L'Australia Day en question

La fondation de l’Australie par le Capitaine Arthur Phillip, Sydney Cove, 26 janvier 1788.
Les premiers colons britanniques ont débarqué sur le sol de Sydney le 26 janvier 1788. Une fête qui est aujourd'hui l’occasion d’un marketing patriotique agressif. Mais que signifie Australia Day pour les Australiens ?
Stephen Alomes, historien à l’université RMIT de Melbourne a accepté de répondre à Radio Australia sur les origines de la fête nationale australienne et la perception qu'en ont ses habitants.

Australia Day ("Le jour de l'Australie") : une commémoration du débarquement du 26 janvier 1788

Ce jour-là, la première flotte, composée de 11 navires pas plus gros que les ferries que l’on voit aujourd’hui en baie de Sydney, a mis des canots à l’eau. Le Capitaine Arthur Phillip, qui commandait la flotte, a posé le pied sur le sol australien, suivi plus tard par les 1030 passagers - hommes, femmes et enfants, principalement des représentants officiels du royaume, des marins et des “convicts” (prisonniers déportés). Une écrasante majorité d’entre eux étaient Britanniques, mais il y a avait aussi quelques détenus africains, américains et français. Après 8 mois de voyage, ils ont débuté la fondation de la première colonie britannique en Australie. « La grande différence entre la création de la colonie australienne, ou si vous voulez, l'invasion de l'Australie ; et l'invasion de l'Amérique par les Européens, c'est que quand les Pères Pélerins ont mis le pied sur le continent américain, la première chose qu'ils ont faite, c'était de prier ensemble. Alors que quand les Britanniques ont posé le pied en Australie, leur premier réflexe a été de faire la fête et de boire trop », explique Stephen Alomes.
Le premier jour, l’installation des colons n’a pas rencontré de résistance. D’après l’Australian Dictionnary of Biography de l’université nationale australienne, les Aborigènes admiraient les pouvoirs des Européens et respectaient Arthur Phillip, le premier gouverneur de la colonie de Nouvelle-Galles du Sud. Il lui manquait une dent de devant, ce qui lui conférait un grand pouvoir symbolique aux yeux des Aborigènes. Mais par la suite, les rapports entre indigènes et colons se sont sensiblement tendus. Les premiers combats entre les Britanniques et les Aborigènes ont eu lieu dès le 29 mai, faisant deux morts parmi les prisonniers déportés. Arthur Phillip a très vite pris des mesures punitives contre les Aborigènes. Mais le gouverneur sanctionnait les colons qui violentaient les indigènes sans raison. Pourtant, Arthur Philip reste aujourd’hui largement méconnu. « Les Australiens célèbrent peu leurs grands hommes, les premiers explorateurs, les gouverneurs, Premiers ministres, etc. », note Stephen Alomes.

La fondation de l’Australie par le Capitaine Arthur Phillip, Sydney Cove, 26 janvier 1788.

Envahisseurs ou colons civilisateurs? Tout est question de vocabulaire…

Ces mots divisent profondément la société australienne. « C’est surprenant, note Stephen Alomes, mais en fait il y a très peu d’historiens qui utilisent le terme “envahisseurs”, parce que ce terme est comme une excuse implicite. Pourtant c’est évident, c’est un fait historique: il s’agit bien d’envahisseurs. D’un autre côté c’est vrai, nos ancêtres étaient bien des colons, ils ont créé des villes, des fermes, etc. Donc nos politiques n’évoquent jamais cette “invasion”. Certains disent dans leurs discours qu’il faut “prendre en compte la diversité des cultures en Australie”, surtout en ce moment, car les gouvernants ont peur de la menace terroriste. D’autres politiques disent qu’il faut prendre en compte “nos parcours différents”. Quant à moi, ma famille est arrivée avec la deuxième flotte, elle s’est installée à Hobart en 1804. Et j’estime qu’il est exact de les nommer à la fois colons et envahisseurs. On a mis en valeur la terre depuis 200 ans, mais on a aussi envahi les terres aborigènes. Je ne me sens pas coupable de cela, car je ne suis pas responsable. Mais le débat sur la reconstitution des Aborigènes dans la Constitution est toujours en cours, et nous n’avons pas achevé notre processus de réconciliation, contrairement en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud, même si dans ces pays, les processus est loin d’être parfait.»
 
Des Aborigènes manifestent devant à Sydney, le 26 janvier 1938.

Jour de l’Australie, jour de l’invasion, jour de la survie, jour de deuil?
Très tôt, des associations aborigènes ont organisé des manifestations contre la commémoration du jour où leur pays a été envahi, la plus notable étant celle de 1938, quand les Aborigènes n’étaient pas encore reconnus comme des citoyens de pleins droits. Pour le 150ème anniversaire du débarquement britannique, une centaine d’indigènes de la Ligue aborigène du Victoria et de l’association progressiste des Aborigènes ont protesté contre la célébration de ce « jour de deuil ». Mais c'est à partir du bicentenaire, en 1988, que la controverse sur le choix du 26 janvier comme fête nationale s'est réellement installée.
« La célébration du bicentenaire a été l'occasion de la plus grande fête que l'Australie ait jamais connue, presque encore plus grandiose que les Jeux Olympiques de Sydney. Et la reconstitution d'une flotte de navires qui ressemblaient à ceux des premiers colons, entrant dans la baie de Sydney, était un symbole fort. À tel point que des groupes aborigènes ont manifesté sur les rives de la baie, contre cette célébration absurde de ce qui reste, pour beaucoup d'Aborigènes, le jour de l'invasion. C'est à ce moment-là que la controverse sur Australia Day s'est vraiment développée. » 
Le 26 janvier 1988, en marge de la grande fête organisée à Sydney, 40 000 Australiens - Aborigènes et non Aborigènes - ont manifesté pour dénoncer la commémoration de cette date tragique, qui divise la société australienne. Depuis, beaucoup surnomment le jour de l’Australie« le jour de l’invasion », ou « le jour de la survie ».

26 janvier 1988: 200 ans après, l'Australie fête sa fondation en grande pompe. Une marée de bateaux envahit la baie de Sydney pour l'occasion.


Une fête nationale dans laquelle ni les Aborigènes, ni les autres Australiens se reconnaissent vraiment

Plusieurs associations proposent régulièrement des dates alternatives au 26 janvier, des dates plus consensuelles, comme le 3 juin, en commémoration de la victoire juridique d’Eddie Mabo, un indigene du Détroit de Torrès, le 3 juin 1992, qui a ouvert la voie à la restitution de certaines terres aux Aborigènes ; ou encore le 27 mai (1967), date du référendum qui a mis fin aux lois d'exception pour les Aborigènes, et les a intégrés dans le recensement national de la population. Deux anciens Premiers ministres, Paul Keating et Kevin Rudd, eux, penchant plutôt pour le « jour de la bataille pour l’Australie », qui commémore les batailles contre les Japonais dans les hauts-plateaux de Papouasie Nouvelle-Guinée, pour protéger l’Australie d’une invasion.
La commémoration du débarquement des Britanniques en Nouvelle-Galles du Sud est en réalité très récente. Ce n’est qu’en 1994 que tous les états et territoires australiens ont fait de ce 26 janvier une fête nationale et un jour férié. « De manière générale, les Australiens s'intéressent très peu à Australia Day. Pour nous, la vraie fête nationale, c'est très étrange, mais c'est le jour de l'ANZAC, le 25 avril, qui commémore l'invasion de la Turquie par les Australiens et les Néo-Zélandais (entre autres), en 1915. »

Défilé du jour de l'Australie sur Swanston Street, la rue principale de Melbourne, en 2013.


Comment les Australiens fêtent-ils le 26 janvier ?

L’anniversaire est commémoré par des défilés dans les grandes villes, des différents groupes communautaires qui forment l’Australie. « C’est normal, on ne peut pas faire défiler les enfants, ils sont encore en vacances d’été, alors on mobilise les communautés d’origine étrangère», explique Stephen Alomes, avec une pointe d’ironie assumée.
Le 26 janvier est aussi marqué par de multiples traditions locales, comme par exemple les paris sur la course de cafards à Brisbane, ou la course des ferries dans la baie de Sydney.

Les gouvernements récents tentent de faire du jour de l’Australie une vraie fête patriotique
« Ces dernières années, les gouvernements d’état et fédéral ont débloqué plus d’argent qu’avant, pour assurer l’organisation de ces défilés multiculturels », constate Stephen Alomes. Une évolution déjà amorcée par John Howard, Premier ministre de 1996 à 2007:
« Il a donné une dimension plus patriotique aux célébrations d'Australia Day, parce que cela servait sa politique conservatrice, de même que d'engager nos troupes dans des guerres à l'étranger. Et le patriotisme existe bel et bien en Australie, il s'exprime aujourd'hui sous la forme d'un rejet des réfugiés et la peur du terrorisme. Malgré cela, Australia Day est une fête assez marginale, c'est juste le jour où les Australiens font la fête à la plage, mais pas un jour utilisé pour renforcer le sentiment patriotique. »


L’Australie célèbre ses héros

Le jour de l’Australie, depuis environ 30 ans, plusieurs comités d’Australiens désignent « L’Australien de l’année ». Pendant longtemps, les héros que se choisissaient les Australiens étaient de grands sportifs. Ces dernières années cependant, des personnalités de plus grande envergure sont choisies comme, en 2010, Patrick McGorry, un psychiatre qui milite pour le dépistage des psychoses chez les jeunes, ou encore Rosie Batty en 2015, devenue militante contre les violences familiales, après l’assassinat de son fils par son ex-mari. Cette année, c’est un ancien chef de l'armée, David Morrison, qui reçoit le prestigieux prix pour son action en faveur du droit des femmes.
Et en 2014, Adam Goodes, un grand joueur de football australien, a accepté de devenir l’Australien de l’année, malgré la charge symbolique négative qui pèse sur ce 26 janvier, considéré comme “jour de l’invasion” par beaucoup d’Aborigènes. Adam Goodes a tranché, déclarant: « nous devons nous concentrer sur ce qui nous rapproche, ce que nous partageons ». 

Le joueur de footy Adam Goodes, lauréat du prix de l'Australien de l'année en 2014, aux côtés du Premier ministre d'alors, Tony Abbott.