En posant un pied à terre à l’aéroport international de La Tontouta, il avait au moins une certitude. Une seule. Faire marche arrière n’était plus possible. Aux agents de la police aux frontières en poste, cet homme, aux allures de monsieur Tout-le-Monde, s’est présenté sous sa véritable identité. Lui qui a choisi de disparaître il y a une quinzaine d’années et de s’inventer une nouvelle vie pour fuir la justice.
D’après nos informations, un Calédonien de 48 ans, considéré comme un trafiquant international de drogue et condamné à une lourde peine de sept ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Marseille, s’est rendu aux autorités judiciaires après plus d’une décennie de cavale.
Né en 1974 à Nouméa où il a passé une partie de son enfance (avant d’y retourner plus tard), cet homme était en fuite depuis que les gendarmes s’étaient intéressés de près à un réseau d’approvisionnement et de vente de cocaïne dans les bars et boîtes de nuit de la région marseillaise (Cassis et Aubagne), entre les années 2007 et 2009. Un groupe d’une quinzaine de personnes, acheteurs et revendeurs, bien souvent eux-mêmes consommateurs de stupéfiants, sous la surveillance des enquêteurs qui avaient conclu, après quatre ans d’enquête pilotée par un juge d’instruction, au rôle prépondérant de ce Calédonien dans l’organisation et la livraison de la poudre blanche.
De la cocaïne "en grande quantité"
La justice avait mis dix ans à juger ce gros dossier de trafic de stupéfiants et d’association de malfaiteurs. La 7e chambre correctionnelle de Marseille, connue pour sa sévérité, avait condamné l’ensemble des protagonistes en juillet 2019. Sept ans de prison ferme avaient été prononcés à l’égard du Calédonien. La peine la plus lourde du dossier. Lui, avait déjà pris le large depuis une dizaine d’années. Il se savait recherché. Dès janvier 2009, il faisait l’objet d’un mandat de recherche, transformé en mandat d’arrêt un an plus tard. Évanoui dans la nature, il se cachait à l’étranger entre le Brésil, l’Europe (Portugal et Italie), la Malaisie, la Thaïlande, l’Inde et les Philippines. Sous de fausses identités ? Il jure que non.
Dans le jugement du tribunal correctionnel, que NC la 1ère a pu consulter, le quadragénaire est accusé d’avoir acheté en grande quantité de la cocaïne au Brésil, qu’il importait cachée dans des batteries ou des ordinateurs pour la revendre dans la région de Marseille et en Australie. Les protagonistes de ce dossier ont notamment expliqué au juge d’instruction et au procès que ses bonnes connaissances en chimie lui permettaient aussi de ramener la cocaïne sous forme liquide, dans des gels-douche, avant de la transformer en poudre une fois en Métropole. "Il apparaissait comme celui qui organisait l’importation par avion depuis le Brésil", écrivent les magistrats, évoquant "ses affaires qui pouvaient l’amener à voyager au Brésil, en Suisse, en Hollande et en Italie". Il ressort des déclarations de ses proches qu’une fois, il était revenu avec deux kilos de cocaïne pure dans ses bagages.
En décembre 2008, les enquêteurs apprennent que le Calédonien a tenté, par deux fois, de rejoindre l’Australie avec des passeports qui ne lui appartenaient pas. Interpol, l’organisation internationale de police criminelle, avait alors prévenu les autorités françaises que des bagages, enregistrés sous un faux nom, avaient été bloqués en Australie au moment de son voyage et venaient d’être réexpédiés à Roissy.
Sans attendre, les enquêteurs se rendaient dans un entrepôt de l’aéroport, fouillaient les bagages et découvraient 686 grammes de cocaïne dissimulés dans une batterie. "L’analyse des produits saisis révélait la présence de chlorhydrate de cocaïne à hauteur de 83 %, soit une cocaïne d’une grande pureté, rare sur les marchés et d’une forte valeur marchande". Une fois la drogue coupée, son prix au gramme bat des records en Australie.
Il vivait caché aux Philippines
Un voyageur aux multiples identités. Des lignes téléphoniques qui changent régulièrement et qui ne sont jamais à son nom - "méthode très fréquemment employée par les trafiquants pour sécuriser autant que possible leur communications", précise le jugement. Et un "réseau de distribution", pour écouler une marchandise importée du Brésil "dans des quantités importantes", qui s’appuyait "sur des intermédiaires" dont il "n’hésitait pas à profiter des difficultés financières, conservant pour sa part les bénéfices importants issus de ces ventes, une partie du produit ayant vocation à être exportée vers l’Australie".
Las de mentir sur son passé, de ne plus voir ses proches en Métropole et sur le Caillou, le quadragénaire, qui vivait dernièrement aux Philippines où il a fondé une famille, a souhaité solder ses comptes avec la justice française en se rendant à la police aux frontières sous sa vraie identité. "J’étais fatigué de vivre comme ça. Je ne veux plus. C’est pire que la détention, c’est la prison à ciel ouvert. Et j’ai compris que ça n’allait jamais s’arrêter", se défend-il.
"Je dois affronter mes vieilles histoires"
Nous l’avons rencontré, et convaincu de raconter son histoire. L’ancien trafiquant a fait opposition du jugement de Marseille. Il sera donc rejugé. Son procès est prévu dans un mois. A ce jour, il bénéficie toujours de la présomption d’innocence. "Je dois maintenant affronter mes vieilles histoires. Je vais reconnaître ce que j’ai fait mais il faut être juste. Je ne fais partie d’aucune organisation criminelle."
Il assume un voyage du Brésil jusqu’à Marseille – "un seul", répète-t-il - avec plus de 600 grammes de cocaïne cachés "dans une batterie d’un panneau solaire. A cette époque, j’étais accro. Une vraie addiction. Je vivais au Brésil et il était simple de s’en procurer." Le quadragénaire assure "que beaucoup de Français ont fait comme moi. Ils se faisaient passer pour des touristes ou des vieux hippies pour ramener la drogue."
S’il a fui la France en 2008, c’est parce que, jure-t-il, "des gens dangereux de Marseille voulaient me mettre la main dessus pour que je travaille pour eux. J’ai pris peur et j’ai fui." Savait-il qu’il était recherché par la justice ? "Oui", admet-il. Son dernier point de chute : Danao City, à une heure d’avion de Manille, la capitale des Philippines. Il se dit aujourd’hui sevré de cocaïne. "Je ne toucherai plus jamais à ce business."
Le Calédonien "n’a pas le profil d’un dur à cuire qui était dans une logique de quitter la France à fond de cale pour des années de cavale. Il a simplement quitté un système et des menaces qui pesaient sur lui", décrit son avocat Me Pierre Ortet. A son arrivée à Tontouta, il a fallu démêler "un quiproquo procédural. Mon client a d’abord été placé en détention provisoire par un juge de Nouméa, avant d’être remis en liberté par un autre juge de Marseille, en visioconférence, quelques jours plus tard. La question de la compétence de la juridiction entre Nouméa et Marseille était posée. Elle a été tranchée par la cour d’appel de Nouméa qui a confirmé la remise en liberté."
De la "meth" aux Etats-Unis
Il est toujours difficile de se défaire de son passé. Le Calédonien en parle rarement mais en 2005, il a été expulsé des Etats-Unis. Il venait de purger une peine de trois ans d’emprisonnement dans une prison californienne après avoir été interpellé dans une voiture volée avec des pilules d’éphédrine, un composant nécessaire à la fabrication de la méthamphétamine. Il a, depuis, l’interdiction de remettre un pied sur le territoire américain.
Quatre ans plus tard, une nouvelle condamnation s’ajoute à son palmarès. Cette fois-ci, c’est le tribunal de Nouméa qui le condamne à un an de prison et une amende douanière d’un million de francs. Il avait été repéré, en 2006, avec des ecstasys à son arrivée sur le Caillou en provenance de l’Australie.
Le fugitif se dit aujourd’hui rangé du business de la drogue. "Si j’avais été un grand gangster, je serais dans ma belle villa quelque part dans le monde. Je veux simplement payer ma dette et vivre ici, en Nouvelle-Calédonie."
Son procès s’ouvrira le 23 juin, à Marseille. Il peut décider de s’y rendre, ou de se faire représenter par un avocat.