Des travailleurs du Nickel aux touristes de l'île des Pins et d'Ouvéa, la présence japonaise en Nouvelle-Calédonie a toujours été le reflet des liens qui unissent les deux territoires. Liens parfois compliqués, notamment durant la Seconde guerre mondiale, mais toujours forts.
1Les travailleurs japonais sur les mines de nickel
L’histoire avec le Japon commence très tôt après l’arrivée des Européens en Nouvelle-Calédonie. En 1891, une demande de la Société Le Nickel est faite auprès des autorités nippones pour l’embauche d’un contingent de travailleurs libres. Après avoir quelque peu enjolivé la réalité, et vendu le travail dans les mines comme ni pénible, ni dangereux, en raison de l’exploitation à ciel ouvert. Il est aussi précisé que les travailleurs venus du Japon auraient les mêmes droits que les colons libres français, ce qui n’était pas le cas des travailleurs venus d’Asie. Ainsi, le 6 janvier 1892, 599 japonais débarquent à Thio.
Embauchés pour une durée de cinq ans, ils ont surtout comme objectif de se faire de l’argent en Nouvelle-Calédonie pour l’achat d’un lopin de terre de retour chez eux. Mais l’expérience ne satisfait personne. Les Japonais dénoncent les conditions de travail et la SLN se trouve face à des travailleurs pugnaces. Ils retournent tous chez eux et il faudra attendre 1900 pour un retour de main-d’œuvre nippone. On retrouve des traces de ce passé notamment à Thio, avec le cimetière japonais. Certains font souche et se mélangent aux familles du pays, que ce soit avec des femmes kanak ou des descendantes d'Européens. Leur destin sera bouleversé par la Seconde guerre mondiale.
2Les familles japonaises déchirées par la guerre
Le destin du Pacifique bascule le 8 décembre 1942. Dans sa volonté d'expansion, l'armée japonaise attaque la base américaine de Pearl Harbor, à Hawaï. Alors que la région entre en guerre, la Nouvelle-Calédonie, qui a choisi la France libre, prend des mesures drastiques contre les ressortissants japonais. Le Pays du soleil levant est considéré comme une "nation ennemie". Tous les hommes nés au Japon sont arrêtés et transférés à l'île Nou. Au total, 1124 Japonais sont arrêtés et transférés, avec des ressortissants allemands et italiens, vers des camps d'internement en Australie.
Pour les enfants de l'époque, nés en Nouvelle-Calédonie de père nippon, le traumatisme est grand. D'autant qu'à la fin de la guerre en septembre 1945, les Japonais de Nouvelle-Calédonie sont renvoyés à Tokyo, loin de leur famille. Sur place, en Calédonie, de nombreuses femmes témoignent d'un racisme ambiant, tandis que les biens familiaux et les terres agricoles sont réquisitionnés. Le musée de la Seconde guerre mondiale, à Nouméa, a recensé tous les déportés japonais à partir de la Nouvelle-Calédonie. Un travail de mémoire présenté lors de l'inauguration en 2013, après une longue période de silence sur le sujet.
3Un empereur amoureux des cagous
C'était en mai 1973. Le tarmac de La Tontouta accueille un invité hors du commun. Il s'agit d’Akihito, fils de l'empereur du Japon, lui-même souverain lors de l'ère Heisei entre 1989 et 2019. Le prince héritier, accompagné de sa femme, ne sera resté que quelques heures en Nouvelle-Calédonie, le temps d'une visite au sana du col de la Pirogue. À l'époque, les Nouvelles calédoniennes relatent cette flânerie : "Le couple princier s'est longuement attardé dans les allées du sanatorium (...), faisant montre d'une curiosité insatiable à l'égard des arbres, des plantes et des animaux (...). Le Prince s'intéresse particulièrement au cagou, demandant s'il est possible d'obtenir sa reproduction en captivité."
Hasard du calendrier, c'est en 1989, année d'intronisation d'Akihito qu'un partenariat est noué entre la Nouvelle-Calédonie et le zoo de Yokohama, ville de la banlieue de Tokyo. Depuis, des cagous sont régulièrement envoyés sur place, la dernière fois en février 2022. Sur son site internet, le zoo de Yokohama se vante d'avoir les seuls cagous visibles au Japon.
4Ouvéa, l'île la plus proche du paradis
L'œuvre explique en grande partie l'attrait de la Nouvelle-Calédonie pour les touristes japonais. D’abord sous forme d’un livre écrit par Katsura Morimura en 1966, L’île la plus proche du paradis raconte les pérégrinations d’une Japonaise entre Nouméa et Ouvéa. L’ouvrage est un succès et le public se passionne pour ce territoire du Pacifique Sud. Deuxième vague de "Caledomania" en 1984, date de la sortie de l’adaptation du livre au cinéma. Adaptation très libre réalisée par Nobuhiko Ōbayashi. Un récit de voyage initiatique, limite onirique, d’une adolescente à la recherche de son paradis.
Le film est un grand succès au Japon et certains parlent d’un phénomène du même ordre que La Boum pour les jeunes Français. Tourné au pays avec des acteurs locaux, le film restera inédit dans le monde francophone pendant 38 ans. L’erreur est réparée depuis jeudi 7 juillet avec une projection au cinéma de Dumbéa. Dans le public, certains acteurs de 1984 qui se voyaient pour la première fois. Aujourd’hui encore, l’aura de L’île la plus proche du paradis reste importante au Pays du soleil levant. Elle aura forgé l’image de la Calédonie auprès des touristes japonais.
5Trois jumelages entre Calédonie et Japon
Liens très forts entre les deux pays, des jumelages existent entre trois communes du Caillou et des cités nippones. Le plus connu, c’est le partenariat entre La Foa et Tsuruoka, ville de la préfecture de Yamagata dans l’Ouest de l’archipel. Un peu moins su, le jumelage entre l’île des Pins et Matsushima. Lien datant de 1980. Un joli clin d’œil puisque cette ville au nord de Sendai est également appelée l’île aux pins à cause de certains de ses paysages. Il n’y a plus vraiment eu d’échange depuis la crise sanitaire, mais certains habitants avaient fait le voyage pour visiter cette ville jumelle de 14 000 habitants.
Enfin, Lifou était auparavant lié, dès 1980, à une commune du nom de Rifu. Soit la prononciation de Lifou en japonais. Mais les liens ne sont désormais plus d’actualité, explique-t-on à la mairie de Drehu.
Sources : L’immigration japonaise en Nouvelle-Calédonie : une illustration de l’affirmation du Japon dans le Pacifique (Yann Bencivengo, 2012), Le retour des ancêtres japonais. Les recherches identitaires de descendants d’émigrants japonais en Nouvelle-Calédonie (Claude Grin, 2018), les Nouvelles-Calédoniennes (23 mai 1973)