Australie: au chevet de l'océan anémié

Le géochimiste marin Andrew Bowie à bord du RV Investigator, devant le système de récupération d'échantillon de pluie, en compagnie de la doctorante Morgane Perron.
1/3 des océans manquent de fer, ce qui limite la production de phytoplancton. Or ces micro-organismes végétaux marins nous fournissent la moitié de l’oxygène que nous respirons.  Des chercheurs australiens tentent de comprendre pourquoi les océans absorbent si peu de fer.

Nous respirons grâce au phytoplancton, formé de  micro-organismes végétaux marins, qui flottent dans les océans. En plus d’être le premier maillon de la chaîne alimentaire, ce phytoplancton constitue le poumon de notre planète. Il croît par photosynthèse, en pompant donc le CO2 de l’atmosphère une fois qu’il est dissous dans l’eau, et en rejettant de l’oxygène. 
Le plancton marin produit la moitié de l’oxygène que nous inspirons. Il influence donc le climat, et c’est pourquoi il fait l’objet de toutes les attentions des scientifiques depuis que les hommes ont pris conscience de la crise climatique. Pour croître, le phytoplancton a besoin d'une température idione, de lumière, et de divers nutriments. Or un tiers des océans sont anémiques, ce qui limite la production des micro-organismes végétaux marins. C’est un paradoxe, car les continents, eux, regorgent de fer.

Océan Antarctique: quelques oasis de phytoplancton dans un désert océanique

« Le fer est seulement l’un des oligo-éléments nécessaires à la croissance des plantes marines. Elles ont aussi besoin de nitrate, de phosphate, de silicium, etc., des nutriments qu’on trouve en abondance dans une grande partie des océans, précise Andrew Bowie, géochimiste marin et professeur associé à l’Université de Tasmanie, qui a mené  plusieurs expéditions dans l’océan Antarctique. Logiquement donc, on devrait donc avoir des floraisons de phytoplancton matérialisées par des zones rouges ou vertes sur les images satellite, mais en fait il n’y a quasiment que du bleu sur les images satellites de l’océan Antarctique, ce qui veut dire que ce sont des déserts océaniques (sans phytoplancton). Pourquoi cela? Parce qu’il y a des nutriments, mais très peu de fer. Dans l’océan Antarctique, on trouve seulement quelques oasis de vie, où il y a du fer et donc où le phytoplancton fleurit. » 

Alors comment expliquer la présence d’oasis de fer dans l’océan Antarctique? Début janvier 2016, l’équipe d’Andrew Bowie a étudié la composition de l’eau autour des îles Heard et Mc Donald, et constaté qu’elles étaient riches en fer. Leur hypothèse est que ce fer provient des émissions du volcan de l’île de Heard, et de plusieurs volcans sous-marins, ainsi que des glaciers qui fondent dans l’océan, qui sont couverts de lave, un fluide qui contient beaucoup de fer. Résultat: le phytoplancton prospère dans cette zone. 

Le paradoxe: le fer est abondant sur les continents, mais les océans n’arrivent pas à l’absorber 

Au début des années 90, plusieurs scientifiques ont formé le rêve de déverser du fer dans les océans pour augmenter leur production de phytoplancton, et donc leur capacité à absorber le CO2 et à produire de l’O2. Un rêve qui semblait d’autant plus réalisable, que les océans ont besoin de très peu de fer pour devenir plus productifs.
« La quantité de fer dans l’océan correspond à peu près à la proportion d’une tête d’aiguille dans 200 000 piscines olympiques. Il est donc extrêmement dilué. Ceci dit, si on arrivait à une concentration de 3 têtes d’aiguilles dans le même volume d’eau, l’océan aurait suffisamment de fer », souligne Andrew Bowie. Mais faire absorber plus de fer aux océans est une mission ardue, souligne le chercheur.

« Le problème, c’est qu’une petite quantité seulement du fer des déserts est transportée dans l'atmosphère jusque dans les océans. Ou alors, le fer n’est pas transporté dans les zones des océans qui en ont le plus besoin. Ou encore, le fer n’arrive pas sous une forme que les plantes marines peuvent absorber. Elles ont besoin de fer soluble et biodisponible, ce qui n’est pas nécessairement le cas du fer contenu dans les poussières des déserts (de l’Outback) australiens, par exemple. » 

Capter des échantillons atmosphériques, un exercice délicat

Fin août, Andrew Bowie a mené une expedition à bord du RV Investigator, le navire scientifique du CSIRO (centre de recherches australien), depuis Hobart, la capitale tasmanienne, jusqu’à Sydney. Ann Jones, d’ABC Radio National, était à bord de ce bateau de 94 m long.
« L’un des principaux objectifs de cette expédition est d’établir des outils pour récupérer des échantillons de dépôts atmosphériques venus du continent. Ces dépôts peuvent peuvent être sous forme sèche – par ex.: de la poussière, des émissions des feux dans le bush, les émissions anthropogéniques des industries, ou même les émissions des bateaux; ou sous forme humide – de la pluie. »

Collecter ces échantillons : un défi
Collecter ces échantillons est un défi pour les scientifiques car l’air et la pluie recueillis peuvent être facilement contaminés par d’autres particules – émises par le bateau par exemple, ou la peau des chercheurs, qui contient du fer, donc ils travaillent en combinaison stérile dans le laboratoire du navire.
« Nous avons de nouveaux équipements à bord, en particulier un système perché à 10 mètres sur un mât, qui nous permet de capter des dépôts d’aérosols minéraux au-dessus de l’océan, à la proue du bateau. » 

Analyser le fer océanique pour connaître l’évolution du climat 

Outre le fer, les chercheurs traquent  la présence d'éléments comme le cuivre, le cobalt, le nickel, ou encore le manganèse, dans ces échantillons atmosphériques qui entrent dans les océans.
« Cela nous permet de mieux comprendre les facteurs qui changent la croissance des plantes marines dans l’océan Antarctique et si par exemple, à l’avenir il y a plus de croissance biologique, ça nous aidera à savoir si l’océan pompe plus de CO2 de l’atmosphère et ce sera un meilleur indicateur sur l’évolution du climat. »
Ces 12 prochains mois, l’équipe d’Andrew Bowie mènera d’autres expéditions à bord du RV Investigator, autour de l’Australie, pour analyser les transferts d’oligo-éléments entre le continent australien et l’océan qui l’entoure. Ces recherches permettront d'établir avec plus de précision le rôle des océans dans la santé du climat.