Le traitement d'une réfugiée somalienne fait polémique en Australie. Connue sous le pseudonyme d'Abyan, cette jeune femme de 23 ans dit être tombée enceinte après avoir été violée à Nauru.
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Le mois dernier, elle a demandé à avorter, ce qui est impossible dans la micro-République, très chrétienne. Il y a une dizaine de jours, Abyan a donc été envoyée en Australie pour mettre fin à sa grossesse. Mais elle a été renvoyée à Nauru cinq jours plus tard, toujours enceinte.
Dans une lettre écrite à la main, transmise par son avocat, la réfugiée somalienne explique qu'elle n'a pas changé d'avis, qu'elle veut toujours avorter, mais qu'elle a besoin d'un peu de temps :
« J'ai été violée à Nauru. J'ai été très malade. Je n'ai jamais dit que je ne voulais pas avorter. Je n'ai pas vu de docteur. J'ai vu une infirmière dans une clinique, mais il n'y avait pas de services d'aide psychologique. J'ai vu une infirmière à Villawood, mais il n'y avait pas de traducteur. Je n'ai pas eu le droit de parler à mon avocat. S'il vous plaît, aidez-moi. »
Selon son avocat, George Newhouse, Abyan a perdu 10 kilos, elle a passé deux jours aux urgences de l'hôpital de Nauru avant de pouvoir prendre l'avion pour l'Australie. Elle a simplement dit qu'elle ne pouvait pas être opérée immédiatement, qu'elle n'était pas prête physiquement ni mentalement, rapporte-t-il. George Newhouse :
« Je leur ai téléphoné, je leur ai dit 'elle est malade, je l'ai vu, elle est sonnée, perdue, pouvez-vous lui donner un peu de temps, s'il vous plaît'. Quand j'ai parlé à un membre du ministère, ils n'y voyaient pas d'inconvénients, ils ne m'ont pas dit 'elle doit être opérée demain ou le jour suivant ou sinon elle sera renvoyée'. »
Le ministre de l'Immigration, Peter Dutton, a une toute autre version de l'histoire. Au cours des cinq jours qu'elle a passé en Australie, Abyan a vu de nombreux spécialistes, dont des médecins, des infirmières spécialisées en santé mentale et des interprètes. Il l'affirme, il était clair qu'elle ne voulait plus se faire avorter :
« Un examen a été réalisé par une infirmière, puis par une spécialiste en santé mentale. Le lendemain, elle a été examinée par un médecin généraliste et à nouveau par une infirmière. Une autre consultation avec un médecin a suivi dans l'après-midi. (…) Ce sont les faits en ce qui concerne ce sujet. Je ne porte aucun jugement sur cette femme. Nous essayons de lui fournir l'aide que nous pouvons lui apporter. Si l'opération n'allait pas avoir lieu, ou si nous ne voulions pas lui permettre d'être examinée par des médecins ou par des infirmières, alors pourquoi aurions-nous dépensé de l'argent pour payer le billet d'avion et l'avion charter pour emmener cette femme de Nauru en Australie, puis d'Australie à Nauru ? »
À l'aller, Abyan a pris un vol commercial alors qu'au retour, un avion a été spécialement affrété pour elle. Pourquoi une telle précipitation ? Neil Skill, du ministère de l'Immigration, explique que les autorités ne voulaient pas que la réfugiée en profite pour rester en Australie :
« Il n'y a avait pas de vol commercial disponible. C'est une décision qu'on a prise après évaluation des risques. En général, quand vous renvoyez des personnes dans des endroits où ils n'ont pas envie d'être, il y a des risques. »
Le ministre de l'Immigration a récemment dénoncé le « chantage » de femmes enceintes qui quittent Nauru pour être soignées en Australie, et qui en profitent ensuite pour rester dans le pays, selon lui.
Comme on le voit, les positions des uns et des autres sont toujours aussi éloignées et il est difficile de déceler le vrai du faux, ce que souligne Gillian Triggs, la présidente de la Commission australienne des droits de l'homme :
« C'est une histoire vraiment bizarre. On a des photos et des récits qui ne tiennent tout simplement pas debout. Je pense que ça montre bien que le manque de transparence, le secret qui entoure ces centres de rétention et ce qui s'y passe, et bien sûr ce qui se passe dans nos propres centres de rétention en Australie, c'est un problème central, nous avons vraiment besoin qu'il y ait une sorte de système de contrôle indépendant. »
Selon elle, cette question du traitement des demandeurs d'asile et des réfugiés à Manus et à Nauru complique la candidature de l'Australie à un siège au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU pour la période 2018-2020.