TÉMOIGNAGES. "On n'a plus de cachets, mais il ne faut pas que les musiciens se vendent pour rien" : avec la crise, une fête de la musique amère pour les artistes calédoniens

Avec la crise que traverse la Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs semaines, en ce 21 juin, les Calédoniens ont bien d'autres préoccupations que la fête de la musique. Pourtant quelques événements sont programmés ce vendredi. De rares concerts qui s'adaptent aux circonstances et au couvre-feu en cours. Comment les musiciens calédoniens vivent-ils cette période, si difficile pour la culture ? Témoignages.

Les annonces sont encore timides, mais elles commencent à apparaître sur les réseaux sociaux. Des concerts, dans des quartiers sécurisés de Nouméa le plus souvent, qui doivent se faufiler entre les horaires de bureau et le couvre-feu encore en place à 20 heures.

Ça sera le cas à l'Art Factory ce vendredi. Sur scène, un duo de musiciens jazz, au saxophone, Morgan Chapuis, et au piano Nicolas Arias. "On essaye de relancer nos animations depuis quelques jours, explique Delphine en charge des événements de la structure. Le week-end dernier, on a proposé un concert électro pendant l'après-midi. Un créneau où les gens sont plus disponibles"

Ce vendredi 21 juin, pour la fête de la musique, le rendez-vous est donné entre 17h et 19h. "C'est très compliqué car il faut des artistes qui sont disponibles sur ces créneaux."

Se changer les idées l'espace de quelques heures

Autre événement, ce vendredi, toujours au centre-ville de Nouméa, un concert de la fanfare Malawi, au Village. Là aussi l'horaire est inhabituel, le début des festivités sera lancé à partir de 16h30. "En ces temps troublés, il est parfois nécessaire de se changer les idées afin d'oublier, l'espace de quelques heures, les difficultés du quotidien", détaille la page de l'événement.

À cause du couvre-feu, les fanfarons ne peuvent plus tenir leur répétition hebdomadaire, qui a lieu en soirée en temps normal. Alors certains se sont déjà réunis ponctuellement, quand ils le pouvaient, sur la place des Cocotiers par exemple ou à l'Anse-Vata, "pour répéter et se retrouver", précise Coco, le président de l'association. "Ça reprend doucement, en fonction des gens disponibles. Mais petit à petit, on est de plus en plus nombreux."

Quitter le territoire

Florent Moro et son groupe joueront dans un bar de Nouméa ce vendredi soir, une représentation qu'il présente comme "probablement le seul concert avant un moment" sur sa page Facebook. 

C'est mon métier, mon gagne-pain. J'en vivais bien, mais aujourd'hui les restaurants serrent les budgets.

Florent Moro

Avant la crise, il assurait en moyenne une quinzaine de concerts par mois, il est tombé à deux. Ses contrats réguliers dans un hôtel ne sont pas maintenus non plus. "Il va falloir que je trouve une solution." Il envisage de revenir à sa formation de base, voire même à quitter le territoire. "On n'a plus de cachets, mais il ne faut pas que les musiciens se vendent pour rien. Je pense aussi aux entreprises qui assurent la technique et la sonorisation des concerts et des spectacles. Elles n'ont plus rien non plus."

Des concerts au chapeau

Pour les structures qui accueillent des artistes, la difficulté est bien là. Comment rémunérer les musiciens dans le contexte actuel ? "C'est très compliqué, confirme Delphine de l'Art Factory. On propose aux artistes des rémunérations au chapeau, quand c'est possible. L'entrée est libre et le public donne ce qu'il peut."

Jouer dans son quartier

Pas de concert pour Jérome Vilette et son trio Triptyk cette année pour cette fête de la musique. Le musicien chapeaute également le Mega Orkestra du Conservatoire. "On devait jouer au Château Hagen le 28 juin pour la fête de la musique, mais ça a été annulé. On ne sait pas trop où on va, comme tout le monde."

Pour lui aussi, il est très difficile de répéter dans ce contexte, pourtant quelques notes de musique sont toujours les bienvenues en ces périodes troublées. "Comme ce n'est pas toujours simple de se déplacer, et puis il y a des musiciens qui ont peur d'aller dans certains secteurs. Dans ce cas, pourquoi ne pas jouer dans son propre quartier, ça pourrait être intéressant."

C'est ce qu'a fait le groupe INU la semaine dernière, pour la reprise du marché de Rivière-Salée, un quartier qui a vu partir en fumée la salle de concert du Mouv' au plus fort de la crise.

Au conservatoire aussi

Le conservatoire de musique et de danse avait prévu un événement à Bourail, avec son antenne décentralisée pour la fête de la musique, il a bien évidemment été annulé. "On a déjà dû reporter notre spectacle international autour des fables de La Fontaine à l'année prochaine, mais on espère maintenir le plus possible notre saison", raconte la directrice de la structure, Pascale Doniguian.

Les élèves du Conservatoire, ceux qui le peuvent, ont repris les cours. Mais la structure est ouverte jusqu'à 15 heures seulement, les enseignants doivent donc s'adapter au mieux. "On est en train de faire un premier bilan avec les professeurs, pour avoir une idée du nombre d'élèves qui arrivent à suivre leur cours. On aimerait pouvoir faire mieux."

La directrice redoute aussi les conséquences de cette crise pour certains élèves. "Il risque d'y avoir des abandons malheureusement." Des abandons pour cause de départ, ou de problèmes financiers rencontrés par des familles.