"On ne peut pas admettre qu'on détruise un pays comme ça quoi, on ne peut pas admettre qu'on détruise la jeunesse." Avec un local et un bureau partis en fumée le 15 septembre à Koutio, Frédéric Hervouët n’a pas caché son amertume. Pour le président du club de rugby de l’URC Dumbéa, l’un des plus importants de Nouvelle-Calédonie, l’incendie d’une partie des infrastructures du stade Rocky-Vaitanaki est un coup porté directement à la jeunesse du pays. "Ce n’est pas en mettant le feu aux outils des enfants qu'on va régler quoi que ce soit, regrette-t-il. Ils ont été marqués par les événements, depuis le mois de mai. Certains de nos jeunes ont même souffert de la faim. Et maintenant, on s’attaque à leur club de sport. Comment peut-on faire ça ? C’est incompréhensible."
L’escalade veut reconstruire
Autre symbole du coup porté au sport lors des émeutes, le mur d’escalade de Magenta, à Nouméa, a été totalement détruit le 15 mai. Avec 100 000 entrées enregistrées par an, ce sont également 350 jeunes qui y pratiquaient leur sport. Du côté de la ligue, le parti pris est la reconstruction immédiate, dans un autre quartier. "Nous n'avons pas le choix, pose Philippe Boquet, président de la ligue d’escalade. Il faut très vite réagir, parce que sinon, c'est la fin, et la mort de la discipline en Nouvelle-Calédonie."
La ligue est en discussion avec la mairie de Nouméa pour un nouveau terrain, en vue d'un équipement plus moderne. Le financement, lui, viendra de Paris, avec une enveloppe de 5 millions d'euros espérée de l’Agence nationale du sport. Parce qu’aujourd’hui, il est difficile d'espérer trouver des fonds localement.
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Pas de subvention publique
Un mur détruit, des installations brûlées. La face visible d’un mal très profond qui s’annonce. À la maison des sports à Nouméa, siège du Comité territorial olympique et sportif de Nouvelle-Calédonie, cœur du monde du sport dans le pays, le temps n’est pas à l’optimisme. Il va y avoir moins d’argent pour le sport et Michel Quintin, directeur du CTOS, s'inquiète. "Qui dit moins de budget, dit moins d'activités, moins de projets, moins de créneaux sportifs, moins de compétitions sportives, moins de déplacements, donc moins de motivation pour certains sportifs."
Une vingtaine de ligues ont perdu toutes leurs subventions.
Michel Quintin, directeur du CTOS
Les coupes budgétaires sont colossales. Après le vote du budget supplémentaire, la somme globale des subventions aux ligues est passée de 113 millions de francs prévus pour l'année 2024 à 55 millions. Soit une division par deux. "Une vingtaine de ligues ont même perdu toutes leurs subventions", précise Michel Quintin.
Au cabinet de Mickaël Forrest, membre du gouvernement, en charge entre autres, de la jeunesse et des sports, on a conscience de ce tarissement des subventions. L’élu est fataliste. "Comme tous les secteurs, le sport est touché par les problèmes de financement", reconnaît Mickaël Forrest. Il espère néanmoins sanctuariser certaines dépenses et assure que "le sport aura une place dans le plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction" mis en place par le gouvernement, qui sera finalisé les 10 et 11 octobre. Au CTOS, on reste prudent. "On ne sait vraiment pas à quoi vont ressembler les finances pour 2025", se questionne Michel Quintin.
Disparition de dispositifs
Pierre Wajoka est l’entraîneur des seniors et de certaines équipes jeunes du club de football de l’AS Magenta, au pied des tours de ce quartier de Nouméa. "Le début d’année prochaine va être décisif, commente-t-il. C’est la période où chacun renouvelle sa licence ou en prend une nouvelle. On verra alors l’ampleur des dégâts."
Il ne se monter pas vraiment optimiste. La raison ? Le risque de voir disparaître certaines aides dédiées à la jeunesse. "À Magenta, beaucoup payent leur licence avec le dispositif de la province Sud 'Clic&mouv'" une aide de 15 000 francs pour des frais liés à des activités sportives, culturelles et artistiques, NDLR). Tout le monde était gagnant. Les familles ne faisaient pas un trou dans leur portefeuille et nous, on avait un financement régulier." Le dispositif a été suspendu pour l’instant, faute de budget; et il n’y a aucune certitude quant à l’avenir.
Une volonté d'aller aux Mini-jeux
Certaines dépenses ont malgré tout été sauvegardées, à l’image des financements des groupements d’entreprises Nord et Sud, qui fédèrent les éducateurs sportifs de la Grande Terre. Autre promesse, celle d’envoyer une délégation aux Mini-jeux du Pacifique qui se dérouleront en juin prochain, à Palau. "On est champion du Pacifique en titre, rappelle Mickaël Forrest. On fait tout pour que, dans le plan de sauvegarde, on puisse aussi avoir des possibilités de se déplacer l'an prochain." Le déplacement devrait malgré tout être réduit au maximum. Une délégation au maximum d’une centaine de personnes, athlètes et encadrants, contre le double à Saipan, lors des Minijeux de 2021.
Un fond dédié au sport ?
L’argent public se réduit donc comme peau de chagrin. Et les solutions venant du privé ne semblent pas plus pertinentes. "Je ne me sens pas, dans le contexte de crise actuelle, d’aller voir des entreprises pour demander un soutien", explique Philippe Boquet, le patron de l’escalade calédonienne. Point de vue partagé à la maison des sports. "On n’est même pas allés revoir certains de nos partenaires alors que la convention annuelle qui nous lie prend fin, avoue Michel Quintin. Qu’est-ce qu’on peut leur demander dans un tel contexte ?" Le CTOS a pu renouveler certaines conventions avant les émeutes et la crise qui a suivi, mais a été largement touché. Deux postes ont dû être supprimés.
Je ne me sens pas, dans le contexte de crise actuelle, d’aller voir des entreprises pour demander un soutien.
Philippe Boquet, président de la ligue d'escalade
Parmi les solutions envisagées pour pérenniser les finances du sport, un projet est dans les cartons. C’est celui de la création d’un fonds dédié. "Il est prêt, explique Michel Quintin. On a travaillé dessus avec un financement qui viendrait de la taxe sucre." L’objectif espéré serait d’éviter les fluctuations budgétaires et ainsi protéger au mieux la pratique sportive, des jeunes dans les écoles aux Cagous des Jeux du Pacique. Mais le texte n’est plus à l’ordre du jour. "Le projet est gelé, regrette Mickaël Forrest. Le contexte de crise ne nous permet pas de mener le projet à son terme en ce moment", tranche l’élu.