"Bien naturellement que c'est un budget d'austérité", déclarait Yannick Slamet sur notre antenne le 3 avril dernier. Le membre du gouvernement chargé des finances et du budget assumait alors avoir recours au "pragmatisme" en l'absence "de marge de manœuvre conséquente pour relancer l'économie et l'investissement".
L'austérité, un terme dans lequel s'inscrit aussi parfaitement le projet de réforme fiscale porté depuis bientôt deux ans par l'exécutif. Le terme combine "la limitation des dépenses publiques et l'augmentation des recettes par la fiscalité dans l'objectif de rétablir les comptes", explique Gaël Lagadec, maître de conférences en sciences économiques à l'UNC.
"Lorsqu'on est au pouvoir, on utilise généralement le mot 'rigueur' et non 'austérité'. C'est le terme qu'utilise l'opposition pour critiquer l'action de ceux qui sont au pouvoir", note le professeur. "Je ne vais pas démentir le terme austérité", commente Gilbert Tyuienon. "Mais si on en est là, c'est justement parce que la rigueur n'a pas toujours été de mise", ajoute le membre du gouvernement chargé de ce projet.
La mauvaise image de l'austérité
Si l'austérité a si mauvaise presse, c'est en raison, notamment, de la manière dont ont été gérées la crise financière mondiale de 2008 et ses conséquences, avec un exemple frappant : celui de la Grèce. "Elle a été amenée à faire des coupes dans ses dépenses, à augmenter les prélèvements et le résultat a été assez catastrophique. Le pays a continué de voir ses recettes baisser, le chemin de l'austérité n'a pas marché", résume Samuel Gorohouna, lui aussi maître de conférences en sciences économiques à l'UNC.
Pour expliquer à ses étudiants comment les recettes peuvent baisser malgré la hausse des prélèvements, Gaël Lagadec utilise un cas de figure abstrait. "Si l'impôt sur le revenu était de 100 %, on pourrait se dire qu'on maximiserait les recettes. Mais elles deviendraient en fait égales à zéro car plus personne ne travaillerait. Cela permet de comprendre qu'à partir d'un certain taux, l'imposition diminue l'activité et paralyse progressivement le pays", affirme-t-il.
Faut-il dès lors se tourner vers une politique de relance ? Une partie de l'opposition non-indépendantiste et le monde patronal le réclament en tous cas avec insistance. Les élus de l'Avenir en confiance avaient ainsi demandé en décembre dernier un moratoire fiscal, pour "relancer notre économie en favorisant les investissements, en recommençant à créer des emplois et en développant le pouvoir d'achat des Calédoniens".
La relance, outil infaillible ?
De son côté, l'Interpatronale était allée jusqu'à présenter son propre plan de réforme fiscale. Il proposait notamment de supprimer l'impôt sur le revenu, baisser l'impôt sur les sociétés et supprimer les cotisations sociales au Ruamm, au chômage et aux prestations familiales. En contrepartie, le plan prévoyait l'introduction d'un taux progressif sur la CCS et d'une TGC à 20 % pour tous les produits à l'exception de l'alimentaire.
Sur le papier, le projet implique un changement total de paradigme. "Ça équivaut à écrire au père Noël", pointe Gilbert Tyuienon, porteur du projet actuel de réforme fiscale. "Passer d'un système à un autre tout en limitant les risques, c'est très compliqué. Le projet de l'Interpatronale est en plus à rendement constant, il n'apporte pas les recettes nécessaires pour pouvoir équilibrer le budget", conclut-il.
La politique de la relance par les diminutions d'impôts peut effectivement présenter des limites. "Dans les années 80, Reagan et Thatcher tablaient sur le fait qu'on pouvait conserver le même niveau de recettes en faisant moins de pression fiscale. Au bout du compte, on est tombé dans l'excès inverse : on a diminué les recettes fiscales exagérément et mis en péril les services publics financés par ces mêmes recettes fiscales", rappelle Gaël Lagadec.
La politique "contracyclique"
"Normalement, la relance doit être contracyclique", ajoute-t-il, avant de résumer : "On doit faire une relance quand l'économie est en berne. On doit accumuler de quoi faire de la relance quand l'économie va bien." La Nouvelle-Calédonie a-t-elle pour autant les moyens de relancer l'économie dans le contexte qui est le sien ? Il faudrait déjà pouvoir se permettre d'emprunter les fonds nécessaires à une telle politique.
Côté loyaliste, plusieurs partis militent pour une transformation des prêts de l'Etat en subventions. Une hypothèse jugée fantaisiste par le cabinet de Gilbert Tyuienon. "Encore faut-il que l'Etat en ait l'intention", glisse le membre du gouvernement, qui balaye également d'un revers de main la possibilité d'un nouveau prêt. "Emprunter, c'est s'engager à rembourser, possiblement sur 30 ans. Nous sommes déjà très endettés, il faut assumer nos responsabilités", assène-t-il.
Faute de véritable politique de relance, l'exécutif calédonien va donc devoir s'astreindre à avancer pas à pas s'il ne veut pas desservir l'économie. L'équipe chargée de la fiscalité l'assure : "Nous sommes prudents dans la démarche qui est la nôtre".