S'il y a un domaine dans lequel les Îles Marshall excellent, c'est le pavillon de complaisance. L'archipel se classe au troisième rang mondial ; plus de 2 500 bateaux sont placés sous sa juridiction.
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Pour naviguer, un navire doit être enregistré dans un État, dont il s'engage à respecter les lois fiscales, environnementales et sociales. La logique voudrait que l'armateur choisisse le pavillon de son pays, mais le transport maritime est mondialisé et surtout, certains pavillons sont plus avantageux que d'autres.
Être immatriculé aux Îles Marshall permet de payer nettement moins d'impôts - les armateurs ne doivent verser pratiquement aucune taxe sur leurs bénéfices. Mais ce n'est pas le seul avantage, souligne Anthony van Fossen, chercheur à l'université Griffith, dans le Queensland, spécialiste des paradis fiscaux du Pacifique : « Ce qui est moins évident et en fait plus important, c'est qu'un pavillon de complaisance permet à l'armateur du bateau de fonctionner en gardant la main dans énormément de domaines : la main d'œuvre, les règlementations en matière d'environnement et de sécurité… Le coût des équipages de ces bateaux est extrêmement bas comparé aux bateaux qui sont sous les pavillons d'États conventionnels. En conséquence, les trois quarts de la flotte est sous pavillon de complaisance. »
Mais ces bateaux ne doivent-ils pas respecter les lois internationales quand ils sont dans les eaux internationales et les lois des différents pays quand ils se trouvent dans leurs zones économiques exclusives ? « Oui, il y a des lois internationales, mais le problème, c'est qu'elles ne sont pas réellement appliquées. Par exemple, si un bateau sous pavillon de complaisance pêche illégalement ou enfreint des lois environnementales, qui va faire respecter ces lois ? Est-ce qu'on va demander aux Îles Marshall de le faire ? »
Cette question s'est posée en 2010, lorsqu'une plate-forme pétrolière a fait naufrage dans le Golfe du Mexique, provoquant la plus grande marée noire de l'histoire des États-Unis. Cette plate-forme battait pavillon des Îles Marshall - les plateformes pétrolières sont considérées comme des bateaux. Toutes les lois environnementales, fiscales et salariales de la plateforme Deepwater Horizon répondaient donc aux lois des Îles Marshall, mais pour Anthony van Fossen, « c'est être naïf que d'imaginer que les Marshall sont capables de faire respecter leurs lois dans le golfe du Mexique ».
En principe, les pays peuvent être tenus pour responsables en cas de catastrophe, mais « ils ont une palette d'immunités souveraines qui leur permettent d'échapper à ce que beaucoup considèreraient être de leur responsabilité », explique Anthony van Fossen. Dans le cas de Deepwater horizon, les choses étaient encore plus compliquées, « il y avait un autre niveau d'irresponsabilité liée aux paradis fiscaux, puisque la plateforme était la propriété d'une entreprise basée en Suisse, Transocean, qui la louait ensuite à BP. Quand l'information est sortie dans les médias, c'était souvent présenté comme une sorte de bataille entre la Grande-Bretagne - BP, et les États-Unis. L'angle paradis fiscal était bien souvent occulté, alors que je pense que c'était le plus important », précise le chercheur.
Et depuis, rien n'a changé, le problème fondamental reste le même : de nouvelles lois sont adoptées, mais elles ne sont pas réellement mises en œuvre.