Délimiter un espace géographique à protéger n’est qu’une première étape. Pour éviter qu’une aire marine ne soit protégée que sur le papier, il faut gérer la zone, la surveiller. Cela nécessite de gros moyens humains et financiers. Les pays du Pacifique y arrivent-ils ?
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C’est Hawaï qui a mis en place la première aire marine protégée de la région en 2006 : le monument national marin Papahanaumokuakea. Mais à l’époque, cela faisait déjà longtemps que les pays du Pacifique surveillaient leurs eaux pour lutter contre la pêche illégale et le trafic de drogue, notamment. Le chercheur Quentin Hanich, directeur du programme australien de recherche sur la pêche à l’université de Wollongong, explique que la création de réserves marines facilite, en fait, le travail des États : « Quand vous avez une zone économique exclusive à l’intérieur de laquelle il y a un ensemble complexe d’activités de pêche différentes, il est évidemment assez difficile de surveiller efficacement la région et de faire respecter la loi. À bien des égards, quand vous créez un sanctuaire marin, vous vous facilitez la tâche : vous n’avez plus qu’à vous demander si quelqu’un pêche ou pas. »
Même si repérer un acte illégal devient plus facile, il faut toujours que les États du Pacifique gardent un œil sur ces espaces protégés. Or, comme on l’a vu la semaine dernière, les sanctuaires marins sont souvent immenses. Pour être plus efficaces, les pays de la région collaborent, rapporte Quentin Hanich : « Tous les pays membres de l’agence des pêcheries du Forum des îles du Pacifique (FFA) coopèrent. Ils ont des capacités limitées et s’entraident donc au maximum. Cela fait trente ans que la FFA y travaille, pousse les pays de la région à collaborer. Elle a mis en place un système de partage des renseignements, il y a des patrouilles communes, et si un bateau est suspecté de pêcher illégalement, il peut être inspecté dans le port d’un pays voisin, qui partagera ensuite ses données. Les territoires français coopèrent également avec les pays membres de la FFA. Le fait qu’il y ait une forte coopération entre les pays du Pacifique dans ce domaine de la surveillance depuis si longtemps, c’est exceptionnel. »
Pour surveiller les aires marines protégées, il existe plusieurs outils : les bateaux de surveillance, les satellites, les radars, l’analyse des données statistiques sur les bateaux de pêche… Et ces outils ne cessent d’évoluer, notamment grâce au soutien d’ONG comme le Pew, qui développe de nouvelles techniques. Jérôme Petit, directeur du programme Héritage mondial des océans en Polynésie française au sein de cette ONG américaine, nous présente la dernière innovation en la matière : « Il y a un programme qui s’appelle Eyes on the Seas, les yeux sur la mer, qui vient d’être lancé par Pew en collaboration avec une entreprise anglaise, Catapult. Ce programme mélange un peu toutes les technologies de surveillance et un robot traite les données en temps réel, permettant de mettre en évidence un bateau qui est en situation de pêche illégale. Il notifie aussi l’information aux autorités locales pour que des mesures soient prises, soit directement en envoyant un bateau sur place, soit en attendant que le bateau arrive au port et puisse être intercepté. Ces méthodes nouvelles rendent la surveillance du large de plus en plus faisable et de moins en moins onéreuse. »
Les bateaux de surveillance restent, malgré tout, nécessaires, estime Quentin Hanich : « Ces bateaux coûtent cher, il faut beaucoup d’essence, les équipages doivent être formés et il y a encore d’autres problèmes qui font qu’il est difficile pour les petits États insulaires de maintenir leur flotte en bon état de navigabilité. Je ne compterais pas que sur un bateau de surveillance pour contrôler la zone, mais vous devez en avoir plusieurs dans la région. »
Dans les années 1980, l’Australie a donné 22 bateaux à 12 pays du Pacifique, dont les Fidji, les Tonga et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. La flotte est vieillissante, certains patrouilleurs ne peuvent plus partir en mer, l’Australie doit donc fournir de nouveaux bateaux. Cela prendra un moment : un appel d’offres est en cours pour savoir quelle entreprise australienne de construction navale va remporter le contrat de 600 millions de dollars.
L’argent, le nerf de la guerre, comme toujours. La surveillance des vastes aires marines protégées nécessite un investissement financier énorme pour des petits États. Pour Quentin Hanich, il faut donc se poser les bonnes questions : « La question, en fait, c’est combien ça vaut ? Si une pêcherie vaut entre 5 et 10 milliards par an, comme les pêcheries de thon, combien dépensez-vous pour surveiller, contrôler la zone ? Qu’est-ce que vous gagnez à investir ? C’est une équation compliquée. »
Les pays du Pacifique ont-ils trouvé la bonne équation ? Depuis 2006, une dizaine d’aires marines protégées ont été créées. Les objectifs ont-ils été atteints ? Il est trop tôt pour le dire, explique Jérôme Petit : « C’est très récent. Les scientifiques nous disent qu’il faut attendre en moyenne dix ans pour qu’une aire marine protégée commence à avoir des bénéfices concrets, mesurables sur le terrain. »