Les ultramarins à la fête dans le Tour de Calédonie

Le tahitien Krainer a remporté la 45e édition de la plus longue course amateur par étapes au monde. Le réunionnais Romeder prend la 3e place du général. Et le calédonien Barket a lui porté le maillot jaune devant son public. Résumé d’une épreuve animée par les ultramarins.
 

RETROUVAILLES DANS LA PEAU D’UN CHAMPION

Il ne l’avait plus revue depuis quatre ans. Lui qui a quitté Tahiti pour rejoindre la métropole dans l’espoir d’accomplir son rêve : participer au Tour de France. A Nouméa, Taruia Krainer a retrouvé l’une de ses grandes sœurs, Heirautini, exilée depuis 2010 à Plum, dans le sud du territoire calédonien. Maillot jaune sur les épaules, il a bouclé le critérium final du Tour de Calédonie à une quarantaine de secondes du vainqueur de l’étape, l’italien Francesco Castegnaro de l’ACLN, sans danger pour le classement général. Sous les yeux de sa sœur et de son beau-frère Shawn, le polynésien a franchi la ligne d’arrivée les bras levés, main dans la main avec ses coéquipiers de l’OPT, un grip de couleur jaune recouvrant les guidons des quatre coureurs. Il a terminé l’édition 2015 avec 1 minute 43 secondes d’avance sur le Suisse Dimitri Bussard d’Axial et 1 minute 58 secondes sur le réunionnais Alexis Romeder. « Ca fait plaisir ! Il a consenti beaucoup de sacrifices. Il est parti à l’âge de 16 ans pour faire des études et du sport, loin de la famille. Pas évident. Il a des résultats et on est tous fiers de lui, confie Heirautini. La fierté d’une sœur, mais aussi celle d’un territoire. « Premier tahitien à remporter le Tour de Calédonie, c’est quelque chose hein ! » ajoute t’elle dans un sourire. D’autant plus que l’heureux épilogue n’était pas acquis.


DEBUTS COMPLIQUES

Malgré son statut de favori, légitimé par sa présence au sein de l’équipe Vendée U où il essaye de passer professionnel, toutes les conditions n’étaient pas réunies pour s’imposer sur le Caillou avec l’OPT. Son coéquipier Gaël Le Bellec, 3e du général l’an dernier, n’avait pas vraiment coupé après son deuxième titre de champion du monde de duathlon. Jean-Marie Gouret était rassasié après sa saison en division nationale 1 (DN1) chez les amateurs. Et le jeune Jérémy Fialip n’avait jamais disputé de course à étape. Taruia, lui, ne se voyait pas vainqueur. « Je suis venu pour prendre du plaisir et terminer l’année en beauté, mais pas forcément dans  l’objectif de gagner le Tour. J’ai fait une bonne saison en France qui m’a bien usé. Je ne savais pas où j’en étais. En fait, physiquement j’étais bien, mais moralement c’était l’inconnu ».
Dès le contre la montre par équipes initial, sur l’une des trois îles Loyautés à Maré, sa formation OPT perd 26 secondes sur les Suisses d’Axial. Dans la 2e étape entre la tribu de Kurine et la mairie de Tadine, toujours en terre Nengoné, Taruia ne prend que la 14e place à plus de 2 minutes de l’italien Castegnaro de l’ACLN. Dans la suivante, au Mont-Dore, il est encore dans le peloton à plus d’une minute du métropolitain Lebars de Ouenghi Sport. Le tahitien est alors 17e du général à près de 3 minutes du leader. « On est arrivé l’avant-veille du Tour. Avec le décalage horaire de 9 heures, toute l’équipe ne se sentait pas très bien. On a laissé passer les premières étapes » explique t’il.


DE LA LUMIERE … A L’OMBRE

Il revient cependant au premier plan au quatrième jour de course à La Foa. Une portion en terre d’environ 1km provoque une dizaine de crevaisons. Le garçon de Papeete évite le danger au passage aller, mais chute au retour. Il remonte sur le vélo et prend finalement la bonne échappée. Dans l’ascension du col de Farino, classé 1ère catégorie, il est roue dans roue avec l’Italien Borella de l’ACLN. Krainer s’impose finalement au sprint et monte sur la 3e marche du podium du général à 50 secondes de Borella. Du mieux, mais rien n’est gagné. Il va connaître une déconvenue dans l’étape de la mine entre Koné et l’Etoile du Nord. Les dix derniers kilomètres se font sur la terre et sont classés hors-catégorie. Taruia fini 18e à 6 minutes du vainqueur, Castegnaro, qui brandit le poing au milieu de deux gigantesques engins miniers Dumpers. « On a fait une petite réunion après la course. Les directeurs sportifs Sébastien Le Divenach et Thierry Calvez ont remis les choses au point. Ils nous ont donné confiance et nous ont dit que le Tour n’était pas terminé ». Au général, le tahitien est pourtant 7ème à plus de 4 minutes du nouveau maillot jaune, le Suisse Alexandre Ballet d’Axial.


DUEL CALEDO-TAHITIEN

Si Krainer est dans le dur à mi-parcours, le calédonien Florian Barket est lui euphorique. Licencié à l’UC Nantes-Atlantique en DN1, il revient en Nouvelle-Calédonie pour la première fois depuis quatre ans et son départ pour la métropole. Son entraîneur, Laurent Gané, une référence mondiale sur piste, est venu l’observer et sa famille le suit de près sur chaque étape. Son père Thierry a pris part à 12 Tours de Calédonie ! Florian est à l’attaque tous les jours. Et il a réussi un superbe come-back dans la 6e étape. Relégué dans un 3e groupe à la mi-course, il parvient à revenir sur le 2e groupe au pied de la mine, et double ses concurrents dans la montée. Il s’octroie la 8e place et grimpe en 5e position au général devant Taruia.
Dans la 7e étape entre Ouégoa et la tribu de Ouaième, le Cagou fait un nouveau numéro. Il s’extirpe du peloton et se glisse, avec Krainer et le réunionnais Romeder, dans un groupe qui fini juste derrière les échappés. Les trois premiers du général, Ballet, Castegnaro et Lebouvier du VCC se sont fait piéger. Ils perdent 7 minutes sur les ultramarins. Après le contre-la-montre de l’après-midi, Barket prend le maillot jaune, Krainer la deuxième place à 1mn et 5 secondes et Alexis Romeder se repositionne en 5e position à 3 minutes 43. Le père de Florian Barket s’asseoit à l’arrière d’une voiture. Sa voix est troublée par l’émotion. Lui et sa femme, Coryne, ont accompagné leur fils pendant quatre ans en métropole pour lui permettre de se rapprocher de son rêve de devenir pro et de briller un jour sur le Tour de Calédonie. Il est le deuxième plus jeune calédonien de l’Histoire du Tour à prendre le maillot jaune après Jérôme Bonnace vainqueur de la première étape de son premier Tour à 18 ans.

UN SPORT D’EQUIPE

Barket crée donc la sensation. Et si son équipe de l’ACLN décide de le soutenir, il a de fortes chances de conserver au moins une étape son maillot jaune et sans doute de terminer sur le podium du Tour. Mais les premiers ont toujours été attaqués depuis le début de l’épreuve. La plus belle des tuniques a déjà changé d’épaules à cinq reprises. Les observateurs s’interrogent également sur la cohésion au sein de l’ACLN. Castegnaro est revanchard par rapport à l’édition 2014 durant laquelle il a laissé échapper quatre fois la victoire d’étape. On l’a vu en jaune au début du Tour 2015 et il apparaît très costaud avec déjà trois premières places à Maré, la mine, et dans le contre-la-montre individuel. Borella a lui aussi porté le maillot de leader. Enfin si Barket a attendu Castegnaro lorsqu’il a sauté dans le col d’Amos lors de la 7e étape, il affiche aussi de l’ambition pour son premier Tour de Calédonie. Y’a-t-il un leader qui se dégage vraiment dans cette équipe internationale ? Difficile d’y voir clair. Lors de la 8e étape en tout cas, l’ACLN perd gros. Les italiens sont nerveux et ne cessent d’attaquer. Barket lui fait l’erreur de marquer le 3e du général Castellarnau. Alors que les deux hommes récupèrent après une tentative de départ, le tahitien Krainer de l’OPT prend 15 mètres d’avance et Romeder le suit, comme les italiens. Barket et Castellarnau sont piégés. Krainer avec l’aide de Le Bellec s’impose au sprint et, avec ses compagnons d’échappée, prend plus de 10 minutes d’avance sur Barket. Au général, nouveau chamboulement : le tahitien de Vendée U passe n°1 avec 2 minutes 25 secondes sur Bussard et 2mn 40 secondes sur Romeder.


TOUT EN MAITRISE

La fin du Tour de Calédonie est verrouillée par une formation de l’OPT sérieuse et soudée. Thierry Calvez, l’un des dirigeants du groupe, raconte l’anecdote suivante. « Un soir après une étape, j’ai changé les deux boyaux du vélo de Taruia. J’ai pris beaucoup de temps pour les changer, les coller. Au moment de laver le vélo, il m’a dit qu’il voulait s’en occuper. Ca veut dire que c’est un coureur qui a de l’avenir et qui n’a pas la grosse tête. Il ne se croit pas supérieur aux autres, c’est un grand coureur ». L’intéressé, lui, met en avant « le travail énorme de ses coéquipiers ». Entre Ponérihouen et Bourail, ils le ramènent à 45 secondes du métro Nivinou des FANC et de Borella de l’ACLN. Dans les circuits de Païta alors que Castegnaro avait dépassé la minute d’avance, l’équipe réduit l’écart à 18 secondes. Elle ne lâchera du lest que dans le critérium de Nouméa, sans inquiétude. Bon copain de Taruia Krainer, Opeta Vernaudon, qui courait cette année pour l’ACLN Dumbéa, est impressionné. «  Je le connais depuis 10 ans, depuis qu’il a commencé le cyclisme. J’ai roulé une année en sélection avec lui. Il a beaucoup progressé. Nous, on essaye de faire de même mais on s’aperçoit qu’il faut sortir de Tahiti pour atteindre ce niveau-là (…) Pour nous, c’est dur de gagner une étape sur notre Tour. Taruia en a gagné deux. Il a aussi porté le maillot jaune. Après le Tour de Polynésie, on vise le Tour de Calédonie. Il est parvenu à gagner ici aussi. C’est très intéressant pour la suite. Après le championnat des DOM-TOM, il était monté d’un cran. Là, il est encore au-dessus. Il mérite sa place dans le peloton professionnel. J’espère qu’il l’intégrera l’année prochaine. Je suis fier de lui. Il s’est donné les moyens pour arriver à ce niveau là, et quand je vois le niveau qu’il a, on peut dire qu’il a beaucoup de mérite. Et ca donnera un peu de regain au vélo tahitien ».


ROMEDER, LE MALIN

Au final le polynésien Taruia Krainer remporte le Tour et le réunionnais Alexis Romeder monte sur la 3e marche du podium à un peu moins de 2 minutes. Le coureur de Bourg-en-Bresse n’est monté sur le podium qu’après la 8e étape. « Je n’étais pas le plus fort du Tour mais j’ai filoché. J’ai fait avec mes moyens. L’un des tournants pour moi, c’est l’étape où on creuse l’écart sur Barket. C’était une étape qu’on pensait assez plate, facile et reposante mais j’avais prévenu mes coéquipiers qu’elle serait décisive. Je me doutais que ca allait partir et ca n’a pas loupé ! On a pris quasiment 11 minutes. A l’inverse, l’étape de la mine s’est jouée à la pédale et on a bien vu que je n’étais pas dedans vu que je finis 16e à près de 6 minutes (rires). C’était mon 3e Tour de Calédonie. J’avais fini 7e la première année quand Jean-Denis Armand s’était classé 4e. Là, je prends la 3e place. C’est top ! L’équipe a bien travaillé, Paul Rivière a fini 3e de la 5e étape. On reviendra avec plaisir si on est à nouveau invité et je sais que Jean-Denis veut revenir ! ».


BARKET, UN TALENT PROMETTEUR

Le calédonien Barket a lui aussi vécu un sacré Tour. Il termine 11e du général et meilleur Cagou à 13mn 47 secondes du maillot jaune qu’il a lui aussi revêtu. Le tout, à seulement 19 ans. De bon augure avant de retrouver les couleurs de l’UC Nantes-Atlantique en DN1. « J’ai pris chaque étape comme une course d’un jour. Je donnais tout pour perdre le moins de temps possible et en gagner le maximum dans l’optique de porter le maillot jaune. J’espérais le porter au chrono par équipe avec l’aide de mes coéquipiers. Finalement, on termine 2e. Idem le lendemain, mais on prend 2 minutes sur le groupe de Castegnaro. Du coup, je n’y pensais plus trop. Je me suis bagarré quand même pour voir jusqu’où je pourrais tenir sur 12 jours et voir mes limites. Et c’est vrai que le prendre comme ça à la 7e étape, c’était spécial. Je ne m’attendais pas à ça. Je me retrouve un peu dans Taruia parce que je suis parti comme lui à 15-16 ans en métropole. Partir loin, faire beaucoup de sacrifices, et porter le maillot jaune chez moi quatre ans après … Je suis revenu chez moi pour montrer mes progrès, et c’est une chose plus que faite. Et voir son père pleurer de fierté lorsque je prends le maillot jaune, lui qui a disputé 12 Tours, et qui m’a accompagné pendant 4 ans en métropole avec ma mère pour m’aider à passer pro, pour un fils il n’y a pas grand-chose de mieux ».

PROCHAINE EDITION ?

Gérard Salaün, l’organisateur et président du Comité régional de cyclisme depuis 2010 a dévoilé quelques nouveautés possibles pour l’édition 2016 du Tour de Calédonie. La compétition pourrait débuter sur l’île d’Ouvéa, un autre coin de paradis. Une transversale pourrait être ajoutée et le retour sur une mine bitumée est également envisagé.
Certains coureurs du cru songent à revenir, comme par exemple Thierry Fondère victorieux en 2014. Taruia Krainer lui espère passer pro l'an prochain. Cette année, il a travaillé à mi-temps 24 heures par semaine tout en roulant trois heures par jour avec des compétitions tous les week-ends. « Je me levais pour aller bosser de 8 heures à midi. J’enchaînais avec l’entraînement. Je conciliais les deux pour gagner ma vie, payer le loyer, m’acheter la nourriture. On ne vit pas du vélo en amateur en métropole. Dans la réserve de l'équipe de Thomas Voeckler, on a gagné 50 courses cette saison. C'est énorme. Le niveau est très élevé. Quatre du Vendée U sont passés à l'étage au-dessus cette année. Moi j'étais en balance avec un autre coureur mais ce n'était pas mon tour. Je fais confiance à mes dirigeants qui font leurs choix quand il faut et qui savent quand il faut passer ou non. J'espère que l'an prochain ce sera mon tour et je ferais tout pour."