Sir Kidman, roi du bétail, et ami des Aborigènes

Sir Sidney Kidman (1857-1935), parti dans la vie avec 5 shillings en poche, a terminé avec un empire du bétail gigantesque, la plus grande propriété privée du monde.
Sidney Kidman, incarnation du self made man à l’australienne, a amassé un territoire gigantesque au tournant du XXème siècle, la plus grande propriété privée du monde jusqu'à aujourd'hui. Ses descendants ont mis l’empire en vente, mais Canberra bloque la vente à des acquéreurs chinois.
Son empire a été mis en vente il y a 6 mois. Et sa cession à des racheteurs étrangers bute sur l'opposition du gouvernement (cf. notre article ici). Une page d'histoire se tourne, car Sir Sidney Kidman est un personnage mythique de l'histoire du pays, l'incarnation du self-made man à l'Australienne. Portrait de l'homme à la barbe en pointe. 
 
Les propriétés patiemment acquises par Sir Sidney Kidman à la fin du XIXème siècle, et aujourd'hui mises en vente, couvrent une superficie de 100 mille kilomètres carrés, dans l'Outback, soit un cinquième de la France métropolitaine, et plus que le Portugal ou l'Irlande. Il s'agit du plus grand ranch du monde, et aussi, tout simplement, de la plus grande propriété privée de la planète. 
 
Pour les Australiens, Sidney Kidman reste l'homme à la barbe en pointe, bien blanche et bien soyeuse, sur les photos et les portraits. Pourtant Sidney Kidman a commencé jeune. À 13 ans, en 1871, il s'est enfui de chez ses parents, à Adelaïde, avec 5 shillings en poche, sur un cheval borgne, en compagnie de son ami aborigène Billy. En 60 ans, Sidney Kidman est devenu le propriétaire de 68 ranchs, soit 260 000 km carrés de terres. Une réussite fulgurante qui lui a valu d'être anobli par le Roi George V. 
 
Le roi du bétail s'est toujours entouré de cow-boys et de guides aborigènes pour explorer l'Outback et mener ses troupeaux. Et chose suffisamment rare pour être soulignée, il les a bien traités. À une époque, à la fin XIXème siècle, où il y avait encore des massacres d'Aborigènes, Sir Sidney Kidman, lui, les accueillait dans ses ranchs, les nourrissait, les habillait et en payait certains. Et il respectait leur savoir traditionnel, comme le raconte Paul Reader, de l'université de Nouvelle-Angleterre, spécialiste des cultures aborigènes d'Australie du Sud : 
 
"Sidney Kidman versait des primes aux faiseurs de pluie aborigènes. Pour appeler la pluie, tout ce qu'on sait, c'est qu'ils chantent et que les participants à la cérémonie doivent verser leur sang, beaucoup de sang. Mais attention, il n'y avait pas de sacrifices! Quand la pluie arrivait, Sidney Kidman offrait une calèche aux faiseurs de pluie aborigènes." 
 
144 ans plus tard, S.Kidman&Co est toujours une entreprise florissante - sans dettes. Et elle est à vendre. En clair: 10 ranchs, un gigantesque complexe qui s'étend du Queensland à l'est, à l'Australie occidentale à l'ouest, et de l'Australie du Sud au Territoire du Nord. Évidemment, la visite se fait en avion, sinon en 4X4 il faudrait plusieurs semaines. À vendre aussi, le troupeau bien sûr, les 185 mille têtes de bétails sont incluses, 760 chevaux, ainsi qu'un grand parc d'engraissement pour les boeufs, une ferme de reproduction. Et pourtant, techniquement, la famille Kidman ne possède pas la terre. Paul Reader: 
 
"En pratique, c'est comme si les éleveurs de bétail étaient les propriétaires de la terre elle-même. Même si le bail rural de pâturage ouvre des droits aux propriétaires coutumiers aborigènes. Ils ont le droit de chasser sur ces terres, par exemple. Et depuis 1994, certains groupes aborigènes ont obtenu leur titre de propriété coutumière sur une partie de l'empire Kidman située en Australie du Sud. Mais concrètement, cela ne change pas grand chose, l'état a passé un accord avec ces groupes aborigènes, et le résultat, c'est que leurs droits sur ces terres ont été réduits au minimum, on est loin de ce que prône la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones." 
 
Le repreneur sera choisi d'ici quelques mois. Prix de vente: 325 millions de dollars. Des Australiens sont en lice, mais aussi des Chinois, des Indonésiens, des Américains et des Britanniques. Il est donc fort possible que l'empire Kidman passe aux mains d'un groupe étranger. Ce serait comme une 2ème colonisation, estime Paul Reader: 
 
"En Australie, les éleveurs de bétail sont souvent très liés avec les propriétaires coutumiers. Ils respectent le savoir des Aborigènes, particulièrement en ce qui concerne la terre. Par exemple tout le monde sait que les jeunes subissent toujours l'initiation, dans certaines régions. En clair, les éleveurs reconnaissent qu'ils font paître leurs troupeau en pays aborigène. Et c'est impossible de prédire comment le repreneur va aborder les Aborigènes. Ça va changer leurs relations de travail. Est-ce une chance ou une menace? Les Aborigènes de l'empire Kidman se demandent ce que l'avenir leur réserve." 
 
 
ACTUALISATION - 20 novembre 2015: Parmi les racheteurs potentiels, deux entreprises chinoises sont les plus offrantes. Chacune propose 350 millions de dollars pour les 10 propriétés d'élevage. Mais cette semaine Scott Morrison, le ministre des Finances, a annoncé qu'il interdirait la vente à des acheteurs étrangers, pour préserver "l'intérêt national" (Cf. notre article ici).