Trop tôt pour des négociations et donc un accord. Mais ces quatre jours de discussions - du mercredi 26 février au samedi 1er mars - auront permis à toutes les formations politiques d'exposer leurs attentes concernant l'avenir institutionnel de la Calédonie au ministre des Outre-mer, Manuel Valls. Celles-ci ont été consignées dans un document de synthèse de onze pages, remis aux délégations. Il peut être lu ci-dessous ou ici.
Si l'État insiste sur son rôle en matière de "protection de tous" et d'accompagnement du "redressement économique du territoire et financier des collectivités publiques", il est temps, désormais, de "bâtir un compromis politique", présente d'emblée la synthèse.
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"Dialogue" et "responsabilité"
"Renouer les fils du dialogue" c'est la mission du gouvernement Bayrou confiée à Manuel Valls, qui a apporté dans ses bagages, le 22 février, une méthode visant à "créer les conditions du dialogue", autour de trois axes.
- le lien avec la France et l'autodétermination ;
- la citoyenneté calédonienne et le corps électoral ;
- la gouvernance et les institutions calédoniennes.
Les rencontres bilatérales avec l'État avaient officiellement commencé le 4 février, à Bercy. C'est sur le Caillou, toutefois, que le ministre des Outre-mer est parvenu à réunir tous les groupes politiques autour de la table. Un premier défi relevé qui n'aura pas encore donné lieu à des négociations, l'objectif n'étant pas de "précipiter les choses" mais bien de parvenir à un accord. Une ébauche pourrait se dessiner lors de son prochain déplacement, autour du 22 mars, a-t-on appris, le samedi 1er mars.
"Enjeux capitaux"
"Chacun a pu faire valoir ses principes, ses aspirations, ses convictions, avec force mais dans la reconnaissance de l’autre, sans exclusive", note le document de synthèse transmis à la presse avant le départ du ministre. La reprise des trilatérales permettant un retour des échanges autour "des enjeux capitaux pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie".
"Ce sont les orientations présentées par le gouvernement central. Nous rappelons les principes : le lien avec la France, l'autodétermination, le processus de décolonisation, le respect de la démocratie, du droit, du droit de propriété, une Calédonie unie et indivisible", a détaillé Manuel Valls au journal télévisé du samedi 1er mars.
1 Autodétermination
Le gouvernement central évoque les modalités d'exercice du droit à l'autodétermination, un droit "reconnu par chacun comme inaléniable". Pour l'État, une nouvelle voie semble sur la table. Puisque les référendums de 2018 à 2021 ont entraîné trois résultats en faveur du non à la pleine souveraineté de la Calédonie, mais que le dernier résultat reste contesté notamment par les indépendantistes. "Les risques du référendum couperet ont été identifiés, nourrissant une discussion sur l'idée d'un référendum de projet".
2 Lien avec la France
C'est le premier axe qu'a souhaité développer le ministre des Outre-mer. Ce lien demeurerait inscrit dans la Constitution française qui ferait l'objet d'un ajout inédit : la "Loi fondamentale".
Celle-ci "pourrait constituer une étape nouvelle dans la capacité d’auto-organisation de la Nouvelle-Calédonie en consacrant la compétence de la compétence."
Il s'agirait, concrètement, d'ouvrir une période transitoire qui reste "à déterminer" durant laquelle trois hypothèses sont formulées. Soit le transfert des compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie, "sans nouvelle consultation" ou avec une "consultation d'autodétermination". Soit un "statut de large autonomie décidé en 2025 sans préjudice de l'exercice du droit inaléniable à l'autodétermination". Une quatrième hypothèse, cette fois "sans période prédéterminée", évoque l'organisation d'une consultation d'autodétermination "avec une procédure de déclenchement impliquant une majorité qualifiée au Congrès".
De même, la question des compétences en matière de relations internationales a été examinée. Le ministre des Outre-mer a rappelé "la détermination de l’État à lutter contre toutes formes d’ingérence visant à déstabiliser la Nouvelle-Calédonie et à s’attaquer aux intérêts stratégiques de la France".
3 Citoyenneté calédonienne et corps électoral
Sur la base de l'accord de Nouméa, le document rappelle l'objectif de fonder une citoyenneté calédonienne basée sur les principes "de décolonisation, de reconnaissance de l'identité kanak et de l'apport des populations arrivées au fil du temps".
Dans cette continuité, les Calédoniens pourraient être amenés à voter une "Loi fondamentale" qui comprendrait notamment une charte des valeurs calédoniennes et un code de la citoyenneté.
Les contours d'un élargissement du corps électoral semblent d'ailleurs s'éclaircir. Non seulement, "un premier jalon a été posé concernant l’ouverture de la citoyenneté aux natifs inscrits sur le tableau annexe de 1998 à 2010, soit 12 441 personnes." Mais encore, un consensus se dessine sur des conditions d'inscription aux listes spéciales :
- la durée de résidence ;
- l'engagement citoyen ;
- les conjoints de citoyens calédoniens (avec une durée à déterminer) ;
- les personnes présentes depuis plus de dix ans et qui sont parents d’enfants nés en Nouvelle-Calédonie ;
- les personnes présentes depuis plus de dix ans et moins de quinze ans en Nouvelle-Calédonie, et qui justifient de 10 points « citoyens » ;
- ainsi que la fusion des corps électoraux spéciaux pour les élections provinciales et pour les consultations d’autodétermination.
4 Gouvernance et institutions
Le deuxième axe de la méthode Valls, la gouvernance, a fait naître des hypothèses allant du statu quo à la refonte des institutions. Sénat coutumier, communes, gouvernement, Congrès et provinces, toutes ont été décortiquées.
La répartition des sièges au Congrès pourrait ainsi demeurer inchangée ou se voir rééquilibrée selon la proportion de la population des provinces. À titre d'exemple, une hypothèse propose de passer de 54 sièges à 35, avec un nombre de sièges moins importants pour la province des îles Loyauté (5 élus) et du Nord (10 élus) et plus important pour la province Sud (20 élus).
Le Congrès pourrait également se muer en "Parlement de la Nouvelle-Calédonie", conformément aux travaux de la Commission internationale d’experts indépendants, présidée par Enrico Letta, rendus le 25 août 2023. Tous ces possibles changements relatifs au Congrès auraient des conséquences sur la composition du gouvernement.
Les provinces, jugées par l'État "comme échelon essentiel de proximité et d'efficacité de l'action publique", pourraient voir leurs pouvoirs étendus notamment en matière de fiscalité. Une des hypothèses avancées serait de modifier la clé de répartition des dotations selon les réalités démographiques des provinces.
Pour les communes, qui jouent un rôle de "service de la démocratie locale, de l'enracinement du vivre-ensemble en particulier pour la jeunesse", leurs moyens financiers seraient consolidés, avec la compétence en matière d'urbanisme.
Enfin, parmi les propositions notables concernant le sénat coutumier, a été abordée "la création d'une institution issue de la fusion du Cese" et de l'instance coutumière portant un regard sur des projets de texte. Plus loin encore, le sénat coutumier deviendrait la deuxième chambre parlementaire avec le Congrès, ou plus radical, la suppression de l'institution au profit des aires coutumières qui récupéreraient les missions.
Message d'espoir
Maintenant que les principaux thèmes sur l'avenir institutionnel sont sur la table, les prochaines semaines s'annoncent décisives.
D'autres travaux restent en suspens, notamment les questions relatives à l'économie, à la fiscalité, au social, au nickel, au contrat social calédonien et au "chemin du pardon souhaité par le président de la République en 2023".
Avancer pas à pas, un credo que poursuivra Manuel Valls lors des prochaines discussions. "La Nouvelle-Calédonie et ses habitants ont encore les ressources pour retrouver cette singularité qui a tant marqué les esprits depuis 1988 : la capacité de construire un destin commun, malgré les épreuves et les différences et sans doute aussi grâce à elles." Un message d'espoir porté en conclusion de la synthèse.