'il était important pour lui, et probablement utile pour son mouvement politique, de retrouver une parole commune, sur le nickel. Le nickel est au coeur de tout"...
Pierre Frogier est interrogé par Alexandre Rosada