La décision du gouvernement de bloquer l'accès à TikTok en Nouvelle-Calédonie sera-t-elle confirmée ou annulée par le Conseil d'Etat ? Saisi par plusieurs associations dont la Ligue des droits de l'Homme, la plus haute juridiction administrative a décidé hier, mardi, de donner vingt-quatre heures au gouvernement national pour motiver cette interdiction.
Il lui est demandé d'apporter la preuve que le réseau social a contribué aux violences qui touchent la Nouvelle-Calédonie, comme le laisse entendre le gouvernement.
Des VPN basés à l'étranger
Mais quelle que soit la décision du Conseil d'Etat, dans les faits, de nombreux utilisateurs de TikTok sur le Caillou ont déjà retrouvé leur plateforme préférée. Dès son entrée en vigueur, mercredi 15 mai, la mesure d’interdiction décrétée par le gouvernement national a été contournée à l’aide de VPN, comme "virtual private network".
Ces "réseaux privés virtuels", facilement téléchargeables sur les téléphones, permettent de prendre une adresse IP (Internet protocol), basée dans un pays étranger, en Australie ou à Singapour par exemple, là où TikToK n’a pas été interdit.
Presque tous mes copains ont remis TikToK sur leur téléphone. J’étais l’une des dernières à ne pas l’avoir fait.
Une Calédonienne de 14 ans
Des "live" calédoniens publiés sur le réseau social chinois
Et pas besoin d’être un crack en informatique pour contourner l’interdiction. "Presque tous mes copains ont remis TikToK sur leur téléphone. J’étais l’une des dernières à ne pas l’avoir fait", témoigne une collégienne de 14 ans, qui préfère rester anonyme. "Ils m’ont donné quelques conseils. Et j’ai réussi assez facilement."
Preuve que cette interdiction décidée par Paris n’a pas fonctionné, des vidéos et des "live" tournés en Calédonie, pour évoquer les émeutes, continuent de circuler sur TikTok.
Pour que cette interdiction soit totalement efficace, il aurait fallu bloquer aussi les VPN.
Un cadre de l’OPT
Des VPN très utilisés pour le télétravail
L’OPT et les FAI (fournisseurs d’accès à Internet) qui ont bloqué la plateforme, à la demande de l’Etat, en ont bien conscience. "Pour que cette interdiction soit totalement efficace, il aurait fallu bloquer aussi les VPN. Le problème, c’est que ces réseaux privés virtuels sont très utilisés pour le télétravail", témoigne un cadre de l’OPT. Or, depuis le début des violences, la plupart des Calédoniens travaillent à domicile. Bloquer les VPN aurait donc paralysé un peu plus l’économie et les communications du pays.
Snapchat déjà visé après la mort de Nahel
Au cours des émeutes survenues dans l’Hexagone en 2023, après la mort de Nahel, le président Emmanuel Macron avait déjà pointé du doigt les réseaux sociaux. Pour mettre un terme à ces débordements, il avait ainsi évoqué une possible suspension provisoire du réseau social Snapchat, qui permet d’échanger des données de géolocalisation.
Cette fois, la mesure a été mise à exécution en Nouvelle-Calédonie, à 16 000 km de Paris, où l’état d’urgence a été décrété depuis le 15 mai. Mais elle concerne uniquement la plateforme TikTok, sur laquelle la fonction de géolocalisation n’est pourtant pas active. Une décision inédite que le gouvernement national justifie en raison de "conditions exceptionnelles".
Facebook deux fois plus populaire que TikTok
L’objectif annoncé par le Premier ministre Gabriel Attal était de calmer les violences qui secouent le Caillou depuis le 13 mai. Et ce, en empêchant les émeutiers et les militants indépendantistes de la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain) d’échanger des informations sur ce réseau social. Pourtant, Facebook est de loin la plateforme la plus populaire dans l’archipel. Presque neuf Calédoniens sur dix l’utilisent, contre la moitié pour TikTok, même si la plateforme chinoise reste très prisée des jeunes.
Le Conseil d'Etat saisi
Autres craintes exprimées par la France : les tentatives d’ingérence et de désinformation de l’Azerbaïdjan dans le dossier calédonien. Des faits démontrés, indique le rapport Viginum, mais uniquement sur Facebook et X. La plateforme TikTok, elle, ne semble pas concernée.
Plusieurs associations, dont la Ligue des droits de l’homme, ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour contester la légalité de cette décision gouvernementale, au regard des dispositions de l’état d’urgence. La plus haute juridiction administrative a finalement décidé mardi 21 mai à Paris de donner un délai de 24 heures au gouvernement pour motiver l'interdiction de TikTok en Nouvelle-Calédonie, et apporter des preuves du rôle supposément joué par le réseau social dans les violences qui touchent l'archipel depuis huit jours.