Comme de nombreux métisses du pays tiraillés entre différentes cultures, Fany Edwin a eu du mal à comprendre et à trouver sa place dans la société calédonienne. Pour en finir avec "cet entre-deux", l’artiste plasticienne de 39 ans s’est entièrement consacrée à cette quête identitaire. Née d’une maman de Poindimié et Ponérihouen et d’un papa vanuatais, originaire des îles Banks, Fany Edwin a vécu une enfance "modeste" et "heureuse" au Mont-Mou, baignée dans ces cultures "distinctes, mais pas si éloignées".
"Mais quand on vit dans un endroit, on se dit oui, je suis d'ici et ça nous va, on croit connaître notre environnement alors que c'est plus complexe." Fany Edwin choisit alors de s'exprimer à travers l'art, sa fibre artistique venant de son père, un homme réservé qui ne sait ni lire, ni écrire, mais qui possède le don de la création. "Il a cette faculté à rendre des choses sublimes de ses mains. Je me souviens qu’il récupérait de vieux objets qu’il retravaillait et qui atterrissaient dans le salon. C’était magique."
"Il y a des regards qui font mal"
Une admiration qui ne tarde pas à susciter une vocation. Fany Edwin se lance alors dans des études d’art qui la mènent à Paris. C’est là que cette question de l’identité se formalise dans son travail, au point de rapidement devenir omniprésente. "Avec ce départ en Métropole, inconsciemment, j’ai commencé à faire des choses, comme des marches dans Paris et des moulages d'empreintes de pas, qui ont posé cette problématique", se souvient l’artiste, alors frustrée de ne pas mieux parler sa langue maternelle. "À la maison, on entendait parler bichlamar, merlav et paîci, sauf que mes parents nous parlaient plus en français, qui était la langue de la réussite. Ne pas maîtriser sa propre langue peut déclencher une volonté d’appartenance, une quête d’origines. D’autant plus qu’ici, quand on ne sait pas parler sa langue, ce n’est pas forcément bien vu. Il y a des regards qui peuvent faire mal."
Fany Edwin entame ainsi un long chemin artistique et personnel pour mieux connaître et appréhender sa double culture. Un chemin qui la pousse à mener à bien un doctorat sur cette question de l’identité métisse. "Quand on est de deux cultures, on n’est pas bien positionnés. Pour la personne qui se pose la question à un moment donné de sa vie, ce n’est pas facile. C’est un questionnement très complexe. Je me suis donc servie de cette thèse pour approfondir ce sujet. Cela a complètement mûri pendant des années et j’ai intégré ma famille dans cette aventure car, à mon sens, on ne peut parler de son identité, sans parler de sa famille."
De retour au pays en 2012, où elle poursuit son doctorat à distance, la jeune femme décide de retracer son arbre généalogique. Ce travail la conduit jusqu’aux îles Banks, archipel isolé du Nord du Vanuatu, en 2016. Un périple qu’elle vit avec son "noyau familial", dont son papa, qui n’était pas revenu sur sa terre natale depuis son départ pour le Caillou, à l’âge de 14 ans. "Là-bas, c’était une tout autre façon de vivre. Et nous étions très attendus. Ça a été un voyage très fort, j'ai aussi créé des œuvres là-bas, pour donner encore plus de sens."
Questionner la place de la femme dans la société mélanésienne
Autant de recherches et d’expériences qui lui permettent d’achever sa thèse en 2018, qu'elle intitulera finalement : "métisse, une singularité artistique plurielle". Cette réflexion se retrouve toujours au cœur de son travail, qu’elle expose actuellement au centre culturel Tjibaou, dans l’exposition Mue faire corps. Autre lieu d'exposition ces dernières années : Port-Vila, où elle en a profité pour questionner la place de la femme mélanésienne. "Dans mes deux cultures, la femme a ses tâches, elle a son rôle de maman, mais elle est absente de la sphère coutumière et des décisions sociétales. À travers mon travail artistique, j’ai pu me faufiler et parler de ces sujets parfois tabous, explique la plasticienne qui espère ainsi ouvrir les esprits. Sur ce sujet, on a encore vraiment du chemin à faire, mais mon travail n’est pas d’affirmer, il est d’en discuter, d’en débattre. De bousculer un peu les visions."
Une mission aussi importante que celle de transmettre son héritage culturel. "Ce n’est pas facile d’être métisse aujourd’hui, donc mes enfants doivent savoir qui ils sont. Avoir fait ce travail sur moi me permet de le raconter plus sereinement. Cela me confirme qu’il faut vraiment transmettre ce que l’on est dans toutes ses cultures, toute sa diversité, toute sa richesse et toute sa complexité. Avoir découvert ma propre culture m’a donné envie d’aller vers d’autres horizons."
Découvrez cet épisode ainsi que tous les autres de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio les mardis à 12h17 et rediffusé le dimanche à 12h20).