Emeutes en Nouvelle-Calédonie. Jeunesse, justice, dialogue : ces trois témoignages de femmes qui ont captivé le FIFO à Maré

Lors de la troisième table ronde du FIFO hors les murs, trois femmes aux parcours exceptionnels ont partagé leurs expériences et leurs réflexions sur la jeunesse calédonienne tiraillée entre la tribu et la ville. Éducatrice, juge et conseillère, elles ont livré des témoignages poignants, décrivant des réalités parfois dures, mais aussi porteuses d’espoir. Entre éducation, justice et actions sur le terrain, leurs récits ont capté l’attention et suscité un appel collectif à l’engagement pour construire un avenir meilleur.

Mercredi, la troisième table ronde du FIFO hors les murs a débuté par une séance de tai-chi qui a bien diverti l’assistance. Mais l’ambiance est devenue plus solennelle dans la salle des délibérations de la mairie dès que les trois intervenantes du jour ont pris la parole sur le thème "Les jeunes Kanak entre la tribu et la ville".

Marie-Rose Waïa : une éducatrice engagée au service de la jeunesse

"J’étais en formation, et je me suis retrouvée bloquée au Nouvata (dans le sud de Nouméa, ndlr), qui servait de QG aux gendarmes. Le matin même, j’avais pris le petit-déjeuner avec l’un d’eux. Il était jeune, un rigolo. C’est lui qui a été tué à Saint-Louis. J’ai ressenti de la tristesse. Il était venu pour son travail. Une mort, c’est pareil, que ce soit nos jeunes ou les autres."

Marie-Rose Waïa a consacré sa vie à la jeunesse. Originaire de Maré, son parcours exemplaire l’a menée en métropole, où elle s’est formée au métier de ses rêves : éducatrice spécialisée. Elle a ensuite exercé auprès des jeunes détenus du Camp-Est. Depuis 2019, elle œuvre sur les îles, en tant que véritable ange-gardien.

Le quotidien des jeunes : des défis à surmonter

"Il y avait une trentaine de noms sur la liste des jeunes envoyés en prison en métropole. J’en connaissais beaucoup. Absence de papa, problèmes d’autorité… Ils ne savent même plus se mettre à table ou se peigner. Leur faire suivre une heure de cours, c’est un miracle", explique-t-elle. "Ils ne sont pas nombreux, mais ils ne mesurent absolument pas la gravité ni la dangerosité de leurs actes."

Avec émotion, elle raconte comment le langage des jeunes "bouscule" : "Pas seulement nous, les parents Kanak, mais tous les êtres humains. C’est à nous de redonner de la valeur à nos enfants. Quand ils mettent une capuche ou sortent la nuit, on les réprimande. Mais ce n’est pas ça qui en fait des délinquants. Beaucoup d’enfants ne savent plus ce qu’est un câlin. Cela me pèse, car ils ont besoin de nous. Un enfant, avant d’être un auteur de faits graves, est d’abord une victime." Elle garde toutefois espoir : pour certains, la violence n’est qu’un passage. Elle cite un jeune qu’elle a accompagné, devenu aujourd’hui un rappeur reconnu sur internet et père d’un enfant.

Océane Trolue : la justice comme moyen de réconciliation

Océane Trolue, sa voisine à la tribune, prend la parole : "Marie-Rose en a parlé, c’est chez moi qu’ils finissent." Juge au tribunal d’appel de Nouméa, elle est la première femme Kanak à occuper ce poste, sur les traces de son père, Fote, disparu récemment. Elle explique : "Je dois décider du sort de ceux que je vois chaque jour dans mon travail. C’est difficile. Je ne peux montrer aucun sentiment. Je les interroge : “Quel est ton clan ? Ce tatouage, c’est quoi ?” Quand certains me regardent dans les yeux, je comprends qu’ils n’ont plus peur de nous, les parents. “Je suis un mec de Koutio”, “Je suis un mec de Kaméré.” 

Le rôle de la justice : au-delà de la répression

"Le soir, je pleure chez moi, mais au tribunal, je reste professionnelle. Le grand public voit la Justice comme répressive. Pourtant, sa mission première est d’apaiser les choses. Être magistrat, c’est avant tout avoir une dimension humaine et savoir écouter. La prison n’est pas la solution immédiate." Comme Marie-Rose, Océane insiste sur l’importance de l’éducation : "Un diplôme, c’est un passeport."

Elle reconnaît les blessures invisibles de ces jeunes :"Ils grandissent dans des familles où il y a de l’alcool, de la violence physique, verbale, psychologique. Je reconnais ces signes : les épaules levées, le regard qui défie. Tout cela reflète les problèmes à la maison." Elle conclut : "Les solutions, c’est nous. Les mamans sont souvent les seules à accompagner leurs enfants, qu’ils soient victimes ou prévenus. Chez eux, ils ont des valeurs, mais dès qu’ils sortent, ils changent de visage. Si les solutions viennent de nous, elles seront mieux acceptées."

Danielle Guaenere : une conseillère en action pour les jeunes de Magenta

Enfin, Danielle Guaenere prend la parole. Partie d’un bac hôtelier, elle a intégré en 2021 l’équipe de Louis Mapou en tant que conseillère aux questions d’éducation. Elle prouve qu’  "il n’y a pas d’âge pour apprendre" ayant obtenu sa dernière licence à 57 ans. Face à la crise, elle a décidé de sortir de son rôle : "Il fallait que je fasse quelque chose. Je suis allée à Apogoti et aux tours de Magenta."

À la rencontre des jeunes de Magenta : un dialogue salvateur

Elle décrit une réalité alarmante : "À Magenta, j’ai rencontré quinze jeunes sous l’emprise de l’alcool, de la drogue et des pilules bleues volées dans des pharmacies. Deux refusaient de parler, mais treize ont accepté le dialogue. Avec le temps, les deux récalcitrants ont fini par parler. Ils venaient d’Ouvéa. Quand je leur ai dit que j’avais des racines là-bas et mentionné le nom d’un grand-parent, ils sont tombés à genoux pour demander pardon".

Danielle refuse de s’arrêter là : "Certains de ces jeunes ont monté une association. Ils demandent à planter des arbres sur une butte près de la Poste ou à construire une cabane pour pratiquer la sculpture et faire de la musique. Deux fois, cela leur a été refusé. Mais je vais voir la mairie et la SIC pour intercéder. Ce n’est pas un problème d’institutions, mais de lien."

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Réflexions et propositions pour l’avenir de la jeunesse 

Depuis la salle, des témoignages et des propositions fusent. Une maman regrette que les langues maternelles ne soient pas transmises dès la naissance."Une langue, c’est une identité." Un professeur invite les mamans à intervenir dans les collèges. Un autre évoque l’impact des réseaux sociaux : "TikTok révèle des choses sidérantes."

Enfin, la table ronde conclut sur quelques principes d’action :

  1. Réparer: Qu’une délégation d’îliens rencontre les familles des îles vivant à Nouméa.
  2. Anticiper:
  • Organiser des rencontres élèves-parents au collège.
  • Enseigner les langues locales dès le plus jeune âge.
  • Réintroduire le Challenge Michelet (échanges entre jeunes).
  • Lancer des actions de cybersécurité.

Les discussions se poursuivent, illustrant l’urgence de construire des solutions pour ces jeunes en quête d’avenir.