Le réveil a été rude, mardi matin. Mais l’impression de vivre un très mauvais rêve n’a fait que s’accentuer. À Nouméa et dans son pourtour du Grand Nouméa, la journée d'hier a ressemblé à une litanie de mauvaises nouvelles, tandis que les forces de l’ordre ou les pompiers ont continué à être sollicités sur tous les fronts.
1. Les séquelles
Mardi au petit matin, on entend encore des détonations à travers Nouméa. L'agglomération est jonchée de débris. Il y a eu de violents affrontements, à plusieurs endroits, entre les forces de l'ordre et des jeunes qui sont passés de manifestants à émeutiers. L'usine de chocolat Biscochoc, à Ducos, et l'usine Le Froid d'embouteillage, à Montravel, ont brûlé. Concessions automobiles, commerces, médiathèque, docks, pharmacie, habitations : les pompiers ont reçu au moins 1 500 appels, ils sont intervenus pour environ 200 feux. Des commerces ont été pillés.
Le reportage de Natacha Lassauce-Cognard, Luigi Wahmereungo-Palmieri, Thierry Chapuis et Gaël Detcheverry
2. L'économie blessée
"Ça a été une nuit d'une grande violence pour le monde économique", s'émeut mardi matin la présidente du Medef-NC. "On peut estimer que plus de mille emplois ont été détruits dans la nuit", selon Mimsy Daly. "Ce qui est consternant vu la situation économique de notre territoire." Entre 21h30 et 4 heures, le groupe Jeandot a par exemple perdu son espace de vente à Magenta et 120 véhicules. Pertes estimées, environ deux milliards de francs CFP.
Un reportage de Caroline Antic-Martin et Thierry Chapuis
3. Une conséquence dramatique
Sur plusieurs axes routiers, y compris des portions de voie express, la circulation est entravée, voire bloquée. Au Mont-Dore, dans la traversée de Saint-Louis, quatre escadrons de gendarmerie ont été déployés ainsi que l'ensemble des équipes du GIGN. Une coupure de route peut avoir des conséquences dramatiques. Dans la nuit de lundi à mardi, une femme de Boulouparis devait accoucher, mais le Samu n'a pas pu quitter Dumbéa. Une ambulance de La Foa l'a prise en charge et emmenée au dispensaire. Trop tard. Le bébé est mort in utero.
4. Une matinée très agitée
Mardi, les exactions continuent. Les quartiers Nord sont touchés, comme la zone industrielle de Normandie, où brûle l'entrepôt des fontaines d'eau du Mont-Dore. L'incendie de la société Le Froid représente un point sensible. En fin de matinée, un énorme panache de fumée noire émane de l'usine.
Une trentaine de jeunes se trouvent à l’intérieur, "ils ne se rendent pas compte du danger. Ils ont à leur proximité deux cuves d’hydrogènes qui risquent d’exploser", indique le haut-commissaire Louis Le Franc. Des affrontements ont lieu à Tuband, dans le Sud de la ville.
5. La parole des autorités
Le haussaire dresse un point de situation en fin de matinée. Il explique que les forces de l’ordre font face, à Nouméa, à au moins une centaine de jeunes, voire très jeunes, "hors de contrôle", avec une "violence extrême" et "l’emploi d’armes à feu". Il en appelle aux politiques indépendantistes et aux responsables coutumiers. À ses côtés, le commandant de la gendarmerie, le général Nicolas Matthéos déclare : "Ce n’est pas un mouvement spontané. Il y a une organisation, sans doute des donneurs d’ordres."
Sonia Backès évoque une "guérilla urbaine". Pour la présidente de l'assemblée provinciale Sud, "les actes qui ont été commis sont des actes de terrorisme". "On va arriver à une sorte de guerre civile", redoute Sonia Lagarde, la maire de Nouméa, qui appelle au calme.
Voyez aussi le reportage d'Erik Dufour et Christian Favennec
Pour faire face à cette situation extrêmement préoccupante, un couvre-feu est décrété sur Nouméa et le Grand Nouméa à partir de 18 heures, jusqu'à mercredi matin. Des renforts sont annoncés. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, signale l'arrivée imminente de quatre escadrons de gendarmerie. "Grâce au concours du ministre des Armées", un avion doit être affrété dans la nuit. Deux escadrons du GIGN sont par ailleurs arrivés de Polynésie française.
6. La position de la CCAT
Mardi midi, l’un des principaux membres de la CCAT réagit à la situation, sur Radio Djiido. Depuis plusieurs jours, la Cellule de coordination des actions de terrain faisait monter en puissance l’opposition au projet de dégeler le corps électoral. Mardi midi, Christian Tein appelle au calme les manifestants, notamment les très nombreux jeunes qui se sont déployés à Nouméa et dans le Grand Nouméa. Mais sans pour autant annoncer la fin d'une mobilisation qui a tourné aux émeutes et aux exactions. Il confirme au contraire l'attention portée à l'examen de la réforme constitutionnelle à l'Assemblée nationale.
7. Ça ne fait qu'empirer
Violences dans le quartier de Magenta, et elles dureront jusqu'à ce mercredi matin, emportant avec elles le mur d'escalade. Douze jours après son ouverture au public, la boutique des tenues communes de la province Sud est aussi la proie des flammes, comme les locaux de l'Adie. Ça ne s'arrange pas à Normandie, d'où émanent d'impressionnants panaches noirs. Le stock de médicaments du GPNC est détruit. À Rivière-Salée, le Super U brûle…
En fin de journée, la presqu'île nouméenne est ponctuée de colonnes de fumée. Les Calédoniens assistent médusés à cet embrasement. D’autant qu’en Brousse, la mobilisation à l’appel de la CCAT n’a pas cette tournure. Elle est maintenue, sans incident, à Koumac, Kaala Gomen, Poya, Poindimié…
8. Des quartiers barricadés
L'inquiétude et l'exaspération montent. En plusieurs endroits de Nouméa, de Tuband à Tina, les habitants se regroupent pour réagir. À l'entrée de Ouémo, un barrage filtrant est installé… par les résidents. L'objectif : ne laisser passer que les habitants. Au Faubourg-Blanchot aussi, les riverains s'organisent. "Tant qu’on est obligés de se défendre, avec les moyens qu’on a, et tant qu’on fait face à des gens qui ne respectent rien, nous, on fera ce qu’on a à faire", explique l'un d'eux.
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9. Les déclarations politiques
Face à des faits qui semblent ramener quarante ans en arrière, les personnalités politiques s'expriment l'une après l'autre.
- Pour le Premier ministre, "la violence n'est jamais justifiée, ni justifiable". À l'Assemblée nationale, Gabriel Attal appelle les parties prenantes à "saisir la main tendue" du dialogue et "à venir discuter à Paris".
- Gérald Darmanin condamne "de façon extrêmement forte" les violences en cours, qualifiées "d’émeutes commises par des délinquants, parfois des criminels". Il y a eu des "volontés de mettre le feu, de tirer à balles réelles" sur les gendarmes, ajoute-t-il.
- Depuis La Réunion, la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, souhaite que la situation, jugée "compliquée", soit "le plus apaisé possible".
- "Je demande qu’on se ressaisisse", assène le président du gouvernement calédonien, Louis Mapou.
- Le sénateur Georges Naturel "appelle les Calédoniens à l'apaisement des esprits, car seule la paix civile permettra un nouvel accord".
- "La Nouvelle-Calédonie est à feu, j’espère qu’elle ne sera pas à sang", lance Nicolas Metzdorf, député de la seconde circonscription et rapporteur du projet de loi.
- Philippe Dunoyer, qui représente la première circonscription, celle de Nouméa et l'agglo, se dit "très inquiet".
- Les deux présidents de groupes indépendantistes au Congrès déplorent les violences et appellent au dialogue. "Il ne faut pas fermer les yeux devant ce qui se passe", pour l'UC Pierre-Chanel Tutugoro. "On n'est pas satisfaits de ce qui s'est passé", pose Jean-Pierre Djaiwe. Leurs réactions ici. Et celle de Daniel Goa, le président de l’Union calédonienne : "Les pillages orchestrés cette nuit sont notre déshonneur et ne servent aucunement notre cause et notre combat, au pire ils le retardent".
- Le Sénat coutumier adresse un "appel solennel à la jeunesse du pays, ainsi qu’aux responsables politiques, pour œuvrer à la préservation de la paix sociale et à la recherche de solutions consensuelles".
- Quoi qu'il en soit, à Paris, la conférence des présidents de l'Assemblée nationale décide de maintenir le vote à l'ordre du jour, ce mercredi 15 mai pour la Calédonie.
10. La mutinerie
Malgré le couvre-feu, la nuit de mardi à mercredi apporte son lot de violence, à Nouméa et dans le Grand Nouméa. À l’entrée de Nouville, le Camp-Est subit une mutinerie, avec tentative d'évasion. Les forces de sécurité interviennent. Et si de nombreuses rues sont vides, les exactions, les pillages et les incendies essaiment encore. Destruction du magasin Decathlon, d'autres commerces ou encore d'une clinique vétérinaire… Mercredi matin, l'Etat dresse un bilan effarant : plus de 130 interpellations, des dizaines d'émeutiers placés en garde à vue, mais aussi une soixantaine de blessés parmi les forces de l'ordre.