C'est une réaction instinctive: face à la montée des eaux, beaucoup d'insulaires construisent des murs. En réalité, ces édifices artisanaux accélèrent l'érosion. Entretien avec Scott Smithers, chercheur en géomorphologie du littoral.
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C'est une réaction instinctive: face à la montée des eaux, beaucoup d'insulaires du Pacifique construisent des digues sur le pas de leur porte, souvent de façon anarchique. Ces murs de pierres ou de béton protègent les maisons et les terrains, mais bien souvent, ils ne protègent pas l'île, au contraire même, ils accélèrent l'érosion du littoral. Un cercle vicieux qui peut cependant être brisé, avec du bon sens et une politique audacieuse, estime Scott Smithers, chercheur en géomorphologie du littoral, chercheur en géomorphologie du littoral à l'université James Cook de Townsville, dans le Queensland.
Les digues artisanales, une solution contre-productive
Anote Tong, le très médiatique Président de Kiribati, l'a dit lui-même sur CNN en juin 2014: « Nous construisons des digues depuis des années, mais cela n'a pas solutionné le problème. Alors que peut-on faire? C'est très difficile de répondre à cette question. »
Et pour cause, ériger un rempart contre les vagues, cela contrarie la dynamique naturelle des îles. Selon Scott Smithers,« parfois les plages reculent, et parfois elles gagnent du terrain sur la mer, c'est un processus naturel. Normalement, le niveau des atolls peut s'élever grâce au sable, aux sédiments, apportés par les vagues sur la plage».
Certains scientifiques estiment d'ailleurs que grâce à ce processus, les atolls du Pacifique pourraient "garder la tête hors de l'eau", c'est-à-dire s'élever suffisamment rapidement pour compenser l'élévation du niveau de l'océan. Cela, bien sûr, à condition que les réserves de sable, issu principalement des coraux et des foraminifères (des animaux marins microscopiques enfermés dans une capsule calcaire), ne s'épuisent pas sous l'effet de l'acidication et du réchauffement de l'océan.
Quoi qu'il en soit, si l'on veut parier sur la mobilité naturelle des atolls, il faudrait trouver une autre solution que ces barrages contre le Pacifique: « Quand on met un mur, on peut accélérer l'érosion de la plage. La digue refoule les vagues, donc au lieu d'atterrir sur la plage, les sédiments transportés par ces vagues sont rejetés sur le platier, voire carrément au large. Résultat: devant le mur, généralement la plage finit par disparaître », constate Scott Smithers.
Pis, quand une famille édifie une digue, cela peut produire un effet domino sur le littoral. « Car en fonction des courants, le mur peut bloquer le transport du sable plus bas sur la plage. Donc il ne compromet pas uniquement le bout de plage devant la maison de son constructeur, il peut avoir un impact sur le reste de la côte», précise Scott Smithers.
Sortir du discours alarmiste, agir pour protéger les îles
Anote Tong est « parti en croisade il y a dix ans », selon ses propres mots, pour informer la communauté internationale sur les conséquences de la montée des eaux sur le Pacifique et particulièrement, les 33 îles qui forment Kiribati: les inondations, la contamination des nappes phréatiques par l'eau salée, la difficulté de cultiver, etc.
L'année dernière sur CNN, le présentateur Fareed Zakaria demandait au Président de Kiribati:
« - F.Z.: Kiribati en a encore pour combien de temps à votre avis?
- A.T.: peut-être que dans 20 ans, mon pays subira des conséquences extrêmes du changement climatique. »
Du point de vue du scientifique Scott Smithers, ce discours politique a des limites: « On peut être pessimiste sur l'avenir de beaucoup d'îles, et je pense que les dirigeants des petits états insulaires ont raison de tirer la sonnette d'alarme. Mais ma plus grande peur, c'est qu'à force de dire que les îles sont condamnées à être submergées, les gens en concluent qu'ils n'ont pas d'avenir, qu'ils se découragent, alors qu'ils pourraient rester, si nous comprenions mieux le fonctionnement de leur île. Moi je pense qu'il faut surtout réfléchir à ce qu'on peut faire concrètement. »
Des digues, oui, mais qui laissent passer le sable
« Je pense qu'il faut prendre le taureau par les cornes et mettre en place un plan de protection avec l'aide d'ingénieurs du littoral », estime Scott Smither. On peut installer des digues qui diminuent l'énergie des flots, mais permettent quand même aux vagues de passer, et d'apporter les sédiments tirés du platier, jusque sur la plage. Reste que « ce n'est pas une solution facile, parce que déjà, rien que d'acheminer des sacs de mélange pour béton sur une petite île perdue au milieu de l'océan, ça coûte des millions, sans parler du coût de construction de n'importe quel bâtiment, installer des digues sophistiquées, cela devient un exercice fort coûteux. »
Construire judicieusement
« Il faut des plans d'occupation des sols précis, chose que les insulaires ont toujours fait, traditionnellement, mais aujourd'hui le système d'administration des terres est plus complexe qu'avant », annonce Scott Smithers. La pression démographique sur certaines îles rend cette organisation encore plus ardue. À Kiribati par exemple, sur l'île-capitale, Tarawa, la densité a atteint celle de Hong-Kong et de New York. Faute d'espace, dans certaines îles,« les habitants construisent leurs maisons, et d'autres infrastructures, dans des zones où leurs ancêtres ne se seraient jamais risqués parce qu'ils savaient qu'à ces endroits, la côte est mobile et fragile. Sur chaque île, il y a des zones plus hautes et plus stables que d'autres, naturellement. C'est là qu'il faut construire, et éviter d'ériger des infrastructures coûteuses dans des zones à risque. Ça semble évident, mais ces erreurs sont toujours commises de nos jours. »
Prendre de la hauteur pour survivre aux inondations
Dans beaucoup d'endroits du Pacifique, les maisons traditionnelles sont perchées sur pilotis, mais les nouvelles constructions suivent souvent le modèle occidental. « Si on dit que face à la montée des eaux, la seule façon pour les atolls coralliens de s'élever naturellement, c'est de laisser les vagues inonder la côte occasionnellement, alors on peut construire des maisons sur pilotis, à 1 mètre au-dessus du sol. Grâace à cela, les gens ne seraient pas forcés de partir et d'abandonner leur maisons, ils pourraient rester, quitte à subir des inondations un ou deux jours par an, ou tous les deux ans. » À condition que l'eau sâlée ne contamine pas les sources d'eau douce et n'empêche les insulaires de cultiver.